Justice des mineurs, de la prison aux voiles écarlates
Par Michel Huyette
Il est des moments où les informations reçues se télescopent de façon troublante.
Alors que le ministère de la justice annonce à la fois une nouvelle loi pour que soient appliquées aux mineurs les prochaines peines-plancher et que certains d'entre eux ne bénéficient plus de l'excuse de minorité, par ailleurs indique que de nouveaux centres fermés vont être prochainement créés, la télévision vient de diffuser, dans le cadre du magazine Thalassa, un reportage sur l'association "Voiles écarlates", dirigée par un capitaine de gendarmerie, et qui s'est donnée pour mission d'aider de grands adolescents délinquants à modifier positivement leur trajectoire.
D'un côté on propose uniquement une répression toujours plus sévère en mettant en avant que cela va réduire les comportements déviants des jeunes désocialisés, de l'autre on tente autant que possible d'offrir aux même mineurs une passerelle vers un avenir plus positif et de leur éviter une incarcération conduisant trop souvent à la récidive et à une plus grande marginalisation encore, ceci à travers des activités, de l'accompagnement, et du soutien valorisant.
A la fin du séjour dans l'association, séjour constitué notamment de voyages en voilier et de travaux d'utilité publique, l'un des adolescents accueillis, et décrit comme le plus instable et le plus rebelle, est resté quelques instants dans la cabine du bateau et s'est enregistré, seul, au magnétoscope de bord. Il voulait laisser un message au capitaine. Il lui a seulement dit, visiblement ému, qu'il avait constaté que cet homme avait du cœur, et il lui a demandé de ne pas l'oublier trop vite.
Il est vrai que le capitaine avait dit sur les berges d'un fleuve, à ce jeune marginal : "moi aussi je serais heureux de te revoir".
Et voici, l'espace d'un instant, ce presque majeur redécouvrant l'importance d'une relation avec l'adulte dans les deux sens bienveillante, confiante, et quoi qu'il arrive affectueuse.
Cela était d'autant plus surprenant qu'au début du séjour ce même jeune parlait d'étrangler les éducateurs, et qu'il avait été confié à cette association parce qu'il se marginalisait et s'opposait parfois avec violence à toute forme d'autorité.
Les professionnels de la justice des mineurs n'ont pas vraiment été surpris. Car ce reportage, même réducteur, nous a présenté une réalité que chacun connaît : sauf exception rare, il reste toujours possible de faire évoluer favorablement des mineurs en rupture et qui ont commis des actes de délinquance, à condition d'une part de modifier le regard que l'on pose sur eux, de leur faire comprendre que l'on est persuadé qu'ils peuvent faire autrement et mieux, et d'autre part de se donner les moyens humains et financiers pour leur proposer des temps de vie pouvant leur donner au final une autre image d'eux-mêmes les conduisant ensuite à autre relation avec les adultes, mêmes ceux chargés de les contrôler et de les sanctionner.
Combien de fois faudra-t-il le répéter encore : oui il faut sanctionner les mineurs dès les premiers actes de délinquance, oui il ne faut jamais leur permettre de penser que leur minorité les protège contre les sanctions, oui la réponse doit être pénible pour être efficace. Mais il est à court, moyen et long terme bien plus intéressant pour la société, secondairement pour les mineurs concernés, que des professionnels de l'éducation interviennent au plus tôt pour modifier la trajectoire de ces jeunes dès les premiers dérapages, plutôt que de les laisser s'enfoncer dans la marginalité si souvent aggravée par un emprisonnement aux effets dévastateurs.
En fin de reportage, il a été dit que ce capitaine aurait souhaité pouvoir consacrer plus de temps à son activité éducative, mais que cela lui est refusé. S'il n'a pas fait de commentaires à ce sujet, son regard en disait long sur son regret de ne pas pouvoir, dans le cadre de son association, recevoir plus de jeunes et plus souvent.
Mais même si on le sentait amer, ce regard conservait une sorte de douceur que rien ne venait détourner.