Détention provisoire puis acquittement
Par Michel Huyette
Les medias nous informent ce samedi 9 octobre 2010 que la cour d'assises siégeant à Pontoise vient d'acquitter une femme, nourrice de profession, poursuivie pour avoir exercé sur le bébé dont elle avait la charge au domicile de la famille des violences ayant entraîné sa mort apparemment sans intention de la donner. Si cela est exact il s'agirait du crime prévu par l'article 222-8 du code pénal (texte ici) et puni de 20 années de prison.
Ce qui retient l'attention aujourd'hui ce n'est pas le fond de cette affaire. C'est le fait qu'il est précisé dans les articles de presse que l'accusée avait jusqu'à ce jour effectuée environ 2 années de détention provisoire (1). Cela signifie que, sous réserve d'un appel du ministère public et d'une éventuelle déclaration de culpabilité par une cour d'assises d'appel, cette femme est restée deux années en prison alors qu'au final rien ne lui est reproché.
Se pose donc, une fois encore, la question de l'emprisonnement avant jugement à propos des dossiers dans lesquels les faits ne sont pas reconnus par l'accusé(e) et où plusieurs versions restent envisageables, autrement dit dans les dossiers dans lesquels la culpabilité de la personne poursuivie n'est pas d'évidence définitivement certaine.
Au demeurant, le fait que cette femme puisse être considérée comme coupable en appel ne permet pas d'éluder d'un revers de manche le débat sur la détention provisoire avant jugement. Car puisque la première cour d'appel l'a déclarée innocente, reste posée par principe la question de l'emprisonnement avant jugement dans les dossiers dont on peut penser, raisonnablement, qu'il n'est pas absolument certain qu'ils se termineront par une reconnaissance de culpabilité.
Les critères de la détention provisoire sont fixés dans plusieurs articles du code de procédure pénale.
Rappelons d'abord, comme nous l'avons fait récemment (cf. ici) que le premier principe, fondamental, est celui qui est énoncé à l'article 137 (texte ici) : "La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire.".
Ensuite, l'article 144 vient préciser les cas dans lesquels la personne mise en examen peut être placée en détention provisoire :
"La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire : 1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ; 2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ; 4° Protéger la personne mise en examen ; 5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ; 6° Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ; 7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle."
Dans une affaire comme celle qui est commentée, et en raisonnant de façon générale faute de connaître les détails du dossier, il est peu fréquent qu'il existe un risque de disparition des preuves ou de pression sur des témoins. Il n'existe pas de raison majeure de penser que la personne mise en examen est en danger ou qu'elle pourrait s'enfuir. Et dans ce genre d'hypothèse, le risque de récidive est particulièrement faible.
Reste le "trouble exceptionnel à l'ordre public", critère qui ne s'applique qu'aux crimes et non aux délits. Il s'agit là d'une notion élastique, aux contours imprécis, qui doit être maniée avec précautions.
Notons d'abord que puisque ce critère est une condition préalable à la détention provisoire, cela signifie que tout crime ne génère pas inéluctablement un trouble exceptionnel à l'ordre public, ce qui est pourtant parfois retenu un peu hâtivement par les juges. La loi impose que tel crime, spécifiquement, ait, à la différence des autres, causé dans ses circonstances particulières, un trouble particulièrement inhabituel et de grande ampleur. Au-delà de l'émotion et d'un point de vue purement juridique, il n'est pas immédiatement certain que la mort d'un bébé, aussi épouvantable qu'elle soit pour ses parents, dans la sphère privée, créé un trouble exceptionnel à l'ordre public, en tous cas plus ou au moins autant qu'un assassinat particulièrement violent et odieux.
Mais quoi qu'il en soit l'essentiel n'est pas là.
Même si le texte ne le mentionne pas, sans doute parce que c'est une évidence, même en cas de trouble d'une exceptionnelle ampleur généré par des faits, il doit être exclu d'envoyer en détention provisoire toute personne dont il n'est pas certain qu'elle soit l'auteur du crime. Ou alors il faut revenir en arrière et féliciter les juges qui ont envoyé en détention provisoire les acquittés d'Outreau. Car s'il était bien une affaire dans laquelle le trouble à l'ordre public était exceptionnellement troublé, et cela dans la France entière, c'était bien celui là. Population et médias n'avaient pas de mots assez sévères pour parler des hommes et des femmes considérés comme des "monstres" violeurs d'enfants. Il n'empêche que la même population et les mêmes médias ont quelques années plus tard reproché vivement, c'est peu dire, aux magistrats de n'avoir pas été assez prudents avant d'envoyer en prison plusieurs hommes et femmes finalement acquittés. Le trouble, énorme, ne justifiait donc pas toutes les détentions provisoires.
Mais depuis bien de l'eau a coulé sous les ponts. Et l'on a vu récemment les plus hautes autorités de l'Etat s'en prendre au juge qui, doutant de la culpabilité d'un individu soupçonné également de crime (un braquage avec arme) l'a laissé en liberté en l'attente de la réunion de preuves plus convaincantes de sa culpabilité. (lire ici)
Chaque acquittement qui intervient à l'issue d'une longue période de détention provisoire est une plaie pour l'institution judiciaire. L'affaire dont il est question dans cet article n'est pas la première du genre, loin s'en faut (lire ici), et ne sera pas la dernière.
C'est pourquoi ce qui vient de se passer doit être pour tous les magistrats un élément de leur réflexion permanente, car quels que puissent être les regrets et les réflexions quand à un emprisonnement succède un acquittement, il reste définitivement impossible de restituer aux personnes innocentées la partie de leur vie qui leur a été injustement volée (2).
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1. Les faits s'étant produits en novembre 2008, la femme a probablement été placée en détention peu après la découvert du décès et aussitôt les premières investigations terminées, d'autant plus qu'il semble qu'elle ait été seule dans la maison quand l'enfant a été blessé.
2. L'indemnisation en argent de la période de détention provisoire ne réparant en rien les dommages générés par des mois d'emprisonnement (lire ici).