A propos de l'appel dans le dossier Fofana (mise à jour)
Par Michel Huyette
nb : ce texte mis en ligne le 13 juillet a été mis à jour le 15 juillet puis le 17 juillet
nb : ce texte mis en ligne le 13 juillet a été mis à jour le 15 juillet puis le 17 juillet
Il vient de se jouer autour de ce procès hautement médiatique un scénario en 3 temps : la cour d'assises a rendu son verdict, la famille de la victime et des associations juives ont publiquement contesté les sanctions (à part bien sûr la peine maximale prononcée contre Monsieur Fofana), et la ministre de la justice a indiqué avoir demandé au ministère public de faire appel contre "les sanctions inférieures aux réquisitions de l'avocat général".
Cela appelle quelques commentaires.
1. Quand une première cour d'assises rend son verdict dans une affaire impliquant de nombreux accusés, à l'issue d'un procès long et douloureux, l'appel ne présente un réel intérêt que si certaines sanctions sont manifestement inadaptées ou incompréhensibles. Réorganiser des semaines de procès pour aboutir à une année de prison en plus pour les uns, une année en moins pour les autres (1), n'est d'aucune utilité pour personne.
C'est pourquoi, de mon point de vue, un appel n'est légitime que lorsque la décision de première instance présente une anomalie reconnue comme telle par de nombreux témoins du procès.
Dans l'affaire Fofana, l'avocat général a lui-même salué un verdict de grande qualité ayant fait la part des choses entre la gravité des faits, leur retentissement médiatique, et la personnalisation des sanctions selon la participation et la personnalité de chacun des accusés.
2. L'argument avancé par la ministre de la justice, c'est à dire la différence entre les peines proposées et les peines prononcées (2), est troublant. En effet, les réquisitions d'un membre du ministère public à l'audience sont l'avis d'une seule personne (parfois, mais très peu souvent, les parquetiers d'une juridiction discutent entre eux des sanctions à requérir avant que l'un d'entre eux aille à l'audience). Ces réquisitions ne sont donc ni une parole infaillible ni une référence absolue. Elles ne sont qu'un point de repère parmi bien d'autres. Au demeurant, selon les affaires, certains trouvent les réquisitions équilibrées, ou trop indulgentes, ou excessivement sévères. Le contenu des réquisitions ne nous rensigne donc pas véritablement sur ce que sont dans chaque dossier les peines les plus adaptées aux faits et aux personnalités des accusés.
Dès lors, considérer qu'il est opportun de faire appel pour la seule raison que les sanctions prononcées après un délibéré auquel ont participé 12 personnes sont inférieures à l'avis d'un seul homme a quelque chose d'aberrant. La démarche ne pourrait se comprendre, et encore, qu'à la condition préalable d'affirmer de façon catégorique que les réquisitions ont énoncé les seules sanctions appropriées et donc que les peines inférieures sont manifestement inadaptées.
Notons que dans l'affaire Fofana ce raisonnement serait particulièrement peu compréhensible puisque le procès s'est déroulé à huis clos. Il est donc difficile, si ce n'est impossible, à ceux qui n'ont jamais assisté aux débats de se faire une opinion argumentée sur les peines apparaissant les plus plausibles à l'issue de plusieurs semaines de débats.
(mise à jour du 15 juillet) L'affirmation de la ministre va par ailleurs avoir une conséquence indirecte sur le déroulement du second procès. Puisque la raison d'être de l'appel est le prononcé de peines inférieures aux réquisitions, la cohérence du processus ne sera préservée que si, en appel, l'avocat général demande des peines au moins égales à celles requises en première instance. Mais alors, cela signifie-t-il que celui qui sera désigné ne disposera plus de la liberté habituelle reconnue à tous les magistrats du Parquet, et qui les autorise/encourage à requérir les peines qui leurs paraissent justes et non celles que des tiers voudraient voire prononcer ? Le chef du prochain Parquet va-t-il devoir faire passer un questionnaire à tous ses adjoints pour savoir ce que chacun serait susceptible de requérir, et désigner pour l'audience celui dont les réquisitions sont au moins égales à celles de la première instance ?
Mais peut-être considère-t-on ici où là que la question ne se pose pas et qu'il ne se trouvera pas un seul magistrat du ministère public pour oser désobéir aux consignes mêmes implicites du ministère, d'autant plus que la nomination /promotion des parquetiers est entièrement entre les mains de la chancellerie.... Voici encore une occasion de s'interroger sur le statut du Parquet...
Au-delà, on imagine déjà la scène si le second avocat général propose pour certains des accusés rejugés des peines inférieures à celles requises lors du premier procès....
3. Ce qui dérange enfin, c'est la chronologie des évènements.
Non seulement les membres de la famille de la victime, mais plusieurs organisations juives ont dénoncé le verdict de la cour d'assises, l'estimant insuffisamment sévère pour la plupart des accusés. Il n'y a rien à redire à cela, chaque citoyen étant autorisé à émettre un avis sur les décisions des juridictions.
Mais avis ne veut pas forcément dire avis motivé ni judicieux. Les membres de ces associations sont là, et c'est leur rôle, légitime, pour défendre les intérêts de ceux qui partagent leurs croyances.
Mais émotion ne rime pas toujours avec raison. Tenter de satisfaire les uns plus que les autres, parce que les premiers ont de plus fortes capacités à se faire entendre, risque à chaque instant de nous éloigner d'une justice sereine et équilibrée.
Il ne faut jamais perdre de vue que le but de l'institution judiciaire n'est pas de satisfaire, ni de plaire. Ceux qui jugent doivent en permanence rester à distance raisonnable des intérêts privés, des passions, des excès. Il faut donc en permanence éviter de prêter une oreille plus attentive aux uns qu'aux autres. Demain, si des groupes de pression dénoncent en appui d'accusés un verdict trop sévère, le ministère de la justice va-t-il aussitôt demander au Parquet de faire appel pour que des peines moins sévères soient prononcées en appel ?
En tous cas, le fait que la ministre de la justice décide d'imposer au ministère public d'interjeter appel très peu de temps après les prises de position des associations juives impose de se demander s'il existe une relation de cause à effet (3). Ce serait alors véritablement préoccupant en terme d'indépendance de l'institution judiciaire, et de maintien des passions à distance.
Et n'oublions pas non plus que dans notre droit actuel, l'appel n'est pas permis aux parties civiles. Seuls l'accusé et le ministère public peuvent contester le verdict de la cour d'assises par la voie de l'appel (art 380-2 du code de procédure pénale).
Quand dans de telles circonstances la ministre de la justice décide de faire appel, on peut se demander qui est véritablement derrière son geste et s'il ne s'agit pas, indirectement, d'offrir à une partie civile, et indirectement à un groupe de pression qui l'accompagne, un droit que la loi ne lui donne pas.
Finalement, il n'est pas facile de trouver des éléments susceptibles de nous convaincre que faire appel de la décision de la cour d'assises était véritablement indispensable.
En plus, le risque est grand de nouvelles désillusions après le second procès.
-------------
1. Sur la comparaison entre les peines prononcées en première instance puis par les cours d'assises d'appel, vous pouvez lire cette étude statistique du ministère de la justice, publiée en 2008.
2. Pour un certains nombre d'accusés la différence entre les réquisitions et les peines prononcées est minime. Par exemple, pour la mineure ayant servi d'appât, l'avocat général a requis "10 à 12 années de prison" et la cour d'assises l'a condamnée à 9 années de prison....
3 (mise à jour du 17 juillet) Selon le journal Le Monde daté du 18 juillet 2009, la ministre a indiqué avoir interjeté appel parce qu'il existe " un véritable risque que les victimes n'aient plus confiance dans la justice et cherchent à se faire justice elles-mêmes". C'est confirmer que l'objectif est de satisfaire un désir de sévérité des victimes, sans aucun égard envers le caractère raisonnable (ou non) des peines prononcées. Cela est extrèmement préoccupant pour l'avenir d'une justice qui doit en toutes circonstances rester à l'abri des passions.
Cela appelle quelques commentaires.
1. Quand une première cour d'assises rend son verdict dans une affaire impliquant de nombreux accusés, à l'issue d'un procès long et douloureux, l'appel ne présente un réel intérêt que si certaines sanctions sont manifestement inadaptées ou incompréhensibles. Réorganiser des semaines de procès pour aboutir à une année de prison en plus pour les uns, une année en moins pour les autres (1), n'est d'aucune utilité pour personne.
C'est pourquoi, de mon point de vue, un appel n'est légitime que lorsque la décision de première instance présente une anomalie reconnue comme telle par de nombreux témoins du procès.
Dans l'affaire Fofana, l'avocat général a lui-même salué un verdict de grande qualité ayant fait la part des choses entre la gravité des faits, leur retentissement médiatique, et la personnalisation des sanctions selon la participation et la personnalité de chacun des accusés.
2. L'argument avancé par la ministre de la justice, c'est à dire la différence entre les peines proposées et les peines prononcées (2), est troublant. En effet, les réquisitions d'un membre du ministère public à l'audience sont l'avis d'une seule personne (parfois, mais très peu souvent, les parquetiers d'une juridiction discutent entre eux des sanctions à requérir avant que l'un d'entre eux aille à l'audience). Ces réquisitions ne sont donc ni une parole infaillible ni une référence absolue. Elles ne sont qu'un point de repère parmi bien d'autres. Au demeurant, selon les affaires, certains trouvent les réquisitions équilibrées, ou trop indulgentes, ou excessivement sévères. Le contenu des réquisitions ne nous rensigne donc pas véritablement sur ce que sont dans chaque dossier les peines les plus adaptées aux faits et aux personnalités des accusés.
Dès lors, considérer qu'il est opportun de faire appel pour la seule raison que les sanctions prononcées après un délibéré auquel ont participé 12 personnes sont inférieures à l'avis d'un seul homme a quelque chose d'aberrant. La démarche ne pourrait se comprendre, et encore, qu'à la condition préalable d'affirmer de façon catégorique que les réquisitions ont énoncé les seules sanctions appropriées et donc que les peines inférieures sont manifestement inadaptées.
Notons que dans l'affaire Fofana ce raisonnement serait particulièrement peu compréhensible puisque le procès s'est déroulé à huis clos. Il est donc difficile, si ce n'est impossible, à ceux qui n'ont jamais assisté aux débats de se faire une opinion argumentée sur les peines apparaissant les plus plausibles à l'issue de plusieurs semaines de débats.
(mise à jour du 15 juillet) L'affirmation de la ministre va par ailleurs avoir une conséquence indirecte sur le déroulement du second procès. Puisque la raison d'être de l'appel est le prononcé de peines inférieures aux réquisitions, la cohérence du processus ne sera préservée que si, en appel, l'avocat général demande des peines au moins égales à celles requises en première instance. Mais alors, cela signifie-t-il que celui qui sera désigné ne disposera plus de la liberté habituelle reconnue à tous les magistrats du Parquet, et qui les autorise/encourage à requérir les peines qui leurs paraissent justes et non celles que des tiers voudraient voire prononcer ? Le chef du prochain Parquet va-t-il devoir faire passer un questionnaire à tous ses adjoints pour savoir ce que chacun serait susceptible de requérir, et désigner pour l'audience celui dont les réquisitions sont au moins égales à celles de la première instance ?
Mais peut-être considère-t-on ici où là que la question ne se pose pas et qu'il ne se trouvera pas un seul magistrat du ministère public pour oser désobéir aux consignes mêmes implicites du ministère, d'autant plus que la nomination /promotion des parquetiers est entièrement entre les mains de la chancellerie.... Voici encore une occasion de s'interroger sur le statut du Parquet...
Au-delà, on imagine déjà la scène si le second avocat général propose pour certains des accusés rejugés des peines inférieures à celles requises lors du premier procès....
3. Ce qui dérange enfin, c'est la chronologie des évènements.
Non seulement les membres de la famille de la victime, mais plusieurs organisations juives ont dénoncé le verdict de la cour d'assises, l'estimant insuffisamment sévère pour la plupart des accusés. Il n'y a rien à redire à cela, chaque citoyen étant autorisé à émettre un avis sur les décisions des juridictions.
Mais avis ne veut pas forcément dire avis motivé ni judicieux. Les membres de ces associations sont là, et c'est leur rôle, légitime, pour défendre les intérêts de ceux qui partagent leurs croyances.
Mais émotion ne rime pas toujours avec raison. Tenter de satisfaire les uns plus que les autres, parce que les premiers ont de plus fortes capacités à se faire entendre, risque à chaque instant de nous éloigner d'une justice sereine et équilibrée.
Il ne faut jamais perdre de vue que le but de l'institution judiciaire n'est pas de satisfaire, ni de plaire. Ceux qui jugent doivent en permanence rester à distance raisonnable des intérêts privés, des passions, des excès. Il faut donc en permanence éviter de prêter une oreille plus attentive aux uns qu'aux autres. Demain, si des groupes de pression dénoncent en appui d'accusés un verdict trop sévère, le ministère de la justice va-t-il aussitôt demander au Parquet de faire appel pour que des peines moins sévères soient prononcées en appel ?
En tous cas, le fait que la ministre de la justice décide d'imposer au ministère public d'interjeter appel très peu de temps après les prises de position des associations juives impose de se demander s'il existe une relation de cause à effet (3). Ce serait alors véritablement préoccupant en terme d'indépendance de l'institution judiciaire, et de maintien des passions à distance.
Et n'oublions pas non plus que dans notre droit actuel, l'appel n'est pas permis aux parties civiles. Seuls l'accusé et le ministère public peuvent contester le verdict de la cour d'assises par la voie de l'appel (art 380-2 du code de procédure pénale).
Quand dans de telles circonstances la ministre de la justice décide de faire appel, on peut se demander qui est véritablement derrière son geste et s'il ne s'agit pas, indirectement, d'offrir à une partie civile, et indirectement à un groupe de pression qui l'accompagne, un droit que la loi ne lui donne pas.
Finalement, il n'est pas facile de trouver des éléments susceptibles de nous convaincre que faire appel de la décision de la cour d'assises était véritablement indispensable.
En plus, le risque est grand de nouvelles désillusions après le second procès.
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1. Sur la comparaison entre les peines prononcées en première instance puis par les cours d'assises d'appel, vous pouvez lire cette étude statistique du ministère de la justice, publiée en 2008.
2. Pour un certains nombre d'accusés la différence entre les réquisitions et les peines prononcées est minime. Par exemple, pour la mineure ayant servi d'appât, l'avocat général a requis "10 à 12 années de prison" et la cour d'assises l'a condamnée à 9 années de prison....
3 (mise à jour du 17 juillet) Selon le journal Le Monde daté du 18 juillet 2009, la ministre a indiqué avoir interjeté appel parce qu'il existe " un véritable risque que les victimes n'aient plus confiance dans la justice et cherchent à se faire justice elles-mêmes". C'est confirmer que l'objectif est de satisfaire un désir de sévérité des victimes, sans aucun égard envers le caractère raisonnable (ou non) des peines prononcées. Cela est extrèmement préoccupant pour l'avenir d'une justice qui doit en toutes circonstances rester à l'abri des passions.