Le voile islamique intégral (niqab), la loi, et le Conseil Constitutionnel
Par Michel Huyette
Il y a quelques mois le débat a été très vif, en France, autour du voile islamique et ensuite du niqab, ce vêtement qui recouvre complètement le corps des femmes sauf devant les yeux (cf. ici).
Le gouvernement avait indiqué vouloir légiférer sur la question, ce qui est aujourd'hui chose faite. La loi, en date du 11 octobre 2010, est parue au journal officiel du 12 (lire ici). Cette loi entrera en vigueur dans 6 mois, l'idée étant de favoriser une période de réflexion des intéressés avant le début des verbalisations.
Le nouveau texte est relativement simple. L'article 1er prévoit que " Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage", l'article 2 précisant : "I. Pour l'application de l'article 1er, l'espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. - II. L'interdiction prévue à l'article 1er ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ».
Du côté de la répression, l'article 3 prévoit que la méconnaissance de l'interdiction fixée à l'article 1er est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe, c'est à dire d'un montant maximal de 150 euros (texte ici), à laquelle peut se substituer un stage de citoyenneté (texte de référence ici), l'article 4 créant un délit consistant à imposer "par menace, violence, contrainte, abus d'autorité ou abus de pouvoir" la dissimulation du visage, puni d'une année de prison et de 30.000 euros d'amende (le double si la personne incitée est mineure).
Afin d'éviter toute difficulté ultérieure, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ont conjointement saisi le Conseil Constitutionnel afin que celui examine le texte au regard des principes constitutionnels français.
Dans sa décision du 7 octobre 2010 (lire ici) le Conseil Constitutionnel rappelle d'abord que : "aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu'aux termes de son article 5 : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas » ; qu'aux termes de son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme »"
Il considère ensuite que "les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l'apparition de pratiques, jusqu'alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l'espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu'il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité ; qu'en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l'ordre public", ensuite que "eu égard aux objectifs qu'il s'est assignés et compte tenu de la nature de la peine instituée en cas de méconnaissance de la règle fixée par lui, le législateur a adopté des dispositions qui assurent, entre la sauvegarde de l'ordre public et la garantie des droits constitutionnellement protégés, une conciliation qui n'est pas manifestement disproportionnée ; que, toutefois, l'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l'article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l'exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ; que, sous cette réserve, les articles 1er à 3 de la loi déférée ne sont pas contraires à la Constitution".
Et sous cette seule réserve, il a déclaré la loi conforme à la constitution.
Cette nouvelle loi appelle quelques premiers commentaires.
Le visage, c'est, selon le dictionnaire Littré, "La partie antérieure de la tête où sont le front, les yeux, le nez, la bouche". La loi n'interdit donc pas le port d'un voile recouvrant en même temps le dessus, l'arrière et le dessous de la tête. Il est certain que la loi a été élaborée pour faire obstacle au port du voile intégral, le niqab.
Le juriste relèvera rapidement les inéluctables difficultés à venir s'agissant du délit consistant à "imposer" la dissimulation. La loi vise, sans le dire mais les débats qui l'ont précédée étaient clairs sur ce point, la sanction des conjoints/concubins, hommes supposés imposer leur volonté à des femmes qui, seules, ne prendraient pas forcément l'initiative de se recouvrir d'un vêtement ne permettant pas de voir leur visage.
Mais comment vont être réunis les éléments de preuve ? Imagine-t-on les femmes concernées, que par définition on suppose faibles et sous influence puisque la loi retient l'hypothèse d'un tiers leur imposant leur volonté, aller aisément dénoncer à la police celui qui les domine ? Et que se passera-t-il le soir quand elles reviendront chez elle et se retrouveront au contact de celui que, par leurs déclarations, elles ont envoyé devant le tribunal correctionnel ? Sans compter ce qui pourra advenir quand l'homme reviendra chez lui après avoir été condamné par la juridiction pénale. Plus largement, va-t-on chercher dans les témoignages des membres de la famille proche les preuves pouvant incriminer l'un des leurs ?
Il faudra aussi définir ce qu'est un abus d'autorité, qui suppose, préalablement, qu'un homme soit en situation d'exercer une autorité sur une femme, ce qui est juridiquement troublant en France dans un cadre exclusivement privé.
La qualification de l'infraction ne va pas être une mince affaire.
Mais il s'agit peut-être plus de faire passer un message que de réprimer....
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NB : Les medias ont fait savoir que le 8 octobre 2010 le magistrat président une audience correctionnelle au tribunal de Bobigny a imposé à une femme portant un niqab de quitter la salle d'audience, ce qui, même si la loi n'était pas ce jour là encore publiée au journal officiel, conforme à sa lettre puisqu'une salle d'audience dans un palais de justice est un "espace public".