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Publié par Parolesdejuges

Chronique 1 ici

 

Au cours de mes pérégrinations dans des théâtres d’opérations extérieures, j’ai été appelé de différentes façons. À Madagascar et en Tunisie, l’usage est de dire Monsieur ou Madame suivi du prénom. Pendant quelques années, j’ai donc été Monsieur Patrice. Au Tchad, l’usage est différent : on s’adresse à quelqu’un en utilisant les initiales de sa fonction. A un président de cour d’appel, on dit : comment allez-vous PCA ? Mon titre était conseiller technique principal. On me disait donc : bonjour CTP, ce qui est tout de même singulier.

En RDC, on ne dit pas Monsieur ou Madame, mais Papa ou Maman. Et pas seulement dans un contexte familier. Dans une réunion officielle de présentation des résultats de notre projet, la directrice de cabinet au ministère de la justice a salué la présence d’une dame procureure générale, provoquant les applaudissements de l’assistance. Elle a ajouté : « Levez-vous, Maman, il faut vous montrer ! », entraînant derechef une nouvelle salve d’applaudissements.

On m’appelle assez peu papa. Les assistantes et les chauffeurs me disent chef. Dans la rue aussi, les gens, voyant un blanc d’âge canonique, se doutent qu’il ne vient pas en vacances et doit être chef de quelque chose, et j’ai donc droit à chef.

Mon cuisinier m’appelle boss, ce qui est encore autre chose. Car dans cette maison, je suis à la tête d’une petite entreprise : j’ai deux papas Joseph pour le portail d’entrée, en alternance de jour et de nuit, un papa Alphonse et un papa Fidèle pour l’entretien du jardin, un papa Innocent pour l’entretien de la maison et un papa Abel piscinier (car piscine il y a). Ce sont les personnels du propriétaire, que je rembourse en proportion. Et j’ai embauché en plus un cuisinier, car il ne faut pas se laisser abattre.

Le chauffeur du projet me véhicule dans la journée, et pour revenir le soir, mais je suis livré à moi-même le matin. En abordant le feu rouge du boulevard, j’ai décidé d’appliquer la loi et je me suis arrêté. Curieusement, aucune protestation derrière. Deux voitures qui se sont rangées à mes côtés se sont également arrêtées. Et depuis, je constate que les voitures s’arrêtent au feu. Je me plais à penser que mon exemple a été décisif. L’État de droit est en marche.

Dans la rue, on voit des solliciteurs faire le geste de boire un verre d’eau. On s’attirerait un regard de pitié si on donnait une bouteille d’eau. Il s’agit évidemment d’un geste convenu pour demander de l’argent. J’évite, car ma voiture serait bloquée par une grappe de quémandeurs. Mais une fois, le signal m’a été adressé par une dame balai de la municipalité, très jolie. J’ai été attendri, évidemment, et je lui ai donné un billet de 500 francs congolais. Malgré la modestie du cadeau (20 centimes d’euro), j’ai eu droit à « Dieu vous bénisse » avec un sourire éblouissant.

La maison et le bureau se trouvent dans le quartier des ministères et des ambassades, plutôt préservé par rapport aux autres quartiers de la capitale. Il n’empêche que je ne dois pas me déplacer à pied, mais seulement en voiture. Il faut dire que marcher en pleine chaleur, dans le bruit et les fumées des embouteillages serait d’un médiocre intérêt. On se déplace donc en voiture, portières fermées pour éviter le risque de délinquance de rue, même si a priori il est faible dans ce secteur.

Vous est-il arrivé de rester à l’arrêt dans un embouteillage pendant 2h30 ? Moi oui. Il s’agissait d’aller visiter le site d’une construction judiciaire que nous allons édifier à 70 km du centre-ville. À l’aller, trois heures de trajet, ce qui est déjà peu flambant comme moyenne horaire. Mais, au retour, cinq heures, avec 2h30 d’arrêt complet et l’ennui insurmontable qui va avec. Il faut avoir une vie intérieure très riche. La situation est à ce point calamiteuse que, quand on va à l’aéroport qui est à 30 km, on part 7 heures avant l’heure du départ de l’avion pour être sûr d’arriver à temps.

Pendant 10 ans, la RDC n’a pas recruté de magistrats. On est donc resté à 3 000 magistrats pour 100 millions d’habitants, ce qui est peu. Les autorités ont décidé de frapper un grand coup en recrutant 5 000 magistrats en deux fois.

Une promotion de 2 500, voilà qui est peu courant. Cette première promotion vient d’achever sa formation théorique. Compte tenu de leur nombre, les intéressés ont dû suivre des formations en grand amphi, ce qui n’est pas l’idéal pour un apprentissage professionnel. Une évaluation de cette phase de formation va être faite afin de parvenir à l’amélioration du processus pour la promotion arrivante.

La loi en vigueur sur le recrutement des magistrats prévoit que, à l’issue de la formation théorique, les intéressés sont nommés substituts du procureur pour leur stage pratique. Ils se retrouvent magistrats mais en quelque sorte à l’essai, puisque si l’évaluation de cette phase pratique est défavorable, leur parcours s’achève et ils rentrent à la maison.

En tout cas, les voilà tous au parquet. C’était la situation en France avant la création de l’Ecole nationale de la magistrature au début des années 1960. Les élèves magistrats étaient nommés « attachés de parquet ». Il y a bien longtemps, un ancien m’a raconté qu’il avait été affecté au parquet de Lyon au service traitant les demandes de réhabilitation. Je savais tout de la réhabilitation, mais rien d’autre, me disait-il.

En attendant, les 2 500 vont logiquement faire leur travail de ministère public, diriger les enquêtes, engager des poursuites et décerner des mandats d’arrêt, comme on dit ici, valables 5 jours jusqu’à décision de prolongation de la chambre du conseil du tribunal.

Mais, par l’effet des promotions accordées aux magistrats déjà en poste, la catégorie des juges de base se trouve largement dégarnie faute de recrutement régulier depuis 10 ans. Des tribunaux de paix, compétents jusqu’à 5 ans de prison, se trouvent donc à effectif zéro ou avec un seul juge, ce qui ne permet ni de valider les détentions préventives, ni de juger au fond, puisqu’on décide en collégialité. La funeste statistique du taux de détention préventive (78 %) risque de plonger.

La situation ne pourra s’améliorer qu’à la fin de l’année, lorsque les 2 500 auront achevé leur formation. On pourra puiser dans cet effectif pour pourvoir les postes de juges dans les tribunaux de paix et les tribunaux de grande instance. Ce sera avec des gens qui n’ont été formés qu’au parquet. Rien n’est simple.

Patrice de Charette


 

 

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