Encore un rapport (à venir) sur la délinquance des mineurs
Par Michel Huyette
Le Président de la République vient de confier à Mr Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, une "mission de réflexion et de propositions sur la prévention de la délinquance des jeunes" devant aboutir, pour le mois d'octobre, à la remise d'un rapport. (cf. ici)
Il est demandé au secrétaire d'Etat, notamment, de s'intéresser "à la prévention sociale et éducative de la délinquance des mineurs", de rechercher les "bonnes pratiques" en France comme à l'étranger, et de formuler des "propositions innovantes".
Après une déferlante de discours et de mesures sécuritaires qui ont enflammé cet été 2010 et généré de très nombreuses polémiques, et après des propositions étonnantes pour le juriste telle la sanction pénale des parents pour les actes commis par leurs enfants (nous y reviendrons peut-être plus tard), voici une demande qui semble légèrement pondérer une approche uniquement répressive des dysfonctionnement sociaux.
Une étude spécifique pourrait en effet paraître intéressante si au cours des années passées il n'avait autant été écrit sur la prévention de la délinquance des mineurs, le plus récent rapport étant de.... février 2010 ! (cf. ici)
Les livres, rapports, études, articles sur la délinquance des mineurs et sa prévention peuvent remplir d'immenses bibliothèques, à tel point que, les professionnels de terrain le savent, tout, absolument tout, a déjà été écrit sur ce sujet.
Citons parmi bien d'autres documents :
- "Prévenir la délinquance des jeunes, un enjeu pour demain" Ministère de la justice, 2010
- "Mise en oeuvre de la loi sur la prévention de la délinquance" Conseil national des villes, 2009
- "La prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes mineures" Assemblée Nationale, 2009
- "Aspects de l'ordonnance de 1945 vus par 331 mineurs" Ministère de la justice, 2008
- "L'adolescence en crise" Sénat, 2003
- "La délinquance des mineurs, la République en quête de respect" Sénat, 2002
- "Les politiques territoriales de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs" ENA, 2000
- "Réponses à la délinquance des mineurs" Premier ministre, 1998
- "Le traitement des intraitables, l'organisation sociale de la récidive chez les jeunes" Mission de recherche droit et justice 1998
- "La protection de l'enfance et de la jeunesse dans un contexte social en mutation" Conseil économique et social 1998
- "Protection de la jeunesse et délinquance juvénile" Premier ministre 1996
Et plus encore peut-être, il faudrait que tous les citoyens qui souhaitent être informés aient accès aux innombrables rapports rédigés par tous les travailleurs sociaux qui connaissent parfaitement les problématiques familiales et s'emploient à les solutionner. Ce serait certainement la source d'informations la plus intéressante, et la plus fiable.
Que trouve-t-on dans ces milliers de pages ? En substance toujours la même chose qui se résume de la façon suivante : les enfants qui se marginalisent, notamment en ayant des comportements délinquants, sont dans la très grande majorité des cas des enfants en grande souffrance, qui présentent de réels troubles de la personnalité, et qui ont besoin d'un soutien durable et pluridisciplinaire. Et au coeur des problématiques se trouve la déscolarisation découlant d'un retard d'apprentissage et entraînant une forte perte d'estime de soi, porte grande ouverte vers le désordre intérieur, l'errance, et les comportements aberrants.
Alors finalement, puisque l'on connaît parfaitement les causes et que l'on sait tout autant quels sont les remèdes, cela depuis longtemps, la question fondamentale est celle-ci : pourquoi une société qui demande avec autant de vigeur que certains de ses enfants changent de comportement et soient mieux insérés en son sein refuse-t-elle en même temps de se donner les moyens d'obtenir le résultat espéré alors qu'elle sait fort bien ce qui pourrait être efficacement mis en place ?
Quelques éléments de réponse semblent pouvoir être esquissés.
Il est toujours difficile de décider de donner de l'argent au bénéfice de ceux qui nous dérangent/agressent, ou en tous cas ceux que l'on perçoit surtout comme des individus qui ne respectent pas les règles communes. Il n'est donc pas simple de convaincre ceux qui ne savent pas bien ce qui se passe que sous des apparences parfois détestables, il y a dans chaque mineur un potentiel positif à exploiter pour peu que l'on accepte de reprendre les problèmes à la base et que l'on s'en donne les moyens matériels et humains, et donc les moyens financiers. Au demeurant, s'agissant de l'aspect financier, il faut avoir en tête que si la prévention entraîne des dépenses importantes, la répression coûte une vraie fortune (chaîne répressive - police, justice, exécution des peine ; services éducatifs - éducateurs de milieu ouvert, foyers d'accueil ; services de santé, de psychiatrie etc..).
Observer, analyser, réfléchir, agir, élaborer des projets, des stratégies, accompagner, aider, encourager, soutenir, cela demande autrement plus de courage et d'efforts que sanctionner. Mettre en place une véritable politique de prévention de la délinquance, c'est mettre en place une autre politique sociale, économique, éducative, c'est réinventer des solidarités. C'est un vaste chantier. Alors que punir ne demande aucun réel effort.
Les informations arrivant aux citoyens en temps réel, ceux-ci attendent des réponses avec la même vivacité. Il semble de plus en plus exclu de prendre du temps et, quand il s'agit d'analyser des phénomènes complexes, de différer la réponse juqu'au moment où celle-ci est suffisamment élaborée pour être crédible et efficace. Doù ces lois ou propositions de lois qui apparaissent après des faits divers, sans aucun temps d'élaboration raisonnable. De ce fait, les citoyens se voient proposer des slogans plus que des solutions.
S'interroger sur les raisons pour lesquelles certains enfants grandissent mal et se désocialisent, cela impose d'accepter la réalité telle qu'elle est. Et quand il est question entre autres problématiques de manque de personnels de soutien scolaire, de ghettoïsation de certaines cités par disparition de la mixité sociale, de discrimination ethnique à l'embauche envers les candidats au nom exotique, de services de pédo-psychiatrie surchargés (1) ou de services éducatifs qui tardent à s'occuper des mineurs (2), il n'est plus possible de montrer du doigt les enfants et leurs parents en proclamant haut et fort : "voilà les responsables de tous les problèmes, il faut les punir'. Car c'est de politique nationale qu'il est question, et cela engage une responsabilité collective qu'il faut autrement plus de courage pour affronter que pour envoyer des personnes en prison.
Alors, quand se pressent l'incapacité à apporter des réponses efficaces à des phénomènes complexes, la tentation est grande chez les responsables politiques de détourner l'attention du public et de dissimuler les carences étatiques sous les responsabilités individuelles. "C'est pas nous c'est les autres", comme dans la cour de l'école quand les enfants sont pris la main dans le sac.
Sans doute est-il absolument indispensable de sanctionner tous ceux qui franchissent la ligne jaune et dont le comportement est intolérable pour l'ensemble de la collectivité. Mais la répression c'est la marque de l'échec, c'est le symbole d'une incapacité collective à faire en sorte que chaque membre du groupe ait les moyens d'évoluer, et pour les plus jeunes de grandir, de façon suffisamment sereine et équilibrée. Et tout le monde est gagnant quand la prévention est privilégiée. Les plus jeunes qui déraillent moins, et toute la société qui est moins agressée. Favoriser la prévention c'est une avancée positive pour tous les membres du groupe, pas uniquement pour ceux qui en bénéficient.
Malheureusement, il semble que nous allions actuellement dans une direction inverse.
Tel que c'est parti, il est probable que chaque année un responsable politique sollicite un nouveau rapport sur la façon de prévenir la délinquance des mineurs. Et que ce document aille prendre la poussière à côté des autres, la volonté de lutter avec acharnement à la racine du mal n'ayant jamais existé jusqu'à présent.
Mais il est vrai que chez nous aussi, parfois, nous glissons la poussière sous le tapis pour nous persuader qu'il n'y en a plus. C'est moins fatiguant que nettoyer de fond en comble.
Mais ce n'est ni courageux, ni glorieux.
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1. Dans le service de pédo-psychiatrie d'une grande ville française, le délai d'attente avant la première consultation est actuellement de...2 années.
2. Dans certains tribunaux les décisions ordonnant des interventions éducatives auprès de mineurs et de leurs familles ne sont exécutées qu'après un délai d'attente de plusieurs mois, faute de travailleurs sociaux en nombre suffisant.