Quelle nouvelle définition pour le harcèlement sexuel ?
Par Michel Huyette
On s'en souvient encore parce que cela a fait - et continue à faire - grand bruit, le Conseil Constitutionnel a récemment supprimé de notre code pénal le délit de harcèlement sexuel au motif que sa définition était trop imprécise (lire ici).
De nombreuses voix se sont alors élevées pour réclamer qu'un nouveau texte soit élaboré et voté au plus tôt, et le gouvernement s'est engagé à faire "vite et bien" pour reprendre une expression utilisée récemment.
L'assemblée nationale n'étant pas encore élue, c'est le Sénat qui le premier a formalisé des propositions de texte.
Une proposition de loi déposée le 11 mai 2012 (texte ici) retient la définition suivante :
"Constitue un harcèlement sexuel tout propos, acte ou comportement non désiré, verbal ou non verbal, à connotation sexuelle, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte aux droits et à la dignité d'une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, humiliant ou offensant".
Une deuxième proposition déposée le 15 mai (texte ici) suggère la définition suivante :
"Le harcèlement sexuel est le fait d'user de menaces, d'intimidation ou de contrainte, ou d'exercer des pressions de toute nature dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle."
Enfin, une troisième proposition a été déposée le 16 mai 2012 (texte ici), qui adopte cette définition :
"Le fait de harceler autrui en portant atteinte à sa dignité et en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende."
Si le souhait des élus de faire vite peut dans un premier temps sembler compréhensible à cause du vide juridique issu de l'abrogation de l'article du code pénal jusque là en vigueur, il n'est pas certain que réagir trop hâtivement soit judicieux d'autant plus qu'il ne sera pas forcément facile de faire simple, la problématique étant plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord.
Mais revenons d'abord brièvement à la définition annulée par le Conseil constitutionnel. Jusqu'à celle-ci l'article 222-33 du code pénal était rédigé de la façon suivante : "Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende".
La comparaison entre ce texte et les propositions de loi précitées appelle plusieurs commentaires.
Première question : Le caractère "sexuel" concerne-t-il les actes de harcèlement ou le résultat souhaité, ou les deux ?
Dans la définition annulée, il était clairement indiqué que l'objectif du harceleur est d'obtenir des "faveurs sexuelles". Pour le juriste habitué à décortiquer les textes, cela signifie que les actes de harcèlement n'ont pas à avoir forcément de caractéristique sexuelle. C'est la "faveur" recherchée qui doit être de cette nature sexuelle.
C'est ce qui est repris dans les propositions 2 et 3 du Sénat.
Par contre, la première proposition inverse la donne. Il y est écrit en effet que constitue un harcèlement toute démarche "à connotation sexuelle" ayant pour objectif ou effet de blesser la personne visée. C'est donc une approche quasiment inverse de ce qui existait jusqu'à présent et de celle retenue dans les deux autres propositions. Dans cette définition ce sont les actes de harcèlement qui doivent être de nature sexuelle, et il n'est plus du tout fait référence à la recherche d'une faveur de nature sexuelle.
Cette différence de rédaction est importante car en fonction de la définition finalement retenue, s'il s'agit de l'une de ces trois là, les comportements susceptibles d'être poursuivis ne seront pas les mêmes.
Deuxième question : quelles précisions apportent les nouvelles définitions ?
Il était reproché à la définition annulée par le Conseil constitutionnel d'être trop imprécise. A supposer que cela soit exact, un texte de remplacement doit dès lors permettre de mieux cerner les éléments constitutifs.
La première proposition, qui comme mentionné plus haut modifie la nature de l'infraction, semble a priori plus précise puisqu'elle est plus longue et contient de ce fait plus de mots ou d'expressions délibérément inclus.
Pour ce qui concerne la première partie de la définition, serait un acte de harcèlement "tout propos, acte ou comportement non désiré, verbal ou non verbal, à connotation sexuelle".
Mais le harcèlement étant en soi défini par le dictionnaire comme des "pressions permanentes", on peut se demander si le fait d'ajouter les termes "tout propos", "tout acte", "tout comportement" et "verbal ou non verbal" modifie véritablement quelque chose d'un point de vue de la définition de l'infraction car ces expressions englobent... toutes les pressions imaginables. Dès lors, il n'est pas certain que les termes ajoutés changent quoi que ce soit au périmètre du harcèlement.
Par contre, une nouveauté serait dans cette première partie du texte l'indication que les actes de harcèlement doivent avoir une "connotation sexuelle". Mais cette notion n'est pas non plus précise.
Une autre nouveauté, plus importante, serait dans la définition des conséquences du harcèlement qui doit avoir "pour objet ou pour effet de porter atteinte aux droits et à la dignité d'une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, humiliant ou offensant".
Si cette seconde partie de la proposition vient préciser les caractéristiques que doivent avoir les conséquences du harcèlement, il n'empêche qu'il va falloir des années avant que les juridictions et au final la cour de cassation disent quand commence l'atteinte à la dignité de la personne ou ce qu'est un "environnement hostile", ou "intimidant". L'avantage supposé de la précision textuelle va inéluctablement déboucher sur une guérilla judiciaire autour du sens de chaque mot, de chaque expression. Il faudra de nombreuses années avant que toutes les incertitudes disparaissent.
La deuxième proposition retient que le harcèlement "est le fait d'user de menaces, d'intimidation ou de contrainte", mais aussi "d'exercer des pressions de toute nature". Mais là encore, puisque cette définition contient l'expression "pressions de toute nature" qui correspond déjà à la définition la plus générale du harcèlement, les ajouts "menaces", "intimidation", "contrainte" n'apportentt rien puisque ce sont des sous-ensembles des "pressions de toute nature".
C'est pourquoi, contrairement aux apparences, il n'est pas certain que cette nouvelle rédaction permette d'affirmer que les contours de l'infraction sont dorénavant plus précis.
Enfin la troisième proposition précise qu'un harcèlement devient condamnable en "portant atteinte à sa dignité et en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant", le but étant toujours d'obtenir une faveur sexuelle. Cette fois-ci l'atteinte à la dignité de la personne harcelée n'est plus une condition du harcèlement mais une conséquence de celui-ci à la différence de la première proposition.
Mais finissons par quelques remarques sur la méthode.. et sur le fond.
Il y a quelque chose d'incohérent à s'interroger sans attendre sur la nouvelle rédaction du délit de harcèlement sexuel. Comme on l'a vu plus haut, plusieurs définitions sont envisageables, qui correspondent à des situations factuelles différentes.
C'est pourquoi, avant de rechercher la façon de définir juridiquement l'infraction, il faut commencer par clarifier ce qui est permis et ce qui ne l'est pas, notament où s'arrêtent les acceptables - et parfois espérées - tentatives de séduction et où commence le harcèlement injustifiable. Puis décider si ce sont les actes de harcèlement ou leurs conséquences attendues qui doivent avoir un caractère sexuel.
Et la réponse à ces questions n'est pas prioritairement juridique. Le droit doit être la retranscription de choix de société, il ne doit pas les précéder. C'est pourquoi on ne peut que s'interroger en constatant que les paragraphes introductifs aux propositions de loi déposées au Sénat ne font aucune analyse du but recherché, des intérêts à protéger et des comportements à sanctionner, mais se contentent de relever les difficultés juridiques et les contradictions éventuelles entre divers textes.
Ces choix ne sont pas simples à faire et correspondent à des enjeux importants.
Dès lors, affirmer que l'on va faire vite n'est pas forcément un signe très encourageant.