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Publié par Parolesdejuges

 

Par Mme C, juré en 2022

 

Etre Juré d'assises je n'y avais jamais pensé jusqu'à ce courrier m'informant que j'avais été tirée au sort sur la liste électorale de ma commune : Surprise, amusement, inquiétude, ....et tout s'enchaîne :  convocation par le Tribunal, réunion d'information : En une matinée le Président nous explique le  déroulement d'un procès : Les différents intervenants, enquêteurs de personnalité, psychiatres,  psychologues, médecins légistes, gendarmes, experts en téléphonie, armes, … puis un avocat  intervient pour nous parler du rôle des différents avocats (parties civiles, défense, avocat général) ….

Pause déjeuner suivie du tirage au sort pour la première affaire : Retenue ! Je me dirige donc sur l'estrade et m'assied où m'y invite l'huissier. Je siègerai encore pour la deuxième et encore pour  la troisième affaire. Moi qui n'ai généralement aucune chance aux jeux de hasard... La veille du tirage au sort de la quatrième et dernière affaire je demanderai une dispense.

J'ai pris ce devoir de citoyenne avec beaucoup d'engagement dès la première affaire. Prise de notes,  questions lors des audiences, interrogations et échanges avec magistrats et jurés lors des pauses.

Arrivée là par hasard, mon intime conviction doit écarter le hasard, le doute, l'incertitude. Je me dois d'honorer cette fonction de juré, je dois la vérité. Et c'est alors que je prends conscience de la lourde, écrasante et angoissante tâche qu'est celle du jugement. On n'a pas de vérité, pas d'aveux, souvent pas de preuves incontestables. Que se passe t il dans la tête des accusés qui sont là devant moi ? Qu’ont-ils réellement fait ? Eux seuls ont la réponse. Moi je dois m'interroger, avec les éléments qui me sont donnés sur leur culpabilité. En mon âme et conscience, mon intime conviction guidera mon jugement.

Première affaire, les explications dans le courrier reçu sont très vagues pour toutes les affaires. Je  découvre donc les faits reprochés aux accusés. On est dans la vraie vie. Des victimes racontent  leur calvaire avec un sang froid qui impose le respect. Je suis surprise de leur calme, de leur force. Des accusés qui sont présumés innocents.

Après quelques jours d'audience, jurés et magistrats se  retirent pour délibérer. Et là , je prends pleinement conscience que la vie de personnes dépend de ce que je vais noter sur un simple bout de papier !! Sentiment de vertige. Doute extrême.

Lors de ce premier délibéré, j'ai été un peu gênée par l'impression d'une quasi certitude de la part des magistrats. Leur expérience leur permettant une analyse rapide et fondée. Les jurés ont uniquement les informations délivrées lors du procès. La délibération terminée, retour dans la salle pour lecture du verdict. Sentiment d'avoir fait de mon mieux. Je me dis que ces jours d'audience ont été longs,  mais je me dis aussi qu'ils ne l'ont pas été assez. Et si je m'étais trompée ? Au volant en rentrant  chez moi, l'émotion me gagne, quelques larmes, l'angoisse de l'erreur, un poids m'oppresse... J'espère, comme je l'ai dit au Président avant de partir,que je ne serai pas tirée au sort à nouveau.

Mais Mr Hasard n'étant pas du même avis, c'est avec incrédulité que je monte à nouveau rejoindre les magistrats et autres jurés pour la deuxième affaire. Lors de la première pause je m'attache à dire au Président que je ne m'impliquerai pas de la même façon sur cette deuxième affaire. Je compte bien me protéger un peu, au vu de mon ressenti de la veille. Mais, cette deuxième affaire me touche énormément. Je ne peux m'en détacher. Moi qui suis d'habitude une marmotte, ai du mal à  dormir. Je me réveille pour noter des choses, des interrogations. Ma belle résolution du détachement m'est impossible. Je suis psychologiquement fatiguée, émue, en colère...tant de malheur qui aurait pu à mon avis être évité. J'ai sur cette affaire une intime conviction claire.

Le verdict me semble juste, nécessaire, réparateur. J'espère une bonne nuit de sommeil et que Mr  Hasard m'oubliera pour la troisième affaire... mais , le lendemain dans la salle du tribunal mon nom  est à nouveau appelé! Je prends mon manteau, lentement, me lève et m'avance tout aussi lentement espérant un «récusée»....qui ne viendra pas.

Troisième affaire. Je suis à présent une jurée «professionnelle!!». Est-ce parce que c'est la troisième, mon intime conviction est plus claire. Ce qui me gène dans cette affaire (viol) c'est que c'est  «facile» d'accuser un homme de viol. Je ne suis pas à l'aise, je pense que la colombe n'est pas vraiment blanche. Je ne suivrai pas le réquisitoire de l'avocat général concernant les deux accusés.  Je suis émue à la vue des larmes que l'un d'eux laisse couler à la lecture du verdict : larmes de  soulagement car il est accusé à tort des faits qui lui sont reprochés, je l'espère vivement.

Ces trois affaires m'ont épuisée. Je sens que je suis impactée, touchée par ces vies cassées,  déchirées, émue par ces récits poignants, bouleversants, l'idée de me tromper m'est difficilement acceptable. A la sortie du troisième verdict, alors que les magistrats nous accompagnent, je demande au Président d'être dispensée pour la dernière affaire. Au cas où Mr Hasard …. Merci d'avoir accepté ma demande.

Dès le premier jour j'ai pesé l'impact de ma décision sur la vie d'autrui. Celle des victimes, celle des accusés. Au début j'ai dit au président que je pensais qu'il serait préférable qu'il n'y ait pas de jurés populaires, car nous ne sommes pas formés à cet exercice. A la fin mon avis avait changé : Vivre la justice de l'intérieur, c'est passionnant ; avoir un tel pouvoir décisionnaire, c'est vertigineux !

L'univers de la magistrature est bien loin du cliché que j'en avais ! Je pensais les juges et magistrats plutôt hautains, froids...(désolée...!). Je les ai découverts d'une extrême bienveillance, très accessibles, jamais avares d'explications développées avec soin, clarté, efficacité, répondant patiemment à nos questions, certaines sans doute pourtant si futiles pour eux !!

La vie des victimes et des accusés est à nu, personne n'est épargné, tout est divulgué. J'ai été parfois mal à l'aise à l'écoute de certaines informations ou traits de personnalité dégradantes... J'ai  trouvé cela d'une extrême violence. J'espère ne jamais m'asseoir sur l'un des deux bancs.

Je suis sortie de cette expérience «éteinte». Mon retour au travail a été difficile le premier jour. Mes collègues, avides d'explications ont vite compris qu'il allait me falloir un peu de temps.

Jamais je n'aurais pensé être aussi impactée. Il m'a fallu quelques jours avant de «digérer» tout cela, et y penser de façon plus sereine.

Si c'était à refaire, je pense que je prendrais du temps avant pour assister à un procès dans son intégralité, afin de vivre cela de l'extérieur et de m'imprégner de cet univers.

Je ne regrette absolument pas d'avoir vécu cette expérience, j'espère juste que mon intime conviction a été la bonne.

 

 

 

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B
Bonjour, Merci pour ce billet sur la difficulté d'être juré en assises qui permet à tout à chacune et chacun de mieux appréhender la charge mentale qu'est l'acte de juger dont sont dépositaires les Magistrats et Magistrates et les Greffiers et Greffières devant des vies brisées. Justice, l'ambulance sur laquelle on ne cesse de tirer, qu'un Etat abandonnique (Conférer rapport de la CEPEJ attestant que l'Etat français accorde 69,51 euros par an et par habitant à la Justice) mission régalienne majeure, outre une inflation législative régie par des faits divers régis par la dictature émotionnelle. Merci pour le travail que la Justice effectue chaque jour, à bout de souffle, drapée dans le seul oripeau qu'il lui reste, sa dignité silencieuse.
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A
Merci de ce témoignage. Mon épouse a aussi été jury d'Assises et son vécu avait été très similaire au vôtre.Ce qui me surprend dans la procédure, c'est la notion d'oralité des débats, qui introduit 2 poids, 2 mesures. Les magistrats et les avocats ont connaissance du dossier écrit, mais pas les jurés ! Le Président fait certes un résumé de l'affaire, mais il a une connaissance fine du dossier écrit et ne peut pas ne pas avoir une opinion préalable qui risque 'orienter les débats. Rude tâche que l'objectivité dans ces circonstances !
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B
devant toutes les juridictions Le débat est contradictoire ...pour ceux qui voudraient mettre à mal l'objectivité.