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Publié par Parolesdejuges

 

La chambre criminelle de la cour de cassation vient de rendre un arrêt très important, quand bien même il n'aura peut-être pas la portée qu'on lui prête à la première lecture.

La problématique est la suivante :

Certains établissement pénitentiaires sont en France dans un grand état de vétusté, auquel s'ajoute pour certains d'entre eux une surpopulation permanente. Cela peut aboutir à des conditions de détention très dégradées.

Il est mentionné dans l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (texte intégral ici) que "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants." Dans certaines situations, les conditions de détention très mauvaises peuvent être qualifiées de traitement inhumain ou dégradant.

La question au coeur du débat est celle de la sanction en cas de constat de l'existence de conditions de détention inacceptables. Et plus précisément de la possibilité pour le détenu d'obtenir sa remise en liberté.

Jusqu'à présent, la chambre criminelle jugeait que : "une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d'engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle légal au placement et maintien en détention provisoire" (arrêt du 18 septembre 2019 ici). Autrement dit, et sauf risque d'atteinte grave à la santé du détenu, des conditions de détention inacceptables pouvaient ouvrir droit à une indemnisation mais ne pouvaient pas être un motif de remise en liberté du détenu concerné.

Au delà de l'analyse juridique de la problématique, l'explication en arrière plan est aisément identifiable. Il s'agit d'éviter que des individus susceptibles d'être dangereux ne soient remis en liberté au seul motif de leurs conditions d'emprisonnement provisoirement dégradées.

Mais dans un récent arrêt du 30 mai 2020 concernant la France, particulièrement long et détaillé (texte intégral ici), la Cour européenne des droits de l'homme (son site)  a rappelé et énoncé les principaux critères applicables en termes d'acceptabilité des conditions de détention (cf.not. § 254 svts), l'espace de vie disponible pour chaque détenu étant au centre des préoccupations.

La Cour européenne a également fixé les grandes lignes du raisonnement que doivent suivre les juges nationaux : "lorsque la description faite par les requérants des conditions de détention supposément dégradantes est crédible et raisonnablement détaillée, de sorte quelle constitue un commencement de preuve dun mauvais traitement, la charge de la preuve est transférée au gouvernement défendeur, qui est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les allégations du requérant. Le gouvernement défendeur doit alors, notamment, recueillir et produire les documents pertinents et fournir une description détaillée des conditions de détention du requérant." (§ 258).

Elle a enfin précisé s'agissant de l'efficacité des contestations : "Par ailleurs devrait être établi un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective, en combinaison avec le recours indemnitaire (..), de redresser la situation dont ils sont victimes et dempêcher la continuation dune violation alléguée."

Dans l'arrêt commenté, la chambre criminelle a tiré les conséquences de cette décision. Et elle a jugé que :

"En tant que gardien de la liberté individuelle, il (le juge judiciaire) lui incombe de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et de s’assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant. (..)

Il résulte de ce qui précède que, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention est suffisamment crédible, précise et actuelle, de sorte qu’elle constitue un commencement de preuve de leur caractère indigne, il appartient alors à la chambre de l’instruction, dans le cas où le ministère public n’aurait pas préalablement fait vérifier ces allégations, et en dehors du pouvoir qu’elle détient d’ordonner la mise en liberté de l’intéressé, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’en apprécier la réalité.

Après que ces vérifications ont été effectuées, dans le cas où la chambre de l’instruction constate une atteinte au principe de dignité à laquelle il n’a pas entre-temps été remédié, elle doit ordonner la mise en liberté de la personne, en l’astreignant, le cas échéant, à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou à un contrôle judiciaire."

Cette évolution jurisprudentielle se comprend et n'est pas discutable.

Les droits les plus fondamentaux énumérés dans la Convention européenne des droits de l'homme ne sont pas des droits théoriques. Les valeurs qu'ils protègent sont d'une telle importance qu'il doit s'agir de droits effectifs, concrètement et efficacement protégés. Ne pas rechercher et encore moins imposer leur mise en oeuvre réelle serait renoncer à leur protection.

En plus, ne sanctionner les conditions indignes de détention que par le biais d'une indemnisation financière n'est pas de nature à contraindre les gouvernements à procéder aux modifications indispensables dans les établissements pénitentiaires ni à mettre fin aux violations des droits des détenus concernés. L'indemnisation ne change rien à la situation des détenus pour le présent et ne contraint à aucune modification radicale pour l'avenir. La preuve en est que les conditions de détention dégradées, même si elles se sont réellement améliorées dans divers établissements, anciens ou neufs, sont connues de tous depuis des dizaines d'années. Et qu'elles existent encore aujourd'hui dans certains endroits.

Comme l'écrit l'un des juges de la CEDH dans son opinion concordante : "la perspective d’une indemnisation future ne doit pas servir à légitimer des souffrances graves contraires aux droits fondamentaux consacrés par l’article 3 de la Convention, d’autant plus que pareille situation affaiblirait de manière inacceptable l’obligation légale qui est faite aux États de mettre leurs systèmes juridiques en conformité avec les normes de la Convention."

C'est le même raisonnement qui est déjà pris en compte par la chambre criminelle s'agissant de la durée des détentions provisoires au regard de l'encombrement des juridictions et notamment des cours d'assises. Cet encombrement ne peut pas être un critère pour retarder la date du jugement, ni une raison acceptable de prolonger trop longtemps les détentions provisoires. Sinon aucun moyen supplémentaire ne sera donné à la justice pour audiencer dans des délais raisonnables.

Par ailleurs, la chambre criminelle a précisé les diverses étapes à suivre, en miroir au raisonnement de la Cour européenne : le détenu requérant doit fournir des éléments crédibles, précis et actuels, si ces éléments sont suffisamment sérieux le ministère public ou la chambre de l'instruction doivent vérifier ce qu'il en est et en tirer les conséquences en allant jusqu'à une éventuelle remise en liberté si l'atteinte au droit fondamental n'a pas cessé.

Elle ajoute clairement que "L’administration pénitentiaire se trouve ainsi mise en mesure de faire cesser le trouble éventuel avant même que la chambre de l’instruction ne se prononce. "

Mais il ne faudrait pas penser que demain de nombreux détenus vont être remis en liberté à cause de mauvaises conditions de détention.

L'une des raisons est que, comme l'indique la chambre criminelle, le juge chargé du contentieux de la liberté saisi par un détenu devra apprécier la situation de celui-ci non pas au jour de la requête mais au jour où il statue. Pour reprendre le terme choisi par elle, entre ces deux dates il aura pu être "remédié" à la mauvaise situation carcérale. Alors qu'à l'inverse, s'agissant d'indemniser le préjudice éventuellement subi du fait de mauvaises conditions de détention, ce préjudice indemnisable peut cesser par une mutation du détenu mais cela ne le fait pas disparaître pour le passé.

Il est donc probable que, pour faire obstacle à une remise en liberté, l'administration pénitentiaire déplace le détenu requérant ou au moins améliore ses modalités d'emprisonnement pour qu'au moment de l'examen de sa requête la situation critique de détention n'existe plus.

Une dernière remarque s'impose.

Dans l'arrêt de la cour de cassation, pas plus que dans la note qui l'accompagne, il n'est mentionné que la dangerosité du détenu puisse être un obstacle à sa remise en liberté en cas de conditions de détention inacceptables.

Pour ce qui concerne les détenus gravement malades, il est indiqué dans l'article 147-1 du code de procédure pénale (texte ici) que : "En toute matière et à tous les stades de la procédure, sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la mise en liberté d'une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée, d'office ou à la demande de l'intéressé, lorsqu'une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention."

Cette limite du risque grave de renouvellement de l'infraction ne semble pas devoir s'appliquer dans l'hypothèse des conditions inacceptables de détention, quand bien même le requérant serait un récidiviste dangereux.

Mais là encore il suffira à l'administration pénitentiaire de modifier les conditions de détention de l'intéressé pour que la question de la remise en liberté ne se pose plus à l'audience.

C'est pour toutes ces raisons que, même s'il s'agit d'une décision très importante en théorie, elle est avant tout un avertissement au gouvernement et au Parlement, qui, seuls, définissent les conditions de détention dans notre pays.

 

 

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