La partie civile doit-elle pouvoir faire appel contre une décision d'acquittement ?
Par Michel Huyette
A l'occasion de l'examen par le Parlement de la loi concernant notamment l'introduction de citoyens dans les tribunaux correctionnels et modifiant certaines règles concernant la cour d'assises (lire ici, ici, ici), des députés de la majorité viennent d'introduire un amendement permettant à la partie civile (la personne qui porte plainte et soutient avoir été victime) de faire appel en cas de décision d'acquittement par la cour d'assises.
Au demeurant, trois députés de la majorité ont déposé une proposition de loi en ce sens le 20 décembre 2010 (lire ici).
Jusqu'à présent, quand la cour d'assises juge l'accusé non coupable, seul le procureur général peut faire appel de cette décision (article 380-2 du code de procédure pénale, texte ici). Cet article précise clairement que la partie civile ne peut interjeter appel que contre une décision statuant sur ses intérêts civils. En pratique il s'agit de la décision, de nature civile et non pénale, par laquelle les magistrats professionnels membres de la cour d'assises, après que cette dernière ait déclaré l'accusé coupable, allouent à la victime ou à ses proches des dédommagements en argent pour le préjudice subi. Il n'y a évidemment pas d'indemnisation si l'accusé est acquitté puisqu'il n'est pas considéré comme à l'origine des préjudices allégués.
La raison d'être souvent avancée pour limiter le droit d'appel de la partie civile est la suivante : La justice pénale c'est la société qui poursuit un éventuel délinquant par la voie du procureur de la République, et pour que le procès ne se transforme pas en vengeance privée, sachant que la victime n'a pas forcément une approche sereine et objective de l'affaire, il faut laisser au seul procureur le soin de décider si après un acquittement il est opportun d'envisager un second procès.
C'est pourquoi le rapporteur du projet de loi c'est tout de suite déclaré opposé à l'amendement précité même issu de son parti, et a été relayé en ce sens par le ministre de la justice qui a déclaré qu'il allait proposer la suppression de cet amendement lors du prochain débat public.
Il apparaît toutefois nécessaire de faire la différence entre deux situations, l'une simple, l'autre plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord.
Il semble plus que difficile de permettre à une partie civile d'interjeter appel uniquement pour obtenir une condamnation plus sévère. On peut certainement comprendre qu'une victime fortement traumatisée souhaite la peine la plus élevée pour l'agresseur. J'ai encore en tête le souvenir de cette jeune femme victime d'un viol et qui a dit à la cour d'assises que son seul espoir était qu'un jour son violeur traverse la route devant elle afin qu'elle puisse l'écraser et le tuer avec sa voiture. Cela n'a pas suffi pour que les jurés, que l'on dit pourtant sensibles aux souffrances des victimes, votent majoritairement en faveur d'une peine très sévère.
On ne peut donc probablement pas admettre que des procès se succèdent avec comme seul objectif que la peine soit toujours plus élevée, et uniquement pour satisfaire la soif de vengeance d'une victime. C'est pourquoi une modification de la loi dans cette direction n'est jusqu'à ce jour envisagée par personne.
Mais il en va tout autrement de la contestation des décisions d'acquittement.
Il serait simple de réserver le droit d'appel au ministère public si ce dernier, du début au terme de la procédure judiiaire, était le seul à pouvoir intervenir au cours des différentes étapes. Pour le dire à l'envers, si le procès est uniquement la poursuite d'un éventuel délinquant par la société, et si du début de l'enquête jusqu'au prononcé de la décision de la juridiction de jugement le ministère public est le seul intervenant, avec en face de lui le seul avocat de la défense, on peut facilement admettre qu'il continue à être le seul a pouvoir interjeter appel. Le tout formerait alors un ensemble cohérent.
Toutefois, dans notre procédure pénale, la partie civile a une place nettement plus importante.
Un particulier peut se constituer partie civile devant le juge d'instruction après que le procureur de la République ait décidé de ne pas ouvrir lui même un enquête pénale (article 85 du cpp, texte ici). Il s'agit donc de permettre à une personne se présentant comme victime de contourner l'inactivité du ministère public et d'obtenir l'ouverture d'une enquête que celui-ci a estimée inutile. Cela fragilise d'emblée l'affirmation d'une procédure diligentée uniquement pas le Parquet.
La partie civile constituée devant le juge d'instruction peut interjeter appel des décisions de non lieu de ce magistrat, quand bien même le procureur de la République ne le fait pas (article 186 du cpp, texte ici). Là encore cette possibilité montre que la partie civile dispose d'un droit propre de discuter la culpabilité du mis en examen, puisque tel est la seule raison d'être de l'appel contre une décision de non lieu.
A l'audience de la cour d'assises, la partie civile peut faire citer des témoins, tout comme le ministère public et l'accusé (article 181 du cpp, texte ici). Ainsi, la partie civile, informée du nom des témoins cités par les autres parties au procès, peut décider d'en citer d'autres afin, notamment, que ces derniers apportent d'éventuels éléments complémentaires sur la culpabilité de l'accusé.
A l'issue des débats, la partie civile, et plus encore son avocat, prennent la parole pour développer leur point de vue. L'avocat de la partie civile plaide toujours en premier, avant le ministère public et la défense. Directement, puis par l'intermédiaire de son conseil, la partie civile développe alors en détails la nature de l'agression qu'elle estime avoir subie et les éléments sur lesquels elle se fonde pour s'autoriser à désigner l'accusé comme l'agresseur. A ce moment, la partie civile, quand l'accusé conteste être l'auteur de l'infraction poursuivie, veut que sa parole soit entendue, surtout si l'accusé dans le box est bien l'auteur du crime dont elle a été victime.
Si la partie civile développe des arguments qui pour certains d'entre eux sont identiques ou proches de ceux qui sont énoncés par le ministère public dans ses réquisitions, son intervention n'est pas pour autant inutile. En effet le dossier puis les débats peuvent parfois être interprétés de façons différentes. C'est pourquoi il arrive régulièrement que la partie civile développe un point de vue qui n'est pas le seulement le reflet des réquisitions du Parquet.
La cour d'assises, pendant son délibéré, va donc prendre en compte les arguments présentés par le ministère public, par la défense, mais aussi par la partie civile, chacun de ces arguments étant de nature à influencer la décision finale sur la culpabilité de l'accusé.
Tout ce qui précède montre que l'affirmation de départ selon laquelle un procès pénal c'est seulement le ministère public qui poursuit seul un accusé est un peu hâtive, en tous cas ne correspond pas à la réalité procédurale actuelle.
Nous en arrivons alors à la question délicate : Qu'est-ce qui justifie, après avoir autorisé la partie civile à intervenir à plusieurs étapes essentielles de la procédure d'instruction et en cours d'audience, après lui avoir permis de développer devant le juge d'instruction, éventuellement devant la chambre de l'instruction, puis devant la cour d'assises, des arguments relatifs à la culpabilité de l'accusé, de lui refuser d'interjeter appel de la décision sur la culpabilité qui ne lui semble pas appropriée ?
La réponse n'est peut être pas/plus aussi simple à énoncer aujourd'hui.
D'autant plus qu'un nouveau débat en appel peut aboutir à une décision différente en terme de culpabilité. Chaque année des cours d'assises d'appel déclarent coupable un accusé jugé non coupable en première instance (et l'inverse). Cela montre que deux débats successifs sur le même dossier ne sont pas toujours inutiles.
Pour s'opposer au droit d'appel de la partie civile, ses détracteurs mettent en avant celui du ministère public. Il est alors affirmé que le magistrat du parquet a une analyse plus neutre, plus distante, plus objective du dossier que la partie civile, et donc qu'il est mieux placé qu'elle pour apprécier s'il est vraiment opportun de contester un acquittement.
Mais si le ministère public a devant la cour d'assises depremière instance pris des réquisitions de culpabilité et demandé une condamnation en conséquence, est-il exclu qu'en appel, à l'issue d'un second débat qui n'est pas forcément identique au premier, une autre cour d'assises déclare l'accusé coupable ? Cela même si le représentant du Parquet hésite à exercer un recours ? Et supposons un instant que l'accusé soit réellement coupable. En quoi serait-il aberrant que l'issue ultime de la procédure soit une déclaration de culpabilité correspondant à la réalité, quand bien même cela résulte d'une démarche de la partie civile et non du ministère public ?
Il existe toutefois un risque majeur, et pour la partie civile elle même.
En effet, même quand un accusé est bien l'auteur d'un crime mais conteste les faits, il arrive qu'à cause d'un dossier trop faible, dans lequel les enquêteurs n'ont pas réussi à réunir des éléments suffisamment probants, le procès se termine par un acquittement. Car on ne condamne pas quiconque quand un doute trop important persiste.
C'est pourquoi, si la partie civile dont l'objectivité est amoindrie par sa souffrance veut interjeter appel parce qu'elle ne supporte pas que son agresseur reste libre, quand bien même le dossier est manifestement lacunaire ce qu'elle ne veut/peut pas reconnaître, le risque est très élevé qu'à la déception de première instance s'ajoute, après d'autres mois d'attente perturbante et de nouveaux frais, l'amertume si ce n'est une nouvelle souffrance, encore plus vive, découlant d'une seconde déclaration de non culpabilité. Le piège est immense, et tomber dedans peut être très douloureux.
Le débat autour de la place de la partie civile après la décision de la première cour d'assises est moins simple qu'il n'y paraît. La partie civile a vu son périmètre d'intervention augmenter au cours des dernières années, soit par l'effet des lois successives, soit plus récemment par le biais d'une décision du conseil constitutionnel (lire ici).
La question qui lui était posée concernait, rappelons-le, l'interdiction opposée à la partie civile de former un pourvoi devant la cour de cassation contre un arrêt de non lieu de la chambre de l'instruction.
Ce qui est intéressant cest que pour déclarer ce texte contraire à la constitution le conseil constitutionnel a estimé que : "la disposition contestée a pour effet, en l'absence de pourvoi du ministère public, de priver la partie civile de la possibilité de faire censurer, par la Cour de cassation, la violation de la loi par les arrêts de la chambre de l'instruction statuant sur la constitution d'une infraction, la qualification des faits poursuivis et la régularité de la procédure ; qu'en privant ainsi une partie de l'exercice effectif des droits qui lui sont garantis par le code de procédure pénale devant la juridiction d'instruction, cette disposition apporte une restriction injustifiée aux droits de la défense".
Le débat de fond tourne donc autour de la notion de procès équitable, ce qui a fait dire au conseil constitutionnel que ce principe suppose que soit préservé un équilibre des droits entre les parties, sauf à justifier par des impératifs majeurs et indiscutables le maintien d'un déséquilibre.
La question posée est donc finalement la suivante : Puisque pendant une grande partie de la procédure la partie civile est en droit d'intervenir dans le débat sur la culpabilité, quels sont les impératifs qui justifient que, quand une première cour d'assises a statué négativement sur la culpabilité de l'accusé, la partie civile se voit interdire de solliciter un second examen de l'affaire à la différence du ministère public (ou de l'accusé en cas de culpabilité reconnue).
Le débat autour de la place des victimes dans la procédure pénale est toujours très délicat. Il l'est juridiquement, il l'est humainement. Malheureusement, il est de plus en plus souvent parasité par des pétitions de principe qui surfent sur l'émotion ou la démagogie. Et les excès d'une période ne peuvent pas justifier d'éventuels excès de la période suivante. C'est toujours le point d'équilibre raisonnable qui est à rechercher.
En tous cas, quelle que soit l'issue de ce débat, réellement complexe, au regard de ce qui précède, les réponse habituelles hâtives et sommaires, dans un sens ou dans un autre, peuvent sembler insuffisamment argumentées.