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Publié par Parolesdejuges

 

- Récemment, un responsable politique a été poursuivi devant les juridictions correctionnelles pour avoir commenté de façon très (trop ?) critique le travail d'un juge d'instruction ayant mis en examen un autre responsable de la même formation politique. Après sa relaxe par un tribunal correctionnel (lire ici), l'affaire est rejugée par une cour d'appel (lire ici).

D'après les media, cet élu aurait prononcé notamment les paroles suivantes (lire ici) : 

« Je conteste la manière dont il a fait son travail (…) je la trouve indigne, je trouve qu'il a déshonoré un homme, les institutions, la justice »

La décision du juge est « grotesque » et est une « salissure pour la France »

- Le cadre juridique interne est le suivant :

Un passage du code pénal est intitulé "Des atteintes au respect dû à la justice" (textes ici). Il comporte les deux articles suivants :

Article 434-24 : "L'outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l'envoi d'objets quelconques adressé à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Si l'outrage a lieu à l'audience d'une cour, d'un tribunal ou d'une formation juridictionnelle, la peine est portée à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 euros d'amende."

Article 434-25 : "Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d'une décision. (..)".

Concernant l'outrage envers un magistrat, ont été retenus par la cour de cassation les propos suivant : "elle touche du fric" (cf ici), "(ils)se sont transformés en commissaires politiques, qui ont outrepassé leurs droits et sali la magistrature, préférant s'attaquer aux élus de la droite plutôt que de s'attaquer aux voyous (..) marre de voir des juges rouges qui s'opposent à la volonté du peuple et au travail des policiers" (cf. ici), "situé aux antipodes du magistrat que vous devriez être … c'est bien un jugement inique qui est sorti de votre conscience (..)  je ne puis qualifier votre comportement que d'ignoble" (cf. ici), "forfaiture", "faux en écritures publiques et authentiques", et  "coalition de fonctionnaires" (cf. ici), "a manqué au devoir d'honneur et à la bonne éducation " (cf. ici), "ce parquet est la honte de la nation" (cf. ici).

Cela a été l'occasion pour la cour de cassation d'écrire dans une décision de 2012 (cf. ici) que :

"(..) si toute personne a droit à la liberté d'expression et si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives aux procédures pénales ainsi qu'au fonctionnement de la justice, l'exercice de ces libertés comporte des devoirs et des responsabilités et peut être soumis, comme en l'espèce où les limites admissibles de la liberté d'expression dans la critique de l'action de magistrats ont été dépassées, à des restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la dignité du magistrat ou au respect dû à la fonction dont il est investi."

S'agissant de la seconde infraction précitée, les décisions de justice sont rares.

On trouve dans les banques de données un arrêt de 1997 de la cour de cassation. Une personne était poursuivie pour avoir utilisé notamment la formule : "les boeufs-tigres, bêtes comme des boeufs, féroces comme des tigres " pour dépeindre un juge d'instruction et les magistrats d'une chambre d'accusation.

La cour de cassation a jugé ainsi pour justifier la condamnation pénale de l'intéressé :

"(..) si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en son premier paragraphe, reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit, en son second paragraphe, que l'exercice de cette liberté, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent dans une société démocratique des mesures nécessaires, notamment, pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; que tel est précisément l'objet de l'article 434-25 du Code pénal ;" Que, par ailleurs, les déclarations incriminées entrent dans les prévisions de cet article, dès lors que, en mettant en cause en termes outranciers l'impartialité des juges ayant rendu la décision critiquée et en présentant leur attitude comme une manifestation de "l'injustice judiciaire", leur auteur, excédant les limites de la libre critique permise aux citoyens, a voulu atteindre dans son autorité, par-delà les magistrats concernés, la justice, considérée comme une institution fondamentale de l'Etat."

- La CEDH (son site) est parfois intervenue autour de cette problématique. Dans un arrêt de 2015 (texte intégral iciconcernant les critiques d'un avocat français contre une juge d'instruction, elle a indiqué que  :

"Les questions concernant le fonctionnement de la justice, institution essentielle à toute société démocratique, relèvent de l’intérêt général. À cet égard, il convient de tenir compte de la mission particulière du pouvoir judiciaire dans la société. Comme garant de la justice, valeur fondamentale dans un État de droit, son action a besoin de la confiance des citoyens pour prospérer. Aussi peut-il s’avérer nécessaire de protéger celle-ci contre des attaques gravement préjudiciables dénuées de fondement sérieux, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats visés de réagir. (..) L’expression « autorité du pouvoir judiciaire » reflète notamment l’idée que les tribunaux constituent les organes appropriés pour statuer sur les différends juridiques et se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence quant à une accusation en matière pénale, que le public les considère comme tels et que leur aptitude à s’acquitter de cette tâche lui inspire du respect et de la confiance (..Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer non seulement au justiciable, à commencer, au pénal, par les prévenus (..), mais aussi à l’opinion publique (..) Il reste qu’en dehors de l’hypothèse d’attaques gravement préjudiciables dénuées de fondement sérieux, compte tenu de leur appartenance aux institutions fondamentales de l’État, les magistrats peuvent faire, en tant que tels, l’objet de critiques personnelles dans des limites admissibles, et non pas uniquement de façon théorique et générale (..). À ce titre, les limites de la critique admissibles à leur égard, lorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions officielles, sont plus larges qu’à l’égard de simples particuliers (..)."

- Si la limite entre l'expression crtique autorisée et l'agression verbale ou écrite excessive et interdite est délicate à fixer, il n'en reste pas moins que tout n'est pas permis à l'occasion du débat sur la justice et que les dérapages excessifs peuvent être pénalement sanctionnés.

Fixer de telles limites est-il de nos jours archaïque et désuet ? Ou inacceptable ? Tout dépend du rôle que l'on assigne à ces limites.

S'il s'agit de faire de la justice une citadelle imprenable à l'abri de tout commentaire sur son fonctionnement, alors effectivement ce n'est plus justifiable. Tout service public, toute autorité, tout pouvoir, doit pouvoir être observé, analysé, et critiqué par chaque citoyen.

Mais s'il s'agit de faire en sorte de ne pas fragiliser sans raison valable le socle d'une institution indispensable au bon fonctionnement d'une démocratie, en même temps de permettre aux magistrats de faire leur travail dans un environnement serein et en dehors des pressions et agressions de toutes sortes, alors la règle de droit semble compréhensible.

Quoi qu'il en soit le débat le plus intéressant n'est pas juridique. Les véritables enjeux sont ailleurs. Alors oublions dès à présent cette affaire particulière et tentons de raisonner de façon générale.

- Dans un premier temps, on peut se questionner sur l'opportunité de poursuites contre ceux qui utilisent des expressions inutilement méprisantes pour parler des décisions judiciaires ou des juges.

Le recours à l'injure, la grossièreté, l'agressivité sous toutes les formes imaginables, sont d'abord, chez celui qui s'y laisse aller, un aveu de médiocrité. En effet, celui qui a les capacités et la volonté d'exprimer un point de vue avec une subtile intelligence, qui a de solides arguments en faveur de sa thèse, ne ressent pas le besoin d'aller patauger dans les eaux boueuses de la médisance.

Il y a eu, il y a, et il y aura toujours des gens pour choisir la facilité de l'agression verbale plutôt que l'effort du débat d'idées. La justice, les magistrat, continueront à l'infini à faire l'objet d'attaques de bas niveau. Cela ne s'arrêtera sans doute jamais.

Alors est-il bien nécessaire de relever chaque propos médiocre et sans le moindre intérêt, même s'il est exagérément agressif ? Ne faut-il pas plutôt traiter par l'ignorance ce qui ne mérite aucune considération ? Et, sereinement, tourner le dos à tout ce qui est dérisoire ? Pour ne donner aucune importance à ce qui n'en a fondamentalement pas.

Sans doute peut-on comprendre les magistrats qui se lassent des attaques en dessous de la ceinture, d'autant plus que leur devoir de réserve leur interdit de répondre avec vigeur aux vilipendeurs qui en profitent et en abusent sans modération. Magistrats qui souhaitent, de temps en temps, qu'il soit rappelé qu'il existe une ligne rouge à ne pas franchir.

Il n'empêche que l'attitude la plus judicieuse en cas d'attaque grossière et dépourvue d'argumentaire n'est pas nécessairement de lui faire de la publicité. Laisser les médiocres à leur médiocrité pourrait s'avérer aussi efficace.

Les magistrats doivent apprendre à être indifférents. Et poursuivre leur travail quoi qu'il arrive.

D'autant plus que la plupart du temps ceux qui dans l'opinion publique ont entendu les propos grossiers ne sont pas dupes. La plupart des citoyens sont suffisamment intelligents pour faire la part des choses entre la critique argumentée sur la justice et l'agression vulgaire. Il n'est nul besoin de leur expliquer où est l'intelligence et où elle n'est pas. Ils le savent très bien. 

- L'agression contre la justice ou les juges a toujours eu une fonction cachée : détourner l'attention du fond du dossier. C'est la classique stratégie du bouc-émissaire. Quand il est difficile de trouver des arguments techniques contre une décision de justice, de critiquer une motivation complète et sérieuse, et quand on veut pourtant contester une mise en cause judiciaire, il ne reste rien d'autre pour éviter le débat sur les éventuelles fautes commises que de s'en prendre au juge, pour détourner l'attention sur lui. En effet, aussi longtemps qu'on parle du juge on ne parle pas du dossier. 

Il y a quelques années, quand les premiers chefs d'entreprise et les premiers élus ont été inquiétés, a été créée et jetée en pâture aux media la notion de "gouvernement des juges". Pour tenter de faire croire que, quand une juridiction condamnait pénalement ces personnes pour les malversations commises, c'était dans un but inavoué (lequel ?) n'ayant rien à voir avec le contenu du dossier. Cela même quand il était démontré qu'une infraction pénalement réprimée avait bien été commise. L'objectif était déjà le même : faute de pouvoir contester la réalité des infractions, il fallait au plus vite trouver un dérivatif pour tenter de faire croire à l'opinion publique que la condamnation n'était due qu'à la partialité du juge et non pas à l'infraction commise. Déjà à cette époque il fallait parler du juge pour ne pas parler des malversations. La mise en cause violente du juge devait arriver à cacher, à faire oublier le contenu du dossier judiciaire. 

C'est ce procédé qui continue à être utilisé de nos jours. Moins souvent sans doute car le stratagème est éventé depuis longtemps. Mais à défaut d'autre moyens certains y ont encore recours.

Il n'empêche, une fois encore, qu'il n'est pas forcément indispensable de donner un grand retentissement à ce qui n'en mérite pas.

Venons en maintenant aux aspects les plus fondamentaux du débat.

- C'est certain, le droit français et le droit international protègent très fortement le droit à la liberté d'expression. Ce droit de s'exprimer est en effet le socle des sociétés démocratiques. C'est bien pour cela que les régimes totalitaires commencent toujours par réduire la liberté d'expression en contrôlant voire en bloquant rapidement les canaux de diffusion des idées. Avoir en face de soi quelqu'un susceptible de démontrer que vous avez tort a toujours effrayé.

Le droit de s'exprimer, le plus librement possible, et surtout dans la critique, doit donc être fermement protégé.

Mais nous parlons bien du droit de s'exprimer, de discuter, d'échanger des points de vue. Débattre, c'est avancer des arguments, c'est construire un raisonnement, c'est emboiter logiquement des idées pour au final tenter de convaincre de la justesse d'une thèse.

C'est cela qui est protégé. Rien d'autre. Les textes français, européens et internationaux ont été rédigés pour permettre et favoriser le débat d'idées. Par pour protéger la vulgarité.

Mais injurier, être grossier, mépriser, ce n'est avancer aucune idée.

De la part de celui qui utilise ces dérivatifs, l'argument qui consiste à prétendre participer au légitime débat sur la justice ne vaut pas. En effet, se contenter d'injurier un magistrat n'apporte aucun élément intéressant dans la discussion, légitime, sur le bien fondé de ses décisions. Qui, la plupart du temps, ne sont même pas lues par ceux qui portent les critiques les plus virulentes.

C'est pour cela qu'il y a, fondamentalement, quelque chose d'absurde à revendiquer le droit d'injurier au nom du droit à la liberté d'expression. Une injure (au sens large) qui n'exprime rien ne peut pas être une forme d'expression protégée. 

Sinon il faut être logique jusqu'au bout et, au non de la liberté d'expression, réclamer la dépénalisation de l'outrage, de l'injure, et des infractions semblables. 

- En plus, les slogans vides de sens, les dérapages verbaux de toutes natures, forment ensemble une barrière permanente qui fait obstacle à une approche critique mais sérieuse du fonctionnement de la justice. Autrement dit, non seulement l'agressivité excessive et injustifiée ne fait pas partie du débat d'idée, de la libre expression, mais elle est un obstacle à un tel débat, qui suppose, par définition, un minimum de sérénité entre les protagonistes.

Sans doute peut-on facilement comprendre qu'il est redoutablement plus difficile d'analyser objectivement une décision de justice que d'invectiver le magistrat qui l'a rendue. Mais cela peut-il être une excuse ?

- Allons encore un peu plus loin dans le débat.

Récemment, un célèbre humoriste a été relaxé en première instance alors qu'il était poursuivi pour avoir traité une élue de "conne" (lire ici).

Ce que l'on remarque, dans ces deux affaires comme dans tant d'autres, c'est que le débat sur la "liberté d'expression" se fait de plus en plus autour du droit d'utiliser grossièretés et injures. Autour du droit à la vulgarité. 

Cela renvoie à un récent article de ce blog, dans lequel nous abordions la question de la liberté de parole à l'audience, après qu'une partie civile se soit vue accorder à titre d'excuse légale le bénéfice de la provocation après avoir insulté un avocat qui l'avait exagérément mise en cause (cf. ici)

C'est le même enjeu dans l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui. Depuis quelques années tout est constamment tiré vers le bas. Vers la facilité, qui conduit inéluctablement à la médiocrité.

Finalement, le nouvel eldorado, revendiqué haut et fort par certains, serait une société dans laquelle, sous couvert de liberté absolue d'expression, nous consacrerions l'essentiel de notre temps à nous cracher les uns sur les autres.

Quel progrès !

 

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L
"Boeufs-tigres" est un vocable inventé et utilisé par Voltaire pour stigmatiser les juges d'Abbeville puis du Parlement de Paris,qui ont condamné le chevalier de La Barre à mort et à divers supplices, pour ne pas s'être découvert devant une procession religieuse.<br /> L'auteur des injures reprochées ci-dessus avait donc une certaine culture, qui aurait du le rendre accessible à des procédés d'un meilleur niveau........
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