La non rétroactivité de la rétention de sûreté
En 2008 la France, à la suite de plusieurs autres pays européens, a introduit dans sa législation la notion de rétention de sûreté. Son but est de permettre le maintien d'une personne condamnée, dans un lieu fermé, une fois la peine prononcée intégralement effectuée. (cf. art. 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale).
Le premier de ces textes indique que :
- A titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration. Il en est de même pour les crimes, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé.
- La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure.
Cet enfermement est décidé par périodes d'une année, mais sans limite de durée.
Cette loi ayant notamment pour origine un fait divers, et parce qu'il a été avancé par le gouvernement et les parlementaires qu'il fallait au plus vite permettre le maintien dans lieu fermé des personnes potentiellement dangereuses, s'est aussitôt posée la question de la possibilité d'appliquer cette mesure aux personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Il s'agissait là d'une véritable difficulté car il existe un principe fondamental en droit français, celui de la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère. En clair, ne peuvent s'appliquer à une personne qui commet une infraction que les "peines" en vigueur à cette date. Autrement dit, on ne peut pas se voir appliquer une sanction quand au moment du crime commis on ne pouvait pas connaître le risque encouru de se voir infliger une telle sanction.
Ce principe est rappelé à l'article 112-1 du code pénal : "Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date.
Le principe de non-rétroactivité ne s'appliquant qu'aux peines, il fallait donc savoir si la rétention de sûreté en était une.
C'est d'abord le conseil constitutionnel qui a été saisi de cette question. Dans sa décision du 21 février 2008, il a estimé d'ue part que "la rétention de sûreté n'est ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d'une punition", d'autre part que "la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement". Le conseil a donc appliqué le principe de non rétroactivité.
Egalement saisie de cette question par un ressortissant allemand, la Cour européenne des droits de l'homme vient d'apporter sa réponse dans une décision du 17 décembre 2009.
La CEDH relève que : "Eu égard aux critères établis dans sa jurisprudence, il incombe donc à la Cour de déterminer si la détention de sûreté du requérant constitue une « peine » au sens de la seconde phrase de l’article 7 § 1. (..). La Cour va donc se pencher plus avant sur la nature de la détention de sûreté. Elle relève d’emblée que, tout comme une peine d’emprisonnement, la détention de sûreté entraîne une privation de liberté. (..) De plus, eu égard aux modalités d’exécution en pratique en Allemagne des ordonnances de placement en détention de sûreté par comparaison à celles des peines d’emprisonnement ordinaires, il est frappant de constater que les personnes en détention de sûreté sont incarcérées dans des prisons ordinaires, même si elles le sont dans des ailes séparées. Les modifications minimes dont elles bénéficient par rapport au régime de détention des détenus ordinaires purgeant leur peine, comme des privilèges tels que le droit de porter leurs propres vêtements et d’aménager leurs cellules plus confortables, ne sauraient cacher qu’il n’existe aucune différence fondamentale entre l’exécution d’une peine d’emprisonnement et celle d’une ordonnance de placement en détention de sûreté. (..) En outre, eu égard à la situation que connaissent concrètement les personnes en détention de sûreté, la Cour ne saurait souscrire à l’argument du Gouvernement (paragraphe 113 ci-dessus) selon lequel la détention de sûreté ne vise qu’un but purement préventif et nullement un but punitif. Elle note que, conformément à l’article 66 du code pénal, seules peuvent être placées en détention de sûreté les personnes qui ont été condamnées à plusieurs reprises pour des infractions pénales d’une certaine gravité. (..) Enfin, quant à la gravité de la détention de sûreté – qui n’est pas un critère décisif en soi (paragraphe 120 ci-dessus) – la Cour observe qu’il s’agit d’une mesure qui, depuis l’amendement de la loi intervenu en 1998, ne connaît plus de limite de durée."
Et elle conclut : "Eu égard à ce qui précède, la Cour, après être allée au-delà des apparences et avoir procédé à sa propre analyse, conclut que la détention de sûreté prévue par le code pénal allemand doit être qualifiée de « peine » aux fins de l’article 7 § 1 de la Convention."
Le débat semble donc sur ce point définitivement clos.