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Publié par Parolesdejuges

  

Par Mme C.C, juré en 2016

 

Quand j'ai été informée de mon tirage au sort, c'est « Aïe, aïe, aïe », qui a été ma première réaction. Plus sérieusement, je me suis dit que j’aurais préféré ne pas être tirée au sort. C’était en début d’année, à partir des listes électorales. Mais en fait, tout cela paraissait assez hypothétique puisqu’il y avait un autre tirage au sort annoncé.

Le nouvel avis est arrivé en juillet, la veille de mon départ en vacances. A ce moment- là je me suis dit que cette fois-ci j’allais devoir y aller, il fallait que je me prépare. Je n’étais pas dans un état d’esprit d’ouverture mais plutôt la sensation d’un gros truc qui me tombait sur la tête. Et puis, j’ai commencé à en parler autour de moi et les discussions m’ont fait cheminer et réfléchir à ce rôle que j’allais devoir tenir pendant 3 semaines. Progressivement c’est devenu une opportunité de participer à une instance en lien avec une idée de la démocratie. Que la justice fasse appel à des citoyens m’a renvoyée à mon rôle de citoyenne et le fait que je vis dans un pays où la citoyenneté est une notion précise et très concrète. Qui existe, ce qui n’est pas le cas de tous les pays… A partir de là, de juillet à octobre, j’ai lu pas mal d’articles sur l’organisation de la justice en France, des expériences de jurés, j’ai réfléchi aux interférences/complémentarités avec mon métier d’assistante sociale, bref, je me suis préparée.

J’ai eu beau me préparer, j’avais discuté longuement avec des personnes qui avaient été sélectionnées récemment, mais j’avais quand même besoin d’informations supplémentaires sur le contenu de ces 3 semaines. Les informations m’ont été données en grande partie lors de la réunion de la première matinée.

Je ne vois pas beaucoup de changement à y apporter. Nous sommes d’emblée transportés dans un univers étranger : le lieu est très solennel, tout le monde est tendu et j’étais assez inquiète aussi. La révision des jurés m’a surprise : venir à la barre demander une dispense, attendre le délibéré… Tout ceci nous montre que les choses se passent de façon très formelle, codifiée, respectant une procédure précise, y compris pour une « simple » dispense. Ce « formalisme » a confirmé que j’allais devoir assumer un rôle « sérieux ».

Je n’ai pas été tirée au sort pour la première affaire (ouf !) mais je suis restée l’après-midi pour voir comment le procès se déroulait. Le président avait annoncé que les enquêtes de personnalité, expertises psychiatrique et psychologique seraient entendues en premier et cela m’intéressait aussi d’un point de vue professionnel. J’ai trouvé que les experts avaient fait un travail très approfondi, surtout les n° 1 et 3. Et puis je suis partie.

J’ai été tirée au sort pour les 3 autres procès (et non récusée) et le fait d’avoir participé à 3 procès m’a fait mieux comprendre son organisation, davantage que si j’avais eu une seule expérience : l’ordre des interventions des uns et des autres, les suspensions de séance, le temps du délibéré… C’est un avantage de ce point de vue-là.

D’autre part, j’ai découvert et je le dis à ma façon, qu’un crime n’est pas abordé dans sa globalité (où la dimension la plus horrible viendrait empêcher de raisonner) mais il est découpé en bouts, en morceaux de puzzles, chacun d’eux analysé en détail, et reconstitué en un tout pour amener à prendre une décision. Cette opération intellectuelle est compliquée à faire. Cette méthode d’analyse n’est pas familière mais je me suis laissée guidée.

Les temps informels avec les autres jurés étaient très positifs pour parler (on est tellement muets pendant les audiences), échanger nos points de vue, souffler un peu, exprimer nos craintes, nos incompréhensions….Ainsi qu’avec le président pendant les suspensions.

En ce qui concerne les accusés, je n’ai pas eu de choc particulier. Je pense que mon métier m’avait probablement préparé à entendre leur parcours de vie. J’ai apprécié la façon dont le président s'adressait à eux, avec respect.

En ce qui concerne les parties civiles, il m’est difficile de faire des commentaires. Excepté que des personnes en souffrance se sont exprimées et ont été entendues. Qu’attendaient-elles du procès ? Est-ce que la peine prononcée leur convient ? Je n’en sais rien. Ceci dit dans l’affaire du viol avec séquestration, j’ai sursauté quand l’avocat général a décrit l’agression et que j’ai vu la victime fondre en larmes car elle s’était efforcée jusque-là de cacher les détails à son entourage. Et puis, je me suis dit que la justice ne pouvait pas juger sans dire les mots et que cela avait un sens. Pas sur le moment, c’était brutal. Mais j’espère plus tard pour cette jeune femme.

Les experts de la balistique, médecine légale, policiers et gendarmes, sont très rigoureux. J’ai trouvé un travail de qualité, précis, sans langue de bois. J’ai trouvé que tous les experts dans les 3 procès étaient professionnels et ils présentaient un travail réfléchi. Ils n’étaient pas toujours épargnés par l’avocat général ou les avocats : les questions posées les poussaient au bout de leur analyse. Visiblement, tous avaient déjà eu l’occasion de parler à la barre. 

Les avocats de la défense : à 2 procès, les plaidoiries des avocats  étaient humaines, respectueuses des victimes et des accusés, concordantes avec le réquisitoire de l’avocat général. La difficulté de la décision de peine en délibéré en a été atténuée.

En revanche, dans le dernier procès (viol sur personne vulnérable), l’avocat de la défense a été une caricature de malhonnêteté intellectuelle et j’avoue avoir été perturbée par sa plaidoirie (ainsi que ses coups d’éclat la veille et dans la matinée). Sa demande d’acquittement était tellement opposée au réquisitoire que c’était difficile d’être sûre de moi. Décoder les manoeuvres, comprendre le raisonnement juridique…n’a pas été simple dans cette affaire n°3.  En plus, l’accusé ne reconnaissait pas les faits et je me sentais manipulée par ses avocats. Il y avait la fatigue aussi (6ème jour pour moi).

3 procès, 3 avocats généraux différents, 3 personnalités différentes. Avec une base d’intervention que j’ai sentie commune aux 3. Le dernier étant le plus véhément et spectaculaire des 3..

Le délibéré. C’est à ce moment précis que j’ai dû « réunir tous les éléments du puzzles »…Compliqué. Je suis venue avec mes références, mes systèmes de valeurs, les frontières que je place à tel endroit entre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, …et pendant le temps du délibéré il a fallu que je re-visite tout ça, dans la confrontation avec les autres membres de la cour. Cela « chamboule ». Et c’est intéressant, car cela permet de se mettre au courant soi-même de ce que l’on pense, de ses représentations de la justice, la normalité, la prison, l’égalité des chances, des mécanismes psychologiques de défense que j’ai mis en place…

Le temps consacré à nos échanges m’a paru indispensable mais il est resté un peu formel : j’aurais apprécié qu’on parle à bâtons rompus un peu plus longtemps avant de faire un tour de table plus strict. Difficile de doser le temps consacré à la réflexion et celui, plus individuel, de la prise de décision…Et puis, sans doute que tous les jurés n’ont pas les mêmes besoins.

Ce qui m’a été difficile dans le délibéré, c’est qu’il faut se prononcer immédiatement après avoir entendu toutes les parties. Mon temps de réflexion est sans doute plus long que le temps imparti. Par exemple pour le 3ème procès (viol sur personne vulnérable), ce n’est que le lendemain que j’ai eu vraiment conscience de ce que j’avais entendu et que je pouvais me positionner moins difficilement.

Mon idée de la Cour d’Assises est bien sûr très différente aujourd’hui, je n’avais jamais été confrontée à cela.

Le président l'a répété à plusieurs reprises, « nous prenons le temps », et j’ai pu constater en effet que le travail y était approfondi et de grande qualité. Même si je n’avais pas cette image précise, j’étais déjà convaincue que la justice en France fonctionne bien, hormis que ses moyens en personnel sont insuffisants…

J’ai pu toucher du doigt quelques unes de ses fonctions : garantir la protection des citoyens, participer au mieux-être des victimes, entre autres.

Ce que je retiens de tout cela, c'est une grande fatigue psychologique pendant les 2 semaines de procès auxquels j’ai participé ; mes efforts permanents pour entendre, comprendre, faire la difficile synthèse d’éléments complexes ; un enrichissement intellectuel dans la mesure où j’ai dû revisiter mes convictions et mes idées et tout « reclasser » ensuite en ajoutant de nouvelles informations ; je me suis sentie très bien accueillie par les greffiers et tous les professionnels rencontrés ; merci.

Finalement, j’ai le sentiment qu’il m’a été confié une tâche noble et j’en suis honorée. Je me suis investie comme j’ai pu, avec des maladresses parfois dans le langage ou les réactions, mais avec une grande implication et sérieux. A ce jour, c’est pour moi une expérience d’une grande qualité.

 

 

 

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