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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


   Nous avons déjà abordé plusieurs fois le sujet ici : par le biais des QPC (lire iciici, et dans la rubrique dédiée de ce blog) soumises au Conseil constitutionnel (son site) d'une part, des décisions de la cour européenne des droits de l'homme d'autre part (cf. la rubrique justice et droits de l'homme), ce sont des pans entiers de notre législation qui sont actuellement visités et qui passent à la moulinette des droits fondamentaux. Avant, parfois, de passer à la trappe.

  Si la médiatisation des décisions n'est pas toujours de l'ampleur de celles qui ont abouti à un considérable bouleversement des règles relatives à la garde à vue (cf. la rubrique du même nom), il n'en reste pas moins que, par définition et parce que nos règles sont soumises au filtre des droits considérés comme essentiels énumérés dans la constitution française (texte ici) et dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (texte ici), chaque modification des règles internes pour défaut de conformité avec les normes supérieures est d'importance pour les justiciables.

  Nous nous arrêterons aujourd'hui sur une question qui vient d'être récemment soulevée par un prévenu sous la forme d'une QPC qui sera prochainement étudiée par la cour de cassation (lire ici), et qui concerne le déroulement ordinaire des procès en matière pénale.


  Les juridictions pénales entendent les personnes poursuivies et les parties civiles, mais aussi des témoins. Ceux-ci sont cités (c'est à dire convoqués - textes ici) à la demande de ces dernières et du ministère public. Dans les petites et simples affaires il arrive fréquemment que personne ne cite aucun témoin. Mais dans les affaires complexes ils peuvent être nombreux.

  Par ailleurs, quand la décision du tribunal correctionnel est frappée d'appel, l'affaire est entièrement rejugée par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel. Tout recommence depuis le début, sauf en cas d'appel limité. 

  S'agissant des témoins, l'article 513 alinéa 2 du code de procédure pénale (texte ici) contient actuellement cette règle, applicable uniquement devant la cour d'appel :

  "Les témoins cités par le prévenu sont entendus dans les règles prévues aux articles 435 à 457. Le ministère public peut s'y opposer si ces témoins ont déjà été entendus par le tribunal. La cour tranche avant tout débat au fond." (1)

  Cette règle qui ouvre la porte à une opposition à l'audition de certains témoins entendus en première instance est source de difficultés sérieuses.

  - Le ministère public est autorisé à s'opposer à l'audition des témoins cités par le prévenu, mais ne sont pas mentionnés les témoins cités par la partie civile. D'emblée il est difficile de comprendre pourquoi ce droit d'opposition, à supposer même qu'il soit acceptable dans son principe, ne s'applique pas à ces derniers.

  En plus, les autres parties, prévenu et partie civile, n'ont aucun droit de s'opposer à la citation des témoins du ministère public, même s'ils ont déjà été cités et entendus en première instance.

  Cette inégalité entre les parties au procès est d'autant plus troublante qu'il est écrit à l'article préliminaire du code de précédure pénale (texte ici) que : "
La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties". D'où l'impression que, même avant de lire la réponse de la cour de cassation, du Conseil constitutionnel (2) ou de la CEDH, apparaît une contradiction entre le principe directeur de l'article préliminaire et l'inégalité de traitement de l'article 513.

  Cela est d''autant plus surprenant que cet article préliminaire a été introduit dans le code de procédure pénale par la même loi qui a modifié le deuxième alinéa de l'article 513 dans le sens précité...

  - L'article 513 ne mentionne pas les raisons susceptibles de justifier l'opposition du ministère public. L'idée est toutefois celle d'une audition inutile parce que le témoin a été entendu par le tribunal et que ses propos ont été consignés dans les notes d'audience.

  Toutefois, dans de nombreux dossiers, les notes d'audience tenues par le greffier du tribunal correctionnel ne reproduisent pas in extenso les propos des témoins. Il y est parfois uniquement écrit que telle personne a été entendue par le tribunal en tant que témoin, sans rien de plus.

       Par ailleurs, entre lire les dépositions d'un témoin et entendre un témoin, il y a une différence qui n'est pas négligeable. Parce que le témoin qui a déposé en première instance peut déposer de façon différente en appel : il sait comment se déroule une audition pour l'avoir expérimentée une première fois et est donc dans certains cas moins émotif en appel, il peut être plus précis, compléter ses premiers propos, il peut apporter des éléments nouveaux etc... Parce que la façon de s'exprimer est, certes avec beacoup de prudence, un élément d'appréciation pour les juges. Parce que, et c'est essentiel, les juges d'appel peuvent avoir une autre approche du dossier que les juges de première instance et souhaiter poser à un témoin des questions qui ne lui ont pas été posées devant le tribunal correctionnel.

  C'est pourquoi, si une différence doit être faite entre les témoins cités, cela semble plutôt devoir être entre les témoins dont l'audition présente un intérêt minimal pour l'appréhension de l'affaire et ceux dont l'audition est indifférente. Et l'on sait que ne rentreront pas dans la seconde catégorie les témoins à charge (auquel le prévenu peut souhaiter être de nouveau confronté pour leur apporter la contradiction) et les témoins à décharge que le prévenu peut souhaiter voir, en appel, développer plus efficacement leurs observations.

  - Le texte imposant à la chambre correctionnelle de motiver sa décision à propos de l'audition contestée d'un témoin cité par le prévenu en cas de demande du ministère public, on doit se demander comment elle peut expliciter sa décision sans prendre en quoi que ce soit position sur le fond de l'affaire. Car un autre principe à respecter est celui de son impartialité en cours d'examen de l'affaire. En effet, même si l'audition d'un témoin peut, après la première lecture du dossier, sembler d'un intérêt limité voire inexistant, l'affirmer dans une décision en tout début de procès reste un excercice très délicat puisque cela suppose une analyse de l'affaire ainsi qu'une analyse de ce qu'apporte ou n'apporte pas l'intéressé.

  Pour toutes ces raisons il n'est pas certain que le deuxième alinéa de l'article 513 du code de procédure pénale ait une espérance de vie très étendue.

  Nous aurons la première réponse de la cour de cassation dans quelques semaines.

  A suivre donc.... 


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1. Avant la modification de cet article par une loi de juin 2000, le deuxième alinéa était rédigé de la façon suivante : "Les témoins ne sont entendus que si la cour a ordonné leur audition.
2. 
 Cela d'autant plus que le Conseil constitutionnel a déjà lui aussi mis en avant ce principe essentiel d'équilibre entre les droits des parties (lire ici)."

 



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