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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


   Après la suppression du délit de harcèlement sexuel de notre code pénal, en mai 2012, en application d'une décision du Conseil Constitutionnel qui a considéré la définition de l'infraction trop imprécise (lire ici et ici), le Parlement devait légiférer afin de mettre fin à un vide juridique provisoire.

  La nouvelle loi vient d'être publiée au journal officiel du 7 août 2012 (lire ici).  Le délit est dorénavant défini de la façon suivante :

  "Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers."

  L'infraction est punie de deux années de prison et 30.000 euros d'amende, les peines étant portées à trois années de prison et 45.000 euros d'amende en cas d'abus d'autorité, de victime de moins de quinze ans ou particulièrement vulnérable, ou de pluralité d'auteurs. 



  Chaque fois qu'une nouvelle loi définit une infraction pénale, les juristes décortiquent le texte afin d'en déceler les éventuelles difficultés d'interprétation. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'en exigeant une nouvelle définition plus précise que l'ancienne, le Conseil Constitutionnel a ouvert la porte à de multiples et nouvelles difficultés juridiques. Autrement dit, une problématique (l'insuffisance clarté du texte) va être remplacée par une autre (la grande complextité du texte). En voici quelques raisons.


  - Pour que le délit soit constitué, il faut d'abord que soient imposés des "des propos ou comportements à connotation sexuelle ". Mais que signifie "connotation sexuelle" ?  Par exemple, un "regard trop appuyé", ou, selon une expression souvent utilisée par les femmes, un "regard qui déshabille" a-t-il une "connotation sexuelle" ?  Si oui, comment la preuve sera-t-elle rapportée de la nature du regard d'un homme si seule la femme qui porte plainte a croisé ce regard ? Et en matière de gestes, une main qui frôle une épaule peut-elle être un geste à "connotation sexuelle" ? Une main sur une hanche ? Une main sur la joue ? Dès lors, où commencent et où s'arrêtent les propos et comportements à "connotation" sexuelle" ? 

  C'est d'autant mois simple à définir que le sens du mot "connotation" peut prêter à confusion. Un geste "à connotation" sexuelle" ne peut pas être la même chose qu'un geste "de nature sexuelle", sinon le terme "connotation" n'aurait pas été délibérément choisi par le législateur. Pour le dictionnaire Larousse, la "connotation" c'est une "signification seconde", qui vient "s'ajouter au sens conceptuel et fondamental d'un texte". Autrement dit ce n'est pas le sens premier et neutre du mot utilisé. On imagine déjà les débats sur le sens de l'expression "connotation sexuelle" dans les salles d'audience.

  Quoi qu'il en soit, quels sont les "propos" ou les "comportements" qui ont une "connotation sexuelle" ? Au départ, la nature du comportement doit-elle s'apprécier en fonction de critères objectifs (tel geste ou tel mot a toujours une connotation sexuelle, tel mot ou tel geste n'en a jamais), ou en fonction de l'intention de l'auteur et/ou du ressenti de la victime ?

  - La connotation sexuelle d'un comportement ne suffit pas à caractériser le harcèlement. Il faut, en plus, que le comportement porte "atteinte à la dignité" de la personne visée et cela à cause de son caractère "dégradant ou humiliant". Il faut donc nécessairement considérer, à l'inverse, que certains propos ou comportements à connotation sexuelle n'ont pas cette conséquence, sinon la précision serait inutile.

  Il va donc falloir, au cas par cas, faire la distinction entre les comportements à connotation sexuelles qui portent atteinte à la dignité et les autres. Mais lesquels vont entrer dans chacune de ces deux catégories ? Là encore, va-t-on pouvoir définir des critères objectifs, ou la référence sera-t-elle le ressenti de la victime ? On le sait bien, en présence d'un même comportement, une femme va être profondément choquée quand une autre restera indifférente.

  - Qu'est-ce qu'une situation "intimidante", "hostile", ou offensante" ? Si l'on interroge dix personnes, il y aura très certainement dix réponses différentes. Mais alors, laquelle le juge devra-t-il retenir ? La sienne, en fonction de sa conception personnelle et subjective des choses ? Ou bien une opinion majoritaire qui se démarquerait des autres, à supposer qu'il en apparaisse une ? Mais où la trouver, et serait-elle nécessairement la plus judicieuse ?



  Pour mettre en lumière les inéluctables difficultés d'interprétation à venir, reprenons la première partie de l'incrimination nouvelle en numérotant les conditions pour en faire apparaître le nombre, et en mettant en italique les mots ou expressions qui vont donner lieu à interprétation, et donc générer des difficultés :

  "Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer (1) à une personne, de façon répétée (2), des propos ou comportements à connotation sexuelle (3) qui soit portent atteinte à sa dignité (4) en raison de leur caractère dégradant (5) ou humiliant (5), soit créent à son encontre une situation intimidante (6), hostile (6) ou offensante (6)".

 
  On retrouve des difficultés semblables dans la deuxième partie de l'incrimination.

  Les parties au procès, puis les juges dans leurs délibérés, vont certainement débattre longuement autour des notions de "forme de pression", de "gravité" de cette pression, et d'acte "de nature sexuelle".


   Le législateur a certainement répondu à l'exigence posée par le Conseil Constitutionnel. L'infraction de harcèlement sexuel est dorénavant très précisément définie.

  Mais comme souvent, plus il y a de mots et d'expressions dans un texte d'incrimination, plus il y a d'incertitudes quant à ses contours. Et plus il y a de débats âpres et longs entre partie civile, accusation, et défense. Et plus il faut d'années, ou de dizaines d'années, pour que la cour de cassation donne au final des références stables.

  Dès lors une conclusion s'impose. Sachant que les personnes poursuivies vont saisir toutes les occasions pour discuter chaque condition légale, c'est à dire pour discuter chaque mot, chaque expression de la loi nouvelle, ce qui est la règle dans un procès pénal et n'est pas en soi critiquable,  les procès risquent de se transformer, pour les plaignant(e)s, en un long et épuisant parcours du combattant.


  Reste à savoir qui, au final, en sortira gagnant.

 

 

 

 

   

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Commenter cet article
N
<br /> En cherchant le sens d'une locution latine, je suis tombée sur ces deux adages juridiques :<br /> <br /> <br /> "nul n'est admis à exercer une action en justice pouvant lui nuire"  et  "jamais une pluralité de délits ne doit assurer l'impunité de l'un d'entre eux" <br /> <br /> <br /> qui disent la difficulté de définir le harcèlement (qui est constitué de plusieurs délits comme je le disais dans mon commentaire qui n'a pas été publié) et comment la victime de harcèlement est<br /> mise dans une nasse jusdiciaire dont elle ne peut sortir... Puisque celui qui harcèle est un perver... Et celui qui écrit les lois l'est souvent tout autant...<br />
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N
<br /> Quand un homme politique aux USA prétend qu'une femme "vraiment violée" ne peut pas tomber enceinte, je suis d'abord SIDÉRÉE puis je me dis que dans certains cas, il n'y a que la loi du<br /> Talion qui puisse être pédagogique ! <br />
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A
<br /> L'ironie de l'histoire c'est qu'il y a peu de temps, le Conseil Constitutionnel rejetait une QPC sur la définition pas assez précise du "harcèlement moral". Bon, le motif<br /> avancé est que le CC se serait déjà penché sur la question, mais si l'on se risque à une comparaison, je ne suis pas sûr que l'expression "harcèlement moral" soit plus compréhensible que<br /> "harcèlement sexuel"...<br />
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N
<br /> Je suis d'accord avec votre lecture critique de ce nouveau texte de loi MH qui n'avez pas publié le commentaire que j'avais posté après votre article sur le retoquage du premier texte.<br /> <br /> <br /> D'ailleurs, la réaction de JMT prouve que vous avez raison... Mais je ne peux m'empêcher de préciser que ceux qui vont jouir encore davantage des arcanes et débats odieux car malhonnêtes et<br /> tordus qui vont s'en suivre en justice, seront précisément les abuseurs sexuels appelés à comparaître.<br /> <br /> <br /> JMT que vous ont donc fait les femmes pour que vous en ayez une si pitoyable vision ? Seriez-vous de ceux qui considèrent que le Don giovanni de Mozart n'est pas un voyou patenté mais un<br /> irrésistible séducteur. Je vous remercie de me répondre tant vos interventions sur le sujet me surprennent ou plutôt me choquent.<br />
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J
<br /> Ce qui est surtout clair, c'est l'incapacité du législateur moderne à oeuvrer en style concis. L'accumulation d'adjectifs destinée à traquer le maximum de comportements révèle plutôt un défaut de<br /> maîtrise du substantif.<br /> <br /> <br /> Quant au terme de connotation, je ne suis pas sûr du tout qu'il ait été choisi délibérément. C'est un mot qui"fait bien" qui est "mode" et les rédacteurs du texte, dont on sait les ravages en<br /> matière pénale peuvent avoir cédé à un tic.<br /> <br /> <br /> Enfin, et c'est regrettable, la rédaction fautive est un facteur d'abus d'utilisation par des personnes, principalement des femmes, on en est d'accord, qui voudront soit se venger d'un désintérêt<br /> après une période de tentative de séduction, soit utiliseront un mot en l'air, un écart de langage pour structurer à son entour une attitude plus ou moins controuvée. Les juges connaissent fort<br /> bien la perversité des plaideurs abusifs.<br />
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