L'adoption dans les couples homosexuels, la cour de cassation, et le conseil constitutionnel
Par Michel Huyette
Depuis des années, il existe un débat complexe et difficile autour des couples homosexuels et des enfants. L'approche est d'autant plus compliquée que des considérations morales ou religieuses croisent d'autres considérations juridiques.
Afin de pouvoir élever ensemble un enfant en disposant toutes deux de prérogatives d'autorité parentale sur lui, les couples de personnes du même sexe ont exploré diverses possibilités juridiques dont, c'est ce qui nous intéresse aujourd'hui, l'adoption simple.
Une récente décision du conseil constitutionnel (son site), par le biais une fois encore d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (cf. ici), apporte de nouveaux éléments de réflexion.
La problématique est la suivante : Dans notre droit, il existe l'adoption plénière (articles 343 et svts du code civil), qui fait totalement disparaître le lien de filiation initial (cf. art 356). A côté, il existe l'adoption simple (articles 360 svts) dont les effets sont très différents puisque dans ce cadre d'une part l'enfant conserve ses liens avec sa famille d'origine (ce qui fait notamment qu'il perçoit la succession et reste tenu de l'obligation alimentaire), et d'autre part l'autorité parentale est en principe exercée par l'adoptant. Notons en passant que l'adoption simple est révocable, en cas de motifs "graves", alors que l'adoption plénière ne l'est pas.
Toutefois l'article 365 du code civil (texte ici), au coeur du débat commenté, tout en fixant cette règle précise que :
"L'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité."
En clair, si l'enfant d'une femme, né d'un homme avec qui elle ne vit pas, est adopté par son mari qui n'est pas le père, sous la forme de l'adoption simple, tous deux disposent de l'autorité parentale et l'exercent ensemble s'ils le souhaitent et en font la déclaration au greffe du tribunal. Autrement dit, contrairement au principe de départ, la femme titulaire de l'autorité parentale dont l'enfant est adopté simplement par le conjoint ne perd pas l'exercice de cette autorité.
A l'origine du procès en cours et ayant abouti à la QPC commentée, se trouvent deux femmes vivant en couple. L'une d'entre elle est la mère d'un enfant. Souhaitant que sa compagne ait un lien reconnu avec l'enfant, elles ont saisi un tribunal afin d'obtenir l'adoption simple de l'enfant par cette compagne.
En 2007, la cour de cassation avait pris position sur une telle demande. Dans un arrêt du 20 février 2007 (décision ici) (cf. aussi deuxième arrêt du même jour) elle a jugé :
"Ayant retenu à juste titre que Mme Y..., mère des enfants, perdrait son autorité parentale sur eux en cas d'adoption par Mme X..., alors qu'il y avait communauté de vie, puis relevé que la délégation de l'autorité parentale ne pouvait être demandée que si les circonstances l'exigeaient, ce qui n'était ni établi, ni allégué, et qu'en l'espèce, une telle délégation ou son partage étaient, à l'égard d'une adoption, antinomique et contradictoire, l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de conférer l'autorité parentale au seul adoptant, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision" (1ère décision)
"Vu l'article 365 du code civil ;
Attendu que l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; Attendu que pour prononcer l'adoption simple, par Mme X..., du fils de Mme Y..., né le 13 juillet 2004, en estimant que l'adoption était conforme à l'intérêt de l'enfant, l'arrêt attaqué relève que Mmes Y... et X... ont conclu un pacte civil de solidarité en 2001, et qu'elles apportent toutes deux à l'enfant des conditions matérielles et morales adaptées et la chaleur affective souhaitable et qu'il est loisible à Mme Y... de solliciter un partage ou une délégation d'autorité parentale ; Qu'en statuant ainsi, alors que cette adoption réalisait un transfert des droits d'autorité parentale sur l'enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l'enfant, de ses propres droits, de sorte que, même si Mme Y... avait alors consenti à cette adoption, en faisant droit à la requête la cour d'appel a violé le texte susvisé". (2ème décision)
L'idée des couples de femmes était dans un premier temps d'obtenir une adoption simple par la compagne de la mère, puis dans un second temps, en sens inverse, de faire en sorte que la compagne délègue à la mère une partie de ces prérogatives, par le biais de la délégation d'autorité parentale !
Le raisonnement suivi par la cour de cassation est en clair le suivant : 1. L'adoption simple transfère la totalité des prérogatives d'autorité parentale à l'adoptant. 2. La compagne d'une femme n'est pas son "conjoint" au sens de l'article 365 du code civil et donc la règle applicable aux personnes mariées, à savoir l'exercice en commeun de cette autorité, ne l'est pas aux personnes mêmes pacsées. 3. Il n'est pas acceptable que le titulaire de l'autorité parentale, à savoir la mère biologique, perde tous ses droits sur son propre enfant à cause de l'adoption simple par sa compagne. 4. Le mécanisme de la délégation d'autorité parentale qui aboutit à un partage des prérogatives (cf. art. 377) est antinomique avec une adoption simple et n'est pas adapté à une telle configuration.
Dans notre nouvelle affaire, deux femmes se trouvant dans la même situation ont présenté une question prioritaire de constitutionnalité (cf. texte ici).
La cour de cassation a accepté de saisir le conseil constitutionnel en considérant que "les questions posées présentent un caractère sérieux au regard des exigences du principe constitutionnel d'égalité en ce que l'article 365 du code civil institue une distinction entre les enfants au regard de l'autorité parentale, selon qu'ils sont adoptés par le conjoint ou le concubin de leur parent biologique".
Au final le conseil constitutionnel considère que :
- "l'article 365 du code civil fixe les règles de dévolution de l'autorité parentale à l'égard d'un enfant mineur faisant l'objet d'une adoption simple ; que, depuis l'arrêt du 20 février 2007 susvisé, la Cour de cassation juge de manière constante que, lorsque le père ou la mère biologique entend continuer à élever l'enfant, le transfert à l'adoptant des droits d'autorité parentale qui résulterait de l'adoption par le concubin ou le partenaire du parent biologique est contraire à l'intérêt de l'enfant et, par suite, fait obstacle au prononcé de cette adoption ; que, dès lors, la constitutionnalité de l'article 365 du code civil doit être examinée non pas en ce que cet article institue une distinction entre les enfants au regard de l'autorité parentale, selon qu'ils sont adoptés par le conjoint ou le concubin de leur parent biologique, mais en ce qu'il a pour effet d'interdire en principe l'adoption de l'enfant mineur du partenaire ou du concubin"
- "l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit"
- " la disposition contestée, dans la portée que lui donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, empêche que, par la voie de l'adoption simple, un enfant mineur puisse voir établir un deuxième lien de filiation à l'égard du concubin ou du partenaire de son père ou sa mère ; que, toutefois, cette disposition ne fait aucunement obstacle à la liberté du parent d'un enfant mineur de vivre en concubinage ou de conclure un pacte civil de solidarité avec la personne de son choix ; qu'elle ne fait pas davantage obstacle à ce que ce parent associe son concubin ou son partenaire à l'éducation et la vie de l'enfant ; que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas que la relation entre un enfant et la personne qui vit en couple avec son père ou sa mère ouvre droit à l'établissement d'un lien de filiation adoptive ; que, par suite, le grief tiré de ce que l'article 365 du code civil porterait atteinte au droit de mener une vie familiale normale doit être écarté"
- "en maintenant le principe selon lequel la faculté d'une adoption au sein du couple est réservée aux conjoints, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas pouvait justifier, dans l'intérêt de l'enfant, une différence de traitement quant à l'établissement de la filiation adoptive à l'égard des enfants mineurs ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu'il convient de tirer, en l'espèce, de la situation particulière des enfants élevés par deux personnes de même sexe ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté".
Le conseil constitutionnel a donc estimé que l'article 365 du code civil, tel qu'il est interprété par la cour de cassation (1), n'est pas contraire à la constitution française.
On retiendra pour finir que le conseil constitutionnel a fixé à cette occasion les limites de son contrôle sur les grands principes de société. Il est vrai qu'il n'appartient pas à des juges, mêmes des plus hautes juridictions, de se substituer à la volonté du peuple telle quelle s'exprime, au moins en principe, par le biais de ses représentants élus. Les juges ont déjà bien assez à faire avec l'application et l'interprétation de la loi. Dans une véritable démocratie, ce n'est certainement pas à eux de la faire.
Aux parlementaires donc de prendre leurs responsabiités et, s'ils l'estiment opportun, de modifier l'article 365 du code civil en ajoutant à la référence aux conjoints une nouvelle référence aux personnes unies par un PACS.
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1. Cette précision pourrait avoir un impact sur les futures décisions de la cour de cassation de transmettre ou de ne pas transmettre certaines QPC, mais c'est un autre débat.....