Paroles de jurés (5)
Par Daniel Patin
J'ai été juré en cour d'assises à la fin des années 70, juste avant que ceux ci soient tirés au sort sur les listes électorales. Les jurés étaient alors nommés par le conseil municipal, et comme j'avais travaillé dans un greffe de tribunal de commerce, j'ai donc été choisi par ce même conseil, puis la commune tirée au sort, et donc je me suis présenté tous les jours pendant la session à la cour d'assises.
Le Président nous à (gentiment) expliqué le fonctionnement, notre rôle, nos devoirs, nos obligations et nos possibilités. un détail qui m'a semblé important et assez justifié : le président nous avait dit que si nous avions une question à poser, pendant l'audience, il valait mieux l'écrire sur un papier et lui transmettre. ceci permettant, à mon avis, d'éviter une question tendancieuse qui aurait pu servir à l'une des parties en cas d'appel ou de cassation.
J'ai été tiré au sort pour deux affaires et non réfuté par l'avocat général ou les avocats. L'une était un cambriolage dont l'une des victime était morte d'une crise cardiaque, et l'autre une maltraitance d'enfant. Dans les deux cas, nous étions dans le sordide, et si je dois en retenir quelques détails qui à mes yeux ont une valeur humaine plus que technique ou juridique, ce sont ceux ci :
Dans le cas du cambriolage, nous avions tout de suite compris qu'il y avait un meneur et deux pauvres suiveurs, et les peines que nous avions décidé, le président nous aidant dans notre décision mais jamais n'essayant de l'influencer, ces peines, donc furent relativement légères pour les deux 'suiveurs' et plus lourde pour le meneur. A la fin de l'énoncé des peines, l'un des deux suiveurs m'a regardé et ses yeux disaient "merci". Dans mon fort intérieur je lui souhaitais bonne chance et une bonne réinsertion.
Dans le cas de la maltraitante d'enfant (un bébé), où l'assistante sociale s'était fait engueuler par le président ("vous devriez être dans le box des accusés, madame!"), l'avocat du prévenu, un ténor du barreau, implorait notre pitié pour l'accusé, atteint d'un cancer incurable. Je pense que l'effet obtenu fut à l'encontre de l'effet recherché : nous n'avions aucune pitié à donner une lourde peine pour un accusé déjà condamné par la maladie.
J'ai le souvenir aussi de cette institutrice, membre des jurés, tirée au sort tous les matins et chaque fois réfutée, à sa grande fureur.
Et le souvenir d'un président à l'intelligence rare, nous trouvant relativement indulgents, et nous guidant sans jamais nous influencer.
Ce fut une expérience inoubliable que je souhaite à tous de vivre un jour. même si il est difficile de tout comprendre d'une affaire dont nous ne savons rien à l'avance et que nous découvrons à l'audience. Mais cette plongée dans l'humain est enrichissante et relativise nos jugements péremptoires dans les affaires présentées par les médias.
Je sais aujourd'hui qu'il est impossible de porter un jugement sans connaitre toute les causes et tous les faits.