Les pourvois surprenants contre les décisions des cours d'assises
Lorsqu'une personne soupçonnée d'avoir commis un crime est renvoyée devant une cour d'assises, elle bénéficie du double degré de juridiction. Elle comparaît devant une première cour d'assises (9 jurés et 3 juges), puis peut faire appel devant une cour d'assises d'appel (12 jurés et 3 juges). Ensuite, cette personne peut former un pourvoi devant la cour de cassation, juridiction suprême du système français.
Devant la cour de cassation, à Paris, il ne s'agit pas d'un troisième procès. Il n'y a ni étude du dossier d'accusation, ni débat sur l'affaire. La cour de cassation contrôle uniquement si les juges ont correctement appliqué la législation en vigueur.
Il faut savoir qu'il existe – schématiquement - deux sortes de règles : les unes organisent le débat mais sans être d'une grande importance, les autres ont pour objet de protéger les droits essentiels de l'accusé. Le non respect des premières peut être sans conséquence sur le caractère loyal et équitable du procès, la violation des secondes rend la procédure suivie irrégulière et impose, par le biais de la cassation de la décision rendue, l'organisation d'un troisième procès (qui pourra être de nouveau suivi d'un pourvoi en cassation…).
Il faut avoir aussi en tête que lorsque il n'existait pas d'appel des décisions des cours d'assises, la cour de cassation, pour contourner cette aberration juridique, utilisait chaque opportunité pour casser la décision rendue et permettre à l'accusé d'obtenir un second procès, ceci même lorsque la règle violée rentrait dans la première catégorie précitée. Mais aujourd'hui l'appel est de droit, et la cour de cassation refuse de casser des décisions pour des irrégularités sans importance et qui n'ont à aucun moment porté atteinte aux droits des accusés. Et tous les professionnels, en premier lieu les avocats pénalistes, le savent parfaitement bien.
Dès lors, quand le second procès s'est déroulé de façon tout à fait correcte, les avocats ont de plus en plus de difficultés à trouver des arguments sérieux à présenter à la cour de cassation.
On pourrait penser qu'ils prennent soin d'expliquer à leur client quelle est la jurisprudence de la cour de cassation, pour dans un second temps leur indiquer qu'il est inutile de se lancer dans un recours voué à l'échec.
Mais, bizarrement, tel n'est pas le cas, et l'on voit de très nombreux avocats saisir la cour de cassation d'arguments parfois… étonnants. En voici quelques exemples récents.
- L'article 331 du code de procédure pénale prévoit que les témoins doivent déposer "séparément les uns des autres". Dans une affaire quatre témoins viennent témoigner, et le procès-verbal (le compte-rendu) des débats précise qu'ils ont été entendus "successivement" et "à tour de rôle". L'avocat de l'accusé dépose un pourvoi en soutenant que puisque les témoins ont déposé "successivement et à tour de rôle" ils n'ont pas été entendus "séparément" comme le prévoit le texte. La cour de cassation répond d'une ligne (décision n° 06-85918 *) que la loi a été respectée. Bien sûr, le "successivement et à tour de rôle" mentionné dans le procès verbal est égal au "séparément" mentionné dans la loi. Ajoutons que l'avocat qui était présent à l'audience a personnellement constaté que la règle de l'article 331 a été parfaitement respectée.
- Le même texte indique que les témoins ne doivent pas être interrompus pendant qu'ils déposent. Cela signifie qu'il ne peut leur être posé aucune question tant que leur déposition spontanée n'est pas terminée. Le but est qu'ils s'expriment dans un premier temps totalement librement, sans aucune influence de quiconque. Dans une affaire un témoin a commencé à déposer en fin de matinée. Son témoignage étant long, pour permettre à chacun d'aller manger, le président a fait une suspension d'audience, et à la reprise ce témoin a continué sa déposition spontanée, sans qu'à aucun moment une quelconque question lui soit posée. C'est ce qu'a constaté de ses propres yeux l'avocat de l'accusé. Pourtant il a formé un pourvoi en cassation en soutenant que puisque le président avait suspendu l'audience la règle de l'article 331 n'avais pas été respectée. La cour de cassation a rejeté l'argument d'une phrase (arrêt n° 06-87990).
- A la cour d'assises, et sauf rares exceptions prévues par la loi, les débats sont publics (art. 306 du code de procédure pénale). Dans une affaire il a été mentionné sur la première page du procès verbal que l'audience était publique. L'avocat de l'accusé a saisi la cour de cassation en affirmant que puisque la même mention n'apparaissait pas sur les autres pages du procès-verbal, c'est que l'audience n'avait pas été tout le temps publique. Bien sûr, cet avocat a été présent à chaque minute du procès et a vu chaque jour le public entrer et sortir de la salle. La cour de cassation a en quelques mots rejeté le pourvoi (arrêt n° 06-08547).
- Quand un accusé est susceptible d'être considéré comme malade mental n'ayant eu ni conscience ni maîtrise de son comportement quand le crime a été commis (c'est la problématique du jugement pénal des "fous"), son avocat peut demander à la cour d'assises qu'une question sur sa responsabilité soit posée (si la réponse est que l'accusé était irresponsable, il doit être acquitté). L'article 349-1 du code de procédure pénale précise que c'est l'avocat de l'accusé qui doit demander à la cour de poser une question spécifique. Dans une affaire, personne à aucun moment pendant l'instruction du dossier n'a considéré l'accusé comme totalement irresponsable, et à l'audience de la cour d'assises l'avocat n'a pas demandé qu'une question soit posée sur ce sujet. Cet avocat a pourtant formé un pourvoi en critiquant le fait que (non non, je ne blague pas, vous pouvez vérifier par vous-même..).. aucune question sur la responsabilité de son client n'a été posée. D'une phrase la cour de cassation a rappelé le contenu des textes que bien sûr cet avocat connaissait parfaitement (arrêt n° 06-87642).
- Pendant les procès d'assises, des experts viennent toujours témoigner. Ce sont des personnes à qui ont été confiées des missions techniques (autopsie du corps de la victime, étude balistique, examen psychiatrique de l'accusé etc..). Ils sont inscrits sur une liste spécifique établie par chaque cour d'appel. Ils sont désignés pendant la phase d'enquête, par le juge d'instruction, et ils remettent ensuite leur rapport qui est versé au dossier. A l'audience ils prêtent le serment des experts. Dans une affaire un avocat a formé un pourvoi en prétendant qu'un expert avait été entendu, comme mentionné dans le procès-verbal, sans que (je vous assure que je n'invente rien..) l'on sache si cette personne avait bien été chargée d'une expertise. L'avocat avait pourtant sous les yeux le rapport de l'expert ainsi que la décision du juge d'instruction le désignant, étant rappelé que l'avocat d'un accusé reçoit toujours une copie de l'intégralité du rapport d'instruction. La cour de cassation a rejeté ce pourvoi (arrêt n° 06-85981).
- Même lorsque les débats ont été menés à huis clos, les décisions finales de la cour d'assises doivent être rendues en audience redevenue publique (art. 306). Dans une affaire, un procès-verbal mentionnait textuellement que à l'issue des débats "le président a déclaré que le huis clos était levé" et que "les portes de l'auditoire ont alors été ouvertes et le public admis à y pénétrer librement", enfin que "à l'issue des délibérations, l'audience étant toujours publique, le président a lu l'arrêt de condamnation". L'avocat de l'accusé, qui avait personnellement constaté que les textes étaient respectés à la lettre, a pourtant formé un pourvoi et a soutenu (je me doute que cette fois-ci vous n'allez pas me croire alors s'il vous plaît allez lire vous-même la décision) que l'arrêt de condamnation n'avait pas été rendu… en audience publique. En quelques mots la cour de cassation a rejeté ce pourvoi (arrêt n° 07-81287).
- Attendez, ne partez pas tout de suite, il y a mieux encore. Toujours à propos de la publicité des audiences, rappelons que celle-ci impose que toute personne qui le souhaite puisse entrer dans la salle pendant le procès. Mais dans les palais de justice les portes ne sont pas grandes ouvertes, surtout en période de froid ! Et dans certains palais anciens, il existe des sas, c'est-à-dire qu'il faut pousser deux portes successives pour accéder à l'audience. Le fait que ces portes soient rabattues n'empêche évidemment personne de les pousser. Dans une affaire, un avocat a soutenu devant la cour de cassation que parce que les portes de la salle dans laquelle s'était tenu le procès de son client n'étaient pas restées grandes ouvertes (c'était en mars dans le centre de la France..), c'est que l'audience n'était pas publique. La cour s'est contenté de relever que l'audience avait bien été publique pour rejeter le pourvoi en quelques mots (arrêt n° 03-83048).
- Maintenant prenons un dernier exemple et terminons en beauté. Un principe fondamental en cour d'assises est que le délibéré doit se dérouler de façon secrète. Cela signifie qu'en dehors des juges et des jurés personne ne doit y participer. Dans une affaire, un avocat, en invoquant la convention européenne des droits de l'homme, rien de moins, a soutenu que les droits de son client avaient été violés parce que (tenez vous bien), en se penchant à l'une des fenêtres de la salle d'audience, il devenait possible d'apercevoir, dans la vitre d'un bâtiment se trouvant de l'autre côté de la route par rapport au palais de justice, un reflet de la salle des délibérés. La cour de cassation a d'une phrase rappelé le contenu de la règle et rejeté le pourvoi (arrêt n° 04-87833).
Décrire ces pourvois aberrants ne suffit pas, et il faut poursuivre la réflexion un peu plus loin.
Tout d'abord, il serait intéressant de savoir si les avocats qui forment de tels pourvois informent leurs clients du caractère absurde et surtout illusoire de leur argumentaire. Si tel est le cas, tant pis pour le client qui en connaissance de cause tente une dernière fois, même vainement, d'échapper à la condamnation. La situation est plus délicate si l'avocat conseille à son client d'accepter un pourvoi sans lui dire clairement qu'il n'a aucun argument sérieux à présenter à la cour de cassation. On se promène alors entre silence impardonnable et tromperie délibérée.
Ensuite, il serait utile de connaître le montant des honoraires complémentaires que les avocats demandent pour former ces pourvois inutiles. Parfois c'est l'avocat qui a assisté l'accusé pendant le procès qui formalise lui-même le pourvoi. Parfois cet avocat demande à ce qu'il soit rédigé et présenté par un avocat à la cour de cassation (il s'agit d'avocats spécialisés qui n'interviennent que devant la cour de cassation). Quoi qu'il en soit ces avocats interviennent rarement de façon bénévole…
D'où cette dernière interrogation troublante : les avocats qui encaissent les honoraires correspondant aux pourvois en cassation qu'ils savent sans intérêt informent-ils toujours leurs clients que ceux-ci les payent pour une démarche qui d'évidence ne mènera à rien ?
* Si vous souhaitez lire ces décisions en texte intégral, allez sur la page jurisprudence de Légifrance, et entrez le numéro de l'arrêt dans le rectangle "numéro d'affaire".