Le Conseil Constitutionnel élargit les droits des parties civiles
Par Michel Huyette
Après avoir souligné l'importance de la décision du Conseil Constitutionnel (CC) relative au régime juridique de la garde à vue, déclaré non conforme à la constitution (sauf pour les infractions les plus graves), revenons quelques instants en arrière sur une autre décision importante, rendue quelques jours plus tôt.
La question posée au CC était la suivante : L'article 575 du code de procédure pénale (le texte) qui limite le droit de la partie civile de former un pourvoi en cassation contre un arrêt de la chambre de l'instruction est-il conforme à la constitution ? (1)
L'article 575 n'autorise en effet la partie civile (2) à former un pourvoi que sous certaines conditions. Le principe posé au premier alinéa est que "La partie civile ne peut se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre de l'instruction que s'il y a pourvoi du ministère public.". Cela signifie a contrario qu'elle ne peut pas former un pourvoi toute seule. Le reste du texte lui permet de former un tel pourvoi mais uniquement quand certaines conditions sont remplies (cf. l'article). Et, ce qui nous intéresse, c'est que cet article interdisait jusqu'à présent à la partie civile de former un pourvoi contre un arrêt de non lieu s'il n'y avait pas en même temps un pourvoi du Ministère public.
Ce qui a été soutenu devant le CC, c'est que "l'interdiction faite à la partie civile de se pourvoir contre un arrêt de non-lieu de la chambre de l'instruction en l'absence de pourvoi du ministère public porte atteinte au principe d'égalité devant la loi et la justice, au droit à un recours effectif et aux droits de la défense".
Dans sa décision du 23 juillet 2010 (la décision), le CC relève que "aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties".
Il estime ensuite "que la partie civile n'est pas dans une situation identique à celle de la personne mise en examen ou à celle du ministère public ; que, toutefois, la disposition contestée a pour effet, en l'absence de pourvoi du ministère public, de priver la partie civile de la possibilité de faire censurer, par la Cour de cassation, la violation de la loi par les arrêts de la chambre de l'instruction statuant sur la constitution d'une infraction, la qualification des faits poursuivis et la régularité de la procédure ; qu'en privant ainsi une partie de l'exercice effectif des droits qui lui sont garantis par le code de procédure pénale devant la juridiction d'instruction, cette disposition apporte une restriction injustifiée aux droits de la défense ; que, par suite, l'article 575 de ce code doit être déclaré contraire à la Constitution".
Et il conclut en précisant que "l'abrogation de l'article 575 est applicable à toutes les instructions préparatoires auxquelles il n'a pas été mis fin par une décision définitive à la date de publication de la présente décision". Le droit d'appel est donc immédiatement octroyé aux parties civiles.
Cette décision du Conseil Constitutionnel semble justifiée. Ainsi qu'il le rappelle dans sa motivation, la notion de procès "équitable", inscrite également dans l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (la convention), suppose que soit préservé un équilibre des droits entre les parties, sauf à justifier par des impératifs majeurs et indiscutables le maintien d'un déséquilibre.
S'agissant du droit de faire contrôler par la cour de cassation la forme et le fond d'une décision de non lieu, on saisit mal ce qui pourrait justifier que la partie civile soit privée du droit de faire valoir son argumentaire devant la chambre criminelle, d'autant plus que si se pose une difficuté, notamment en droit, le Ministère Public peut faire une lecture erronée des textes et la partie civile avoir des arguments juridiques de valeur pour contester la décision rendue.
Au-delà, on relèvera que la partie civile possède déjà le droit de contester une ordonnance de non lieu rendue par le juge d'instruction (art. 186 du cpp), ce qui rend plus difficile de justifier qu'elle ne dispose pas du même droit quand une décision identique est rendue par une chambre de l'instruction.
En tous cas, les premières décisions du Conseil Constitutionnel, saisi de questions prioritaires de constitutionnalité (les QPC), ont déjà bouleversé notre droit en vigueur. Les juges n'ayant pas compétence pour apprécier la conformité des textes à la constitution (3), il s'agit là d'un véritable progrès démocratique.
--
1. Quand un dossier est ouvert chez un juge d'instruction, les décisions du juge peuvent être frappées d'appel ce qui aboutit à une décision (un "arrêt") de la chambre de l'instruction de la cour d'appel, arrêt qui peut à son tour être frappé d'un pourvoi traité par la chambre criminelle de la cour de cassation.
2. La partie civile est la personne qui prétend avoir été victime d'une infraction et participe à la procédure pénale. (art 2 du cpp)
3. Ils peuvent par contre vérifier que l'application de la législation française ne heurte aucun principe fondamental énoncé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.