Les plaintes des justiciables contre les magistrats, le bilan en 2011
Par Michel Huyette
Dans chaque profession, des personnes peuvent avoir un comportement critiquable. Il en va de l'institution judiciaire comme de tous les autres métiers. Là où travaillent des hommes et des femmes, il y a inéluctablement, de temps en temps, des faiblesses, des erreurs, mais aussi des fautes. Le nier reviendrait à se battre contre des évidences.
Encore faudrait-il se mettre d'accord préalablement sur la notion de faute sanctionnable disciplinairement, cette notion, en droit, devant être distinguée de la maladresse et même de l'incompétence (lire ici). Mais ce n'est pas l'objet du présent article.
Depuis l'année 2001, les justiciables peuvent saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) quand "à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du siège (ou du parquet) dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature". (pour plus de détails lire ici).
Dans son rapport pour l'année 2011, qui vient d'être publié (cf. ici), le CSM tire un premier bilan de cette nouvelle procédure (cf. p. 97 svts). Après une présentation des règles en vigueur dans d'autres pays européens, ainsi qu'un rappel historique français, il y est écrit, notamment :
- que parvient au CSM une "part importante" de lettres dont il est difficile de comprendre le contenu,
- qu'au cours de l'année 2011, 421 plaintes de justiciables ont été enregistrées, dont 310 visant un magistrat du siège, 62 un magistrat du Parquet, et 64 plaintes "mixtes"
- que sur ces 421 plaintes une seule a été déclarée recevable par l'une ou l'autre des commissions d'examen (8 autres plaintes étant à l'étude fin 2011),
- que l'analyse des plaintes reçues montre une mauvaise compréhension de la procédure par les plaignants, certaines d'entre elles faisant apparaître une incompréhension de la décision rendue, ce qui a fait que 55 % des plaintes ont été rejetées au motif qu'elles s'analysaient comme la contestation d'une décision en l'absence de tout élément pouvant laisser soupçonner que le magistrat visé ait statué pour des motifs autres que légitimes, et que 11,6 % ont été rejetées faute d'indication détaillée des faits et griefs allégués.
Ce qui est écrit dans le rapport du CSM n'est pas surprenant. Dans de nombreux procès, ce sont des parties qui s'opposent et qui, chacune, veulent avoir gain de cause. Perdre son procès entraîne souvent de la frustration, de l'amertume, ou de la colère, y compris chez ceux dont le dossier remis au juge ne comportait pas les éléments permettant d'emporter la conviction des magistrats.
Mais, la nature humaine étant ce qu'elle est, il est toujours plus facile de dire que "c'est la faute du juge", plutôt que d'admettre que la thèse défendue n'était pas la bonne ou qu'il n'a pas été possible d'apporter les justificatifs suffisants. Le réflexe du bouc émissaire a sans doute encore un bel avenir.
C'est pourquoi il était inéluctable que des justiciables ayant épuisé les voies de recours, et toujours insatisfaits de ne pas avoir eu gain de cause, déversent leur colère sur un magistrat devant le CSM sous couvert, même si apparamment cela n'est même pas souvent clairement expliqué dans les plaintes, d'une défaillance imaginaire de ce magistrat.
Il n'empêche que ce premier bilan ne doit certainement pas inciter à conclure que le mécanisme mis en place en 2011 ne sert à rien et que le CSM ne sera jamais que le réceptacle des aigreurs de justiciables n'admettant pas la réalité judiciaire.
L'existence d'une procédure pouvant aboutir à leur mise en cause est d'abord un rappel aux magistrats des responsabilités et obligations qui s'imposent quotidiennement à leur activité. C'est ensuite le moyen de faire apparaître au grand jour des défaillances fautives qui peuvent être réelles, même si elles sont peu nombreuses (cf le chapitre "Discipline des magistrats" dans chaque rapport annuel du CSM).
Le procédé doit donc impérativement être maintenu, même si, comme nous le fait comprendre le CSM, il est utilisé à tort par de nombreux justiciables qui risquent, une fois leur "plainte" légitimement rejetée, de ressentir une frustration supplémentaire.