Procès de mineurs et publicité restreinte (à propos de l'affaire Fofana)
Par Michel Huyette
En complément du précédent article concernant l'appel contre certaines des sanctions dans l'affaire ayant impliqué Mr Fofana et plusieurs autres accusés, il me semble utile de revenir sur la polémique concernant le fait que le procès se soit déroulé sans la présence du public et des medias.
Revenons d'abord un instant sur le vocabulaire. On parle de "huis clos" à la cour d'assises quand personne n'est autorisé à rester dans la salle d'audience pendant le procès. La règle est fixée à l'article 306 du code de procédure pénale qui nous dit que :
"Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les moeurs. Dans ce cas, la cour le déclare par un arrêt rendu en audience publique. (..) Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles ne s'y oppose pas."
Ce n'est pas ce cadre juridique qui a été appliqué lors du procès Fofana mais celui de la publicité restreinte, mis en oeuvre quand parmi les accusés sont présents un ou plusieurs mineurs. La règle, qui ressemble à celle du huis clos en ce qu'elle autorise la présence de quelques personnes spécialisées dans l'enfance mais non du public et des medias, est posée par l'article 14 de l'ordonnance de février 1945 :
"Seuls seront admis à assister aux débats la victime, qu'elle soit ou non constituée partie civile, les témoins de l'affaire, les proches parents, le tuteur ou le représentant légal du mineur, les membres du barreau, les représentants des sociétés de patronage et des services ou institutions s'occupant des enfants, les délégués à la liberté surveillée."
Quand on parle ici d'un mineur, il s'agit d'un mineur au moment des faits et au moment de la comparution devant la cour d'assises.
Si l'accusé mineur au moment des faits poursuivis est devenu majeur au moment du procès, c'est le dernier alinéa de l'article 306 qui s'applique :
"Les dispositions du présent article sont applicables devant la cour d'assises des mineurs si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l'ouverture des débats et qu'elle en fait la demande, sauf s'il existe un autre accusé qui est toujours mineur ou qui, mineur au moment des faits et devenu majeur au jour de l'ouverture des débats, s'oppose à cette demande."
En clair, si celui qui est devenu majeur au jour du procès demande que les débats se tiennent à huis clos (on ne parle plus de publicité restreinte mais de fait cela ne change rien, public et presse restent dehors), personne ne peut s'y opposer. A l'inverse le mineur devenu majeur peut accepter la présence du public. Mais c'est lui seul qui choisit, non la cour d'assises. Enfin, si deux mineurs sont poursuivis et que seul l'un d'entre eux est devenu majeur au moment du procès, celui-ci se déroulera forcément sans la présence du public.
Voilà pour le cadre juridique. Venons en maintenant à la polémique soulevée.
Les familles de la victime et les associations juives ont à plusieurs reprises dénoncé vigoureusement l'interdiction faite au public et aux medias d'assister au procès. Si l'on peut en partie comprendre la frustration de ceux qui auraient souhaité pouvoir entendre les explications des accusés et ainsi mieux comprendre ce qui s'est passé et qui sont réellement les acteurs de ce drame épouvantable, il est étonnant qu'aucun d'entre eux n'ait fait allusion au cadre juridique applicable et à sa raison d'être.
L'absence de public quand des mineurs sont jugés est à mettre en lien avec l'interdiction qui est faite de mentionner leur nom dans la presse, quoi qu'ils aient fait. L'article 14 déjà cité est très clair :
"La publication du compte rendu des débats des tribunaux pour enfants dans le livre, la presse, la radiophonie, le cinématographe ou de quelque manière que ce soit est interdite. La publication, par les mêmes procédés, de tout texte ou de toute illustration concernant l'identité et la personnalité des mineurs délinquants est également interdite. Les infractions à ces dispositions seront punies d'une amende de 6000 euros ; en cas de récidive, un emprisonnement de deux ans pourra être prononcé."
Pourquoi de telles précautions ? Parce que l'on considère que même s'il a commis une infraction, et est poursuivi en justice, un mineur doit conserver des chances maximales de réinsertion, et dès lors qu'il doit y avoir le moins de traces possibles de son passage devant une juridiction pénale. Autrement dit, on veut éviter qu'un mineur qui, après avoir été condamné, cherche sérieusement à se réinsérer et à donner le meilleur de lui-même en se mettant au travail, entende dire par un éventuel employeur "ah oui, c'est vous dont on a parlé dans le journal, désolé, mais je ne peux pas vous prendre".
D'autant plus que dans la majorité des cas les infractions commises par les mineurs (qui comparaissent pour la plupart devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants) sont d'une gravité moyenne.
Quand comme dans l'affaire Fofana un mineur est impliqué dans des actes commis avec des majeurs, il est impossible de le juger à part. Pour que l'affaire soit étudiée dans sa globalité et jugée de façon cohérente, il faut que tous les acteurs soient réunis et s'expliquent sur leurs actes mais également sur leurs liens.
C'est pourquoi, quand sont jugés des mineurs et des majeurs, il faut faire un choix entre deux préoccupations qui ne sont pas conciliables et qui ne pourront pas être satisfaites ensemble : privilégier la protection des mineurs en vue de leur réinsertion et réduire la publicité des débats, ou favoriser cette publicité et réduire la proection accordée aux plus jeunes.
On peut préférer l'une ou l'autre de ces deux options, aucune ne contenant un dogme intangible. Mais il n'est pas plausible de critiquer fortement l'absence de publicité des débats tout en faisant semblant d'ignorer la raison d'être de la publicité restreinte quand des mineurs sont jugés.
Et si l'on est pour une diminution de la protection accordée aux mineurs, il faut le dire clairement.
Il a également été affirmé de nombreuses fois que l'issue du procès aurait été différente si le public avait été admis dans la salle d'audience. Une telle affirmation laisse perplexe.
La présence ou l'absence de public ne change pas le contenu du dossier et influence rarement les propos tenus par les accusés, les témoins et les experts à l'audience.
Et puis surtout, ce n'est pas la salle qui juge mais la cour d'assises. Or ce qui conduit aux décisions à l'issue du procès, c'est ce qu'entendent les magistrats et les jurés au fil des audiences. Dans ce processus, la présence ou l'absence de public importe peu.
Ajoutons que si certaines associations juives ont pensé que par la présence en grand nombre de leurs membres dans la salle d'audience elles auraient pu faire psychologiquement pression sur la cour d'assises, alors il faut se féliciter que l'accès leur ait été interdit. Sans même se demander comment ces personnes auraient réagi lors des provocations de Mr Fofana...et ce qui serait advenu de l'indispensable sérénité des débats.
La publicité restreinte présente quand même quelques inconvénients.
Le premier est, à cause de l'absence des journalistes, une information très réduite du public. Or dans certaines affaires il est utile que ceux qui souhaitent comprendre pourquoi ce genre de crime peut se produire et qui en sont les acteurs soient informés de ce qui se dit au fil des audiences.
Le second découle du précédent. Aucun tiers ne venant raconter objectivement ce qui se passe dans la salle d'audience, ceux qui ont le droit d'y entrer et en premier lieu les avocats peuvent raconter ce qu'ils veulent au moment où ils en sortent et où ils se précipitent vers les journalistes et les cameras. Et certains ne se privent pas de raconter les choses à leur façon, sans avoir comme priorité un compte rendu fidèle de ce qui vient de se passer.
Un débat serein, sérieux, argumenté, peut toujours être ouvert sur ce qu'il faut privilégier entre protection de l'avenir d'accusés mineurs d'une part, et accès du public au procès dans la salle ou par le biais des medias d'autre part.
En tous cas, la grande médiocrité de la plupart des propos tenus à l'issue du procès Fofana montre que l'occasion a été ratée.
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à lire aussi : Le huis clos à la cour d'assises
En complément du précédent article concernant l'appel contre certaines des sanctions dans l'affaire ayant impliqué Mr Fofana et plusieurs autres accusés, il me semble utile de revenir sur la polémique concernant le fait que le procès se soit déroulé sans la présence du public et des medias.
Revenons d'abord un instant sur le vocabulaire. On parle de "huis clos" à la cour d'assises quand personne n'est autorisé à rester dans la salle d'audience pendant le procès. La règle est fixée à l'article 306 du code de procédure pénale qui nous dit que :
"Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les moeurs. Dans ce cas, la cour le déclare par un arrêt rendu en audience publique. (..) Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles ne s'y oppose pas."
Ce n'est pas ce cadre juridique qui a été appliqué lors du procès Fofana mais celui de la publicité restreinte, mis en oeuvre quand parmi les accusés sont présents un ou plusieurs mineurs. La règle, qui ressemble à celle du huis clos en ce qu'elle autorise la présence de quelques personnes spécialisées dans l'enfance mais non du public et des medias, est posée par l'article 14 de l'ordonnance de février 1945 :
"Seuls seront admis à assister aux débats la victime, qu'elle soit ou non constituée partie civile, les témoins de l'affaire, les proches parents, le tuteur ou le représentant légal du mineur, les membres du barreau, les représentants des sociétés de patronage et des services ou institutions s'occupant des enfants, les délégués à la liberté surveillée."
Quand on parle ici d'un mineur, il s'agit d'un mineur au moment des faits et au moment de la comparution devant la cour d'assises.
Si l'accusé mineur au moment des faits poursuivis est devenu majeur au moment du procès, c'est le dernier alinéa de l'article 306 qui s'applique :
"Les dispositions du présent article sont applicables devant la cour d'assises des mineurs si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l'ouverture des débats et qu'elle en fait la demande, sauf s'il existe un autre accusé qui est toujours mineur ou qui, mineur au moment des faits et devenu majeur au jour de l'ouverture des débats, s'oppose à cette demande."
En clair, si celui qui est devenu majeur au jour du procès demande que les débats se tiennent à huis clos (on ne parle plus de publicité restreinte mais de fait cela ne change rien, public et presse restent dehors), personne ne peut s'y opposer. A l'inverse le mineur devenu majeur peut accepter la présence du public. Mais c'est lui seul qui choisit, non la cour d'assises. Enfin, si deux mineurs sont poursuivis et que seul l'un d'entre eux est devenu majeur au moment du procès, celui-ci se déroulera forcément sans la présence du public.
Voilà pour le cadre juridique. Venons en maintenant à la polémique soulevée.
Les familles de la victime et les associations juives ont à plusieurs reprises dénoncé vigoureusement l'interdiction faite au public et aux medias d'assister au procès. Si l'on peut en partie comprendre la frustration de ceux qui auraient souhaité pouvoir entendre les explications des accusés et ainsi mieux comprendre ce qui s'est passé et qui sont réellement les acteurs de ce drame épouvantable, il est étonnant qu'aucun d'entre eux n'ait fait allusion au cadre juridique applicable et à sa raison d'être.
L'absence de public quand des mineurs sont jugés est à mettre en lien avec l'interdiction qui est faite de mentionner leur nom dans la presse, quoi qu'ils aient fait. L'article 14 déjà cité est très clair :
"La publication du compte rendu des débats des tribunaux pour enfants dans le livre, la presse, la radiophonie, le cinématographe ou de quelque manière que ce soit est interdite. La publication, par les mêmes procédés, de tout texte ou de toute illustration concernant l'identité et la personnalité des mineurs délinquants est également interdite. Les infractions à ces dispositions seront punies d'une amende de 6000 euros ; en cas de récidive, un emprisonnement de deux ans pourra être prononcé."
Pourquoi de telles précautions ? Parce que l'on considère que même s'il a commis une infraction, et est poursuivi en justice, un mineur doit conserver des chances maximales de réinsertion, et dès lors qu'il doit y avoir le moins de traces possibles de son passage devant une juridiction pénale. Autrement dit, on veut éviter qu'un mineur qui, après avoir été condamné, cherche sérieusement à se réinsérer et à donner le meilleur de lui-même en se mettant au travail, entende dire par un éventuel employeur "ah oui, c'est vous dont on a parlé dans le journal, désolé, mais je ne peux pas vous prendre".
D'autant plus que dans la majorité des cas les infractions commises par les mineurs (qui comparaissent pour la plupart devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants) sont d'une gravité moyenne.
Quand comme dans l'affaire Fofana un mineur est impliqué dans des actes commis avec des majeurs, il est impossible de le juger à part. Pour que l'affaire soit étudiée dans sa globalité et jugée de façon cohérente, il faut que tous les acteurs soient réunis et s'expliquent sur leurs actes mais également sur leurs liens.
C'est pourquoi, quand sont jugés des mineurs et des majeurs, il faut faire un choix entre deux préoccupations qui ne sont pas conciliables et qui ne pourront pas être satisfaites ensemble : privilégier la protection des mineurs en vue de leur réinsertion et réduire la publicité des débats, ou favoriser cette publicité et réduire la proection accordée aux plus jeunes.
On peut préférer l'une ou l'autre de ces deux options, aucune ne contenant un dogme intangible. Mais il n'est pas plausible de critiquer fortement l'absence de publicité des débats tout en faisant semblant d'ignorer la raison d'être de la publicité restreinte quand des mineurs sont jugés.
Et si l'on est pour une diminution de la protection accordée aux mineurs, il faut le dire clairement.
Il a également été affirmé de nombreuses fois que l'issue du procès aurait été différente si le public avait été admis dans la salle d'audience. Une telle affirmation laisse perplexe.
La présence ou l'absence de public ne change pas le contenu du dossier et influence rarement les propos tenus par les accusés, les témoins et les experts à l'audience.
Et puis surtout, ce n'est pas la salle qui juge mais la cour d'assises. Or ce qui conduit aux décisions à l'issue du procès, c'est ce qu'entendent les magistrats et les jurés au fil des audiences. Dans ce processus, la présence ou l'absence de public importe peu.
Ajoutons que si certaines associations juives ont pensé que par la présence en grand nombre de leurs membres dans la salle d'audience elles auraient pu faire psychologiquement pression sur la cour d'assises, alors il faut se féliciter que l'accès leur ait été interdit. Sans même se demander comment ces personnes auraient réagi lors des provocations de Mr Fofana...et ce qui serait advenu de l'indispensable sérénité des débats.
La publicité restreinte présente quand même quelques inconvénients.
Le premier est, à cause de l'absence des journalistes, une information très réduite du public. Or dans certaines affaires il est utile que ceux qui souhaitent comprendre pourquoi ce genre de crime peut se produire et qui en sont les acteurs soient informés de ce qui se dit au fil des audiences.
Le second découle du précédent. Aucun tiers ne venant raconter objectivement ce qui se passe dans la salle d'audience, ceux qui ont le droit d'y entrer et en premier lieu les avocats peuvent raconter ce qu'ils veulent au moment où ils en sortent et où ils se précipitent vers les journalistes et les cameras. Et certains ne se privent pas de raconter les choses à leur façon, sans avoir comme priorité un compte rendu fidèle de ce qui vient de se passer.
Un débat serein, sérieux, argumenté, peut toujours être ouvert sur ce qu'il faut privilégier entre protection de l'avenir d'accusés mineurs d'une part, et accès du public au procès dans la salle ou par le biais des medias d'autre part.
En tous cas, la grande médiocrité de la plupart des propos tenus à l'issue du procès Fofana montre que l'occasion a été ratée.
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