Quelques réflexions à propos des relaxes et des acquittements
Cet article fait suite à un précédent (ce qui en soi est assez logique..) relatif au comportement de certains avocats qui présentent les décisions de relaxe ou d'acquittement obtenues comme une formidable victoire personnelle. Pour que l'argument porte, il faudrait que de telles décisions soient réellement exceptionnelles. Et pourtant tel n'est pas forcément le cas.
Alors allons plus loin dans le débat, cette fois ci sur la nature de ces décisions.
1. Tout d'abord, commençons par nous interroger sur la raison d'être du double degré de juridiction. Par définition, utiliser un recours et bénéficier d'un nouvel examen de l'affaire n'a de sens que s'il est possible d'obtenir en appel une décision contraire à celle qui est contestée. C'est si les décisions étaient toujours les mêmes en première instance et en appel qu'il existerait un inquiétant dysfonctionnement. A l'inverse, des décisions contraires montrent que la justice fonctionne correctement. Et cela vaut dans tous les sens, que la personne poursuivie soit déclarée coupable ou non coupable en première instance. Dans tous les cas, les décisions successives sont le résultat d'une analyse d'un dossier souvent complexe et dans lequel il faut peser minutieusement les éléments à charge et à décharge.
Bien sûr, deux conclusions contraires à partir d'une même procédure peuvent surprendre ceux qui n'ont jamais eu entre les mains un réel dossier judiciaire, et troubler toutes les parties impliquées. Mais s'il était facile de décider et si une seule issue était envisageable, il ne serait pas nécessaire de prévoir des heures ou des jours d'audience, après des mois d'instruction, pour rechercher ce qui a pu se passer.
2. Constater que les décisions de relaxe et d'acquittement sont minoritaires ne change rien à ce qui vient d'être dit.
Elles le sont naturellement parce qu'un premier tri dans les dossiers qui arrivent au tribunal est effectué en amont par le procureur de la République qui "classe sans suite" les dossiers trop incomplets, et qu'un second tri est effectué par les juges d'instruction qui prononcent des "non lieu" quand à l'issue de leur instruction il n'apparaît pas de charges suffisantes contre les personnes initialement soupçonnées.
Par ailleurs, contrairement à ce que souhaiteraient les personnes poursuivies, il ne suffit pas de prétendre et de faire plaider que l'on a rien fait pour être déclaré non coupable. L'être humain n'étant pas disposé par nature à aller lui-même placer sa tête sous la guillotine, il est compréhensible que même dans les dossiers les plus accablants certains prévenus tentent jusqu'au bout d'échapper à l'inévitable. Et il n'est pas rare que les avocats soutiennent à l'audience que leur client est innocent tout en étant personnellement persuadés du contraire. Cela n'a rien de choquant puisque ils en sont le porte parole. Il suffit de ne pas être naïf ni dupe.
Et il faut savoir que devant les tribunaux correctionnels et les cours d'assises, dans une majorité de dossiers les mis en cause ne contestent pas le principe de leur culpabilité mais discutent uniquement l'ampleur de la sanction en mettant en avant des circonstances atténuantes. Les juges voient aussi régulièrement des prévenus qui changent de mode de défense au fil du temps, par exemple plaident leur non culpabilité en première instance puis admettent leur culpabilité en appel.
En tous cas, dans le quotidien de la justice pénale avec ses petites et ses grandes affaires, une majorité de déclarations de culpabilité reposent sur l'aveu de cette culpabilité autant que sur les éléments matériels du dossier.
3. La justice n'a pas pour mission de trouver un coupable à tout prix. Dans les dossiers lacunaires (certains dossiers judiciaires sont comme des livres dont il manque de nombreuses pages), même s'il existe des éléments troublants, il ne peut pas y avoir de déclaration de culpabilité uniquement pour atténuer la souffrance des plaignants ou des familles des victimes (en cas de viol ou de meurtre notamment) pour qui, et on les comprend aisément, quitter la salle d'audience sans savoir qui s'en est pris à eux ou à leur proche est une nouvelle et immense douleur. La justice doit constater les insuffisances de certains dossiers, et non tenter désespérément de les combler. Et dans ces dossiers incomplets, c'est évidemment la déclaration de non culpabilité qui s'impose, sans que la décision rendue ait alors quoi que ce soit d'exceptionnel.
4. Il faut quand même aller plus loin et aborder le débat sous un autre angle, même si l'analyse devient délicate et le risque de mauvaise interprétation permanent.
Les dossiers transmis aux juridictions pénales sont plus ou moins étoffés. Il arrive que les enquêtes atteignent trop vite leurs limites faute de découverte d'éléments concrets intéressants, ou parce que ceux qui pourraient apporter des éléments importants ne se manifestent pas ou ne disent pas ce qu'ils savent etc.. . C'est pourquoi il arrive de temps en temps qu'une personne poursuivie bénéficie d'une déclaration de non culpabilité bien qu'elle soit l'auteur des faits poursuivis.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Pour bien nous comprendre, prenons un exemple hors du champ pénal. Si alors qu'il est votre ami vous prêtez cinq mille euros à votre voisin mais sans lui faire signer de reconnaissance de dette écrite et sans témoin, et si à la date convenue il ne vous les rend pas, vous serez tenté de saisir le tribunal civil pour obtenir sa condamnation qui serait conforme à la réalité. Mais si vous saisissez le juge, celui-ci va inéluctablement rendre un jugement dans lequel il constatera cette absence de preuve et écrira qu'il n'y a aucune trace du prêt. Votre voisin pourra alors montrer cette décision et affirmer haut et fort que vous êtes un menteur et qu'il n'a jamais rien reçu de vous. Et pourtant vous lui avez bien prêté de l'argent. Mais le juge qui n'était pas là ne peut pas faire autrement que constater l'insuffisance du dossier que vous lui avez remis. Et bien dans les juridictions pénales c'est la même chose. Des personnes qui ont bien commis des infractions sont parfois déclarées non coupables parce qu'il n'a pas été réuni suffisamment de preuves contre elles.
Il s'agit ici d'un repère essentiel, qui déconcerte souvent nos concitoyens : la conclusion judiciaire ne correspond pas toujours à la vérité factuelle. Dans nos jugements nous ne disons pas quelle est la réalité. Nous disons ce que nous pouvons conclure à partir des dossiers qui nous sont transmis avec leurs qualités, leurs défauts et leurs lacunes, ce qui est très sensiblement différent.
Mais attention. Cette réalité dérangeante ne doit jamais permettre de jeter le moindre voile sur une quelconque déclaration de non culpabilité. Par principe, aucun sous-entendu ne peut être toléré vis-à-vis d'une personne relaxée ou acquittée.
Finalement, la réalité judiciaire est moins caricaturale que la description qui en est souvent faite. Le traitement des procédures pénales aboutit régulièrement à l'absence d'identification des auteurs de certaines infractions et donc à la clôture du dossier sans déclaration de culpabilité soit avant l'audience par le classement sans suite et le non lieu, soit à l'issue du procès par la relaxe ou l'acquittement. Dans ces processus il n'y a rien d'exceptionnel.
Quand un prévenu est déclaré coupable et condamné, ce n'est pas une victoire du ministère public.
Quand un prévenu est relaxé ou acquitté, ce n'est pas plus une victoire de l'avocat de la défense. C'est tout simplement le fonctionnement d'une justice équilibrée.
Chaque mois, les tribunaux correctionnels et les cours d'assises prononcent des relaxes et des acquittements. Il s'agit de dossiers non médiatisés dont vous n'entendrez jamais parler. Ils sont traités par des professionnels, notamment des avocats dont vous ne connaîtrez jamais le nom, souvent très compétents et qui font un remarquable travail, mais qui ne chercheront jamais à tirer un bénéfice personnel de la décision obtenue.
C'est cela le fonctionnement ordinaire de la justice. Et c'est très bien comme cela.