Les vertiges de l'aveu (Bibliographie)
Les éditions Stock (leur site) ont récemment publié un livre écrit par Julie Brafman, journaliste (cf. ici), intitulé "VERTIGES DE L'AVEU" (cf. ici).
Au coeur de l'ouvrage, Julie Brafman aborde une question essentielle que tous ceux qui de près ou de loin participent à un processus pénal doivent se poser : pourquoi des individus n'ayant commis aucun crime en sont arrivés un jour à dire, au cours de leurs auditions en garde à vue, en face de policiers ou de gendarmes, qu'il en avaient bien commis un ?.
Il s'agit là d'une réalité, incontestable, que Julie Brafman analyse à travers quelques exemples tirés d'affaires traitées par la justice.
Elle n'est pas la première à mettre en avant ce phénomène plus que surprenant. Il y a quelques années Valérie Mahaut avait écrit un livre intitulé "Une erreur judiciaire presque parfaite", publié aux éditions du Moment (lire ici), consacré à cet homme qui a passé six années en prison après avoir déclaré en garde à vue avoir commis un crime alors que tel n'était pas le cas. Le véritable auteur du crime a ensuite été jugé et condamné.
Julie Brafman explique, après un rapide rappel historique, comment les conditions matérielles des interrogatoires, les multiples formes de pression physiques ou psychologiques, les techniques de harassement, ont pu dans le passé conduire à un vertige mental ouvertement revendiqué à certaines époques dans les documents rédigés par les écoles de police ou de gendarmerie.
Et c'est bien là le coeur de la question : Dans quel état doit être celui qui n'a rien fait mais qui pourtant, en face d'un enquêteur, répond positivement à une question sur sa participation à un crime. Ce moment où, comme elle l'écrit, un individu avoue uniquement pour que ce qu'il est en train de subir et qui lui est insupportable s'arrête.
Mais le livre de Julie Brafman va plus loin. Elle s'interroge aussi sur les raisons de certains aveux, cette fois-ci correspondant à la vérité. En effet, il est tout aussi indispensable de se demander pourquoi ceux qui pourraient se contenter de nier, au-delà des éléments à charge des dossiers, ressentent parfois en eux-mêmes le besoin de dire ce qu'ils ont fait.
Selon sa belle et parlante expression, certains criminels préfèrent "l'emprisonnement du corps à celui de l'âme". La prison, plutôt que le mensonge et le remords sans fin. D'autres "ne se reconnaissent pas dans le miroir de leurs agissements" et veulent donner une image d'eux-même détachée de leur seul acte criminel. Comme elle le souligne aussi il peut y avoir de temps en temps l'influence de la religion, avec les notions de culpabilité et de repentir.
En complément, Julie Brafman souligne que le refus d'avouer s'explique parfois non par une simple tentative d'éviter la sanction, mais par l'impossibilité pour le criminel de se présenter tel qu'il est : l'auteur d'un acte abominable. C'est, selon son expression, "préférer la douce couverture de l'innocence au manteau de ronces". Cela d'autant plus quand les proches sont dans la salle et voudraient tant que l'accusé n'ait réellement pas fait ce qui lui est reproché. (lire ici)
Julie Brafman raconte aussi, comme un autre versant de cette même problématique, l'histoire de cet homme poursuivi pour un crime et qui avait réussi à convaincre son avocat qu'il était innocent. Avocat qui a tout donné devant la cour d'assises en expliquant que ce serait une aberration que son client innocent soit condamné. Mais avocat qui est tombé des nues, c'est peu dire, quand juste après l'énoncé de la sanction, pendant une suspension, son client lui a avoué que c'était bien lui l'auteur du crime.
Julie Brafman rappelle, comme elle le devait, que l'environnement juridique a considérablement évolué avec, dorénavant, la présence de l'avocat dès les premières heures de la garde à vue. Cette modification légale, absolument indispensable, est de nature à faire obstacle aux situations qui, autrefois, ont conduit des personnes à reconnaître ce qu'elles n'avaient pas fait par épuisement physique ou psychologique. Ce qui fait de l'avocat, selon Julie Brafman, "une barrière physique contre l'agressivité des enquêteurs." Il en est allé de même avec l'enregistrement obligatoire des auditions en matière criminelle. Citons dans le même sens le droit de se taire qui doit être notifié aux personnes soupçonnées de la phase d'enquête à leur comparution devant la juridiction pénale.
Il est quand même nécessaire d'apporter quelques nuances ou compléments aux propos de Julie Brafman.
Contrairement à l'expression communément utilisée par facilité, l'aveu n'a jamais été à ce point la "reine des preuves". En effet, si l'aveu consiste pour un accusé à reconnaître son implication dans un fait criminel (ou délictuel), cet aveu renseigne rarement sur tous les éléments de l'affaire. En cour d'assises, il est très fréquent (et de plus en plus) que les accusés admettent leur participation au fait pour lequel ils sont poursuivis, autrement dit le principe de leur culpabilité, mais discutent certaines facettes de leur participation : qui en a eu l'idée, qui a fourni l'arme, comment les rôles étaient répartis entre les co-auteurs, quel a été le comportement de la victime, y a-t-il eu intention homicide....
Autrement dit, un aveu ne permet que très rarement d'avoir une vision complète et suffisante de l'affaire. Même s'il y en a quelques uns, rares sont les accusés qui non seulement admettent leur participation mais expliquent dans le détail, sans rien transformer de la réalité, quelle a été leur exacte participation dans la commission du crime.
Enfin, l'aveu est de moins en moins une pièce maîtresse des procès pénaux. Dans un très grand nombre de dossiers, c'est même un élément secondaire. La technique scientifique a fait de tels progrès que nombreux sont les criminels condamnés aujourd'hui qui, il y a des années, seraient passés entre les mailles du filet. Et qui admettent le principe de leur culpabilité pénale, non pas à cause de pressions excessives exercées sur eux ou du fait d'une volonté de reconnaître spontanément le crime commis, mais à cause tout simplement d'une impossibilité de faire autrement en présence de preuves matérielles qu'ils savent ne pas pouvoir discuter et qui les impliquent dans la commission du crime (sous les réserves mentionnées plus haut).
En tous cas le livre de Julie Brafman, documenté et passionnant, intéressera un très large public, bien au-delà des seuls professionnels de la justice.