Paroles de jurés (4)
Par Pierre Chalier
Juré à la session de mai 1995 à la Cour d’Assises. J’avais 43 ans, étais à l’époque enseignant en Lycée.
Plus de quinze années plus tard ce qu’il en reste : Une enveloppe à craquer de notes d’audience, de commentaires, de coupures de journaux. Jamais ré-ouverte depuis ! En définitive restent les souvenirs prégnants, ceux qui font encore vivre cette expérience.
Eléments de contexte :
La convocation a été amenée à mon domicile par deux gendarmes qui m’ont donné un document avec une attitude qui m’a paru surprenante, empreinte d’une sorte de respect loin des postures bureaucratiques.
Ce qui n’a pas été le cas de mon employeur local qui voulait que je remplace les cours non assurés lors des audiences où j’étais tiré au sort, qui voulait absolument un état précis de mes participations validé par un greffier, bref qui semblait fort rétif à ma participation citoyenne.
Plusieurs thèmes
La journée de préparation
Une demande qui n’a pas été satisfaite, sans savoir pourquoi : demande formulée par plusieurs personnes, visiter la prison de la ville. On nous a tellement raconté que l’on allait condamner à de la prison qu’il semblait normal d’en connaître le lieu et son fonctionnement. Même aujourd’hui je trouve cela totalement anormal.
La première séance de « validation des jurés »
J’ai assisté à la demande d’une institutrice qui avait gagné un séjour en Martinique pendant la période des assises et qui souhaitait en être exonérée. Le Tribunal accéda à sa demande. J’en ai été sur le coup fort surpris. A la réflexion j’avais trouvé cette décision judicieuse : aurait-elle été une bonne jurée, avec l’amertume d’avoir perdu un moment de plaisir qu’elle avait suffisamment investi pour demander à être dispensée d’audiences ?
La première audience
Juré n°7, j’ai été tiré le troisième ou quatrième (je ne vais pas aller chercher dans mes notes). J’avançais alors vers la barre quand l’avocat de la défense « me récusa ». Choc !
Dans le genre « choisi et refusé » dans le même mouvement. Cela m’a paru d’une grande violence.
Le premier délibéré
.. et les autres, car sur 5 affaires j’ai été tiré au sort 5 fois ! Mené avec attention par le Président, d’une grande pédagogie vis-à-vis des jurés. Au-delà des faits et de la personnalité de l’accusé, reste ce que l’on appelle le « quantum » de la peine. Et là en tant que juré on est dans une ignorance crasse ; pourquoi se baser sur ce que demande le Procureur, que dit le Code Pénal (on n’en sait rien). Bref sur la décision j’ai toujours eu l’impression que le juré n’était qu’un figurant. Les choix ne se faisaient que sur les propositions du Président ; une fois un de ses assesseurs s’est permis une proposition et il s’est fait sèchement rembarré.
Le premier juré
Placé à côté du greffier j’ai failli m’endormir à l’énoncé monotone et horrible des charges. J’ai signé je ne sais combien de pages, ni trop quoi à vrai dire : c’était la fonction !
Le déroulement des audiences
Etonnement de voir et d’entendre des situations qui au travers de la presse paraissaient emporter un jugement immédiat et qui sur place étaient d’une telle complexité qu’il devenait difficile de se constituer un jugement définitif sur les personnes. Car des faits horribles il y en a eu : incestes, viols sur mineurs etc. Mais du regard de la fille à son père qui en avait abusée au regard de la même à sa mère qui l’avait abandonnée, je me demandais qui était le plus condamné par cette enfant.
D’entendre combien des parents ne se sont jamais offusqués de voir arriver dans leur appartement, qui une nouvelle TV, qui un scooter (oui.. !!), qui des appareils photos, alors que leurs garçons étaient l’objet d’attouchements sexuels de la part d’un vieil homme, lui aussi violé dans son jeune âge par un prêtre… qui condamner ? Même le Président posa la question. De quelle misère parlait-on alors ?
Une affaire de vol à main armée dans une banque : la caissière se montre éplorée, faisant état de cauchemars, etc. Une seule question mit les pendules à l’heure : le nombre d’heures de formation dont elle a bénéficié par son employeur pour être préparée à ce genre de situation. Cela n’enlève pas l’émotion, cela permet de mesurer le spectacle qui se joue parfois.
Il est vrai que l’instruction menée par le Président donne un relief aux affaires, quant à soi-même poser des questions, cela est bien plus compliqué.
La dernière séance
Encore tiré au sort… Je m’avançais vers la barre, mais le visage tourné vers le Procureur et en passant je pris une mine déconfite en soufflant : « récusé » ! Le mot qui à la première audience m’avait fait mal était à la dernière un soulagement. Mon épouse était venue avec moi, avec l’intention d’aller faire du lèche-vitrines (je ne me voyais pas encore tiré au sort), ce que nous fîmes.
Un échange
Je ne sais plus de quelle affaire précise il s’agissait mais j’eus un échange après le procès avec un avocat dans la salle des pas perdus. Je m’étonnais auprès de lui de n’avoir pas été récusé alors qu’un enfant était la victime, que je pouvais avoir un regard plus sévère. Il me répondit que ma connaissance du monde adolescent pouvait être utile. Je ne l’ai jamais cru, pensant que la constitution du jury devait répondre à bien d’autres critères.
Un jour lorsque nous en reparlions, mon épouse me rappela qu’à la suite des affaires de mœurs que j’avais eu à « juger », j’avais eu une réaction plutôt ferme sur les heures et les jours de sorties de nos enfants (un garçon et une fille) qui avaient alors 13½ ans et 14½ ans.