Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et la prison de Fresnes
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (son site), a pour mission de veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (cf. ici). Le Contrôleur général adresse au(x) ministre(s) concerné(s) un rapport de visite puis des recommandations qu’il peut rendre publiques (cf. ici).
Au journal officiel du 14 décembre 2016 ont été publiées les observations du CGLPL relatives à la prison de Fresnes (texte intégral ici). Le rapport fait suite à la visite de douze contrôleurs début octobre 2016. Dans ce document nous trouvons notamment ceci :
"Si l'on observe l'évolution de la population pénale hébergée dans l'ensemble du centre pénitentiaire de Fresnes sur une période de dix ans, la dégradation de la situation apparaît de manière évidente et massive (..). Pour la maison d'arrêt des hommes, le taux d'occupation moyen est de 188 % (..).
Les conditions d'encellulement se trouvent dès lors très dégradées. Rappelons qu'à Fresnes toutes les cellules sont à peu près identiques. Ce sont des cellules individuelles, d'une taille voisine de 10 m2. Pourtant on n'y trouve que 296 cellules occupées par une seule personne, 350 cellules occupées par deux personnes et 421 cellules occupées par trois personnes. Dès lors, c'est seulement 13 % environ de la population qui bénéficie d'un encellulement individuel, 31 % environ qui partage une cellule à deux et près de 56 % qui vit à trois dans une cellule. En troisième division, la moins bien lotie, seul un condamné sur huit est seul en cellule et plus de la moitié d'entre eux sont dans des cellules occupées par trois personnes ; près du tiers des prévenus partagent leur cellule avec au moins un condamné ; la séparation des prévenus et des condamnés n'est donc en aucune manière respectée. (..) Cette situation est très en deçà des normes fixées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), qui prévoient que les détenus doivent bénéficier, hors espace sanitaire, de 6 m2 au moins pour une cellule individuelle, 10 m2 pour deux et 14 m2 pour trois (2). La surpopulation n'est bien sûr pas unique dans les établissements pénitentiaires français, mais à Fresnes, son caractère massif et durable lui confère un caractère particulièrement indigne. (..).
Dans le contexte d'une surpopulation pénale inacceptable au niveau national (taux d'occupation global de 117 % au 1er octobre 2016, de 140 % pour les seules maisons d'arrêt), on ne peut tolérer qu'un établissement subisse une charge totalement disproportionnée. Malgré les projets annoncés pour résorber globalement la surpopulation pénale à moyen terme, il est nécessaire que celle de Fresnes diminue rapidement de manière conséquente. La suppression immédiate des encellulements à trois (421 cellules) doit être la première étape de cette réduction ; elle aurait pour effet de ramener la population détenue à Fresnes légèrement au-dessus de son niveau de 2012. (..)
Les parloirs sont constitués de boxes de 1,3 ou 1,5 m2 dans lesquels deux personnes ne peuvent se tenir assises face à face qu'en croisant leurs jambes alors que, pourtant, on y installe de manière habituelle une personne détenue et trois visiteurs et, le cas échéant, des enfants. L'absence d'aération et l'accumulation de salpêtre et de crasse sur les murs en font des lieux indignes, tant pour les personnes détenues que pour leurs visiteurs. Le rapport du CGLPL de 2012 avait du reste souligné le caractère inadapté des parloirs « sous-dimensionnés, sans confidentialité et sans aération ». Les cours de promenade sont exiguës et dépourvues de bancs et d'abris. En l'absence de toilettes, les personnes détenues urinent dans des bouteilles qu'elles projettent ensuite par-dessus les murs. Il n'est pas rare que l'on voie plus de vingt-cinq personnes dans un espace d'environ 45 m2.
Néanmoins, c'est l'état d'hygiène déplorable de l'établissement qui constitue l'anomalie la plus grave, tant pour les personnes détenues que pour le personnel. Les rats évoluent en masse au pied des bâtiments, dans les cours de promenade et aux abords des bâtiments tout au long de la journée. Ils ne s'effraient pas de la présence d'êtres humains ; on ne peut éviter de piétiner leurs excréments ; ils sont présents jusque dans la cour d'honneur de l'établissement. L'odeur persistante de leur pelage, de leurs excréments et de leurs cadavres s'ajoute à celle des amas d'ordures qui jonchent le pied des bâtiments. Cette pollution contribue du reste elle-même à entretenir la présence des rongeurs ; elle résulte certes en partie d'actes d'incivilité, mais aussi d'autres facteurs tels que la promiscuité en cellule, l'absence de réfrigérateurs ou la taille insuffisante des poubelles. Les mesures nécessaires pour prévenir et traiter cette pollution ne sont pas prises. A l'intérieur des bâtiments, les rats sont moins visibles mais leur présence se manifeste sporadiquement ; selon plusieurs témoignages du personnel, un rat s'est introduit dans le lit d'un surveillant de permanence qui a dû subir un traitement préventif de la leptospirose et il arrive que l'on voie l'urine des rats s'écouler de faux plafonds. (..)
Ces conditions de vie sont indignes et portent directement atteinte à la santé des personnes, personnel et détenus, en particulier lorsque ces derniers sont affectés à un travail de nettoyage comme les « auxiliaires abords » sans aucune précaution d'hygiène et de sécurité : cette année, deux cas graves de leptospirose liés à la présence des rats ont été signalés à l'Institut national de veille sanitaire.
L'établissement est également infesté par les punaises de lit. Entre mars et octobre 2016, 281 cas ont été déclarés à l'unité sanitaire, dont 63 % dans la troisième division, la plus surpeuplée. La promiscuité, 22 heures sur 24, dans les cellules accroît la gravité de cette situation. Les contrôleurs ont pu observer que de nombreuses personnes détenues présentaient de multiples traces de piqûres. L'unité sanitaire considère que les piqûres des punaises sont à l'origine d'environ 10 % des visites effectuées pour les soins somatiques. Comme la présence des rats, celle de ces insectes porte donc à la fois atteinte à la dignité et à la santé des personnes détenues et des professionnels présents dans l'établissement. (..)
Saisi à plusieurs reprises par des personnes détenues, le CGLPL a interrogé la direction du centre pénitentiaire de Fresnes dès le début de l'année 2016. Celle-ci s'est contentée de mesures insuffisantes et de réponses rhétoriques dépourvues de tout lien avec la réalité qui a pu être observée quelques mois plus tard. (..)
Le CGLPL estime que la situation observée à la maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes est comparable à celles que la Cour européenne des droits de l'homme a considérées comme une violation de l'art. 3 de la Convention européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Canali contre France du 25 avril 2013, qui indique que « l'effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d'hygiène a provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d'infériorité propres à l'humilier et à le rabaisser. Dès lors, la Cour estime que ces conditions de détention s'analysent en un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention. » Cette situation contrevient également aux obligations que l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 impose à l'Etat : « L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. » La rénovation du centre pénitentiaire de Fresnes constitue une urgence, notamment en ce qui concerne les locaux d'hébergement, les parloirs et les cours de promenade. Sans l'attendre, des mesures de dératisation et de désinsectisation d'une ampleur adaptée à la situation, avec obligation de résultat, doivent être mises en œuvre immédiatement. (..)
Les contrôleurs ont été en permanence témoins du travail effréné des surveillants soumis à une pression constante qui les empêche de faire face à leur programme et aux multiples sollicitations des personnes détenues. Le simple fait d'ouvrir et fermer les portes, sans même attendre qu'une personne détenue mette quelques secondes à sortir, ce qui est pourtant inévitable, ne peut durer moins de vingt-cinq minutes pour la cinquantaine de cellules dont un surveillant est chargé. La faible expérience de la majorité des surveillants aggrave encore la difficulté de leur tâche. La direction, qui ne dispose pas de statistiques précises sur ce point, estime à 70 % environ la proportion des stagiaires dans son personnel. Les contrôleurs se sont notamment livrés à l'analyse détaillée des tâches qui incombent chaque matin aux surveillants d‘étage. De cette analyse il résulte qu'il est matériellement impossible pour ces derniers d'effectuer les mouvements nécessaires en totalité dans un temps permettant aux personnes détenues de bénéficier des activités ou des soins prévus pour elles car le surveillant qui en a la charge n'est pas en mesure d'effectuer les mouvements et moins encore de répondre aux demandes. Le respect des droits fondamentaux tels que les droits aux soins, au travail, au respect des liens familiaux, à l'enseignement, etc., est donc structurellement impossible. Il est du reste inévitable qu'il en soit ainsi lorsqu'un surveillant seul se trouve en situation de prendre en charge environ 120 personnes détenues, situation courante à Fresnes que l'on ne rencontre dans aucun autre établissement. (..)
La dégradation des conditions de détention au centre pénitentiaire de Fresnes entre la visite de 2012 et celle de 2016 est manifeste. Elle repose notamment sur les causes objectives que l'on a soulignées : l'accroissement de la surpopulation, la baisse de l'effectif du personnel et le vieillissement du bâtiment. Le fonctionnement actuel de l'établissement semble cependant être également la conséquence d'un poids insuffisant de la direction. L'établissement est historiquement marqué par une conception particulièrement rigide de la discipline adaptée à la gestion du très grand nombre de personnes détenues. En 2012, le CGLPL n'avait pas émis de critique sur cette discipline, plutôt considérée comme un facteur de sécurité pour les personnes détenues. En 2016, les difficultés d'effectif de l'établissement, la faible expérience d'une part importante du personnel et l'insuffisance de l'encadrement ont profondément modifié le caractère de cette discipline. Autrefois objective et ferme, elle est devenue illisible et brutale. (..)
Les contrôleurs ont reçu de nombreux témoignages, tant de la part de personnes détenues que de la part de professionnels, faisant état d'un usage banalisé et immédiat de la force sans que la nécessité de son utilisation soit toujours avérée et sans que des mesures tendant à l'éviter aient été prises préalablement. Dans d'autres établissements, le recours à la force est, le plus souvent, précédé de mesures progressives destinées à ramener le calme et à n'utiliser la force qu'en dernier recours : intervention d'un tiers à l'incident initial, souvent choisi dans la hiérarchie (premier surveillant ou officier), puis utilisation de la force de manière à la limiter à ce qui est strictement nécessaire et, en tous cas, en veillant à ce que la proportionnalité soit respectée entre le niveau de violence de la personne détenue et les moyens employés pour la faire cesser.
A la maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes, ces pratiques ne semblent pas avoir cours. De nombreux témoignages et des constats directs des contrôleurs ont montré que l'alerte était donnée dès le premier signe d'opposition d'une personne détenue ; que dans ce cas les surveillants se précipitaient, dans des conditions ne garantissant pas le caractère « strictement nécessaire » de la force employée, notamment quant au nombre des intervenants ; qu'en conséquence la proportionnalité de la réaction, qui seule permet de distinguer la force légitime de la violence abusive, n'était pas respectée. (..)
Il existe au sein de la maison d'arrêt de Fresnes un réel « climat de tension » et « d'affolement » dont les contrôleurs ont pu être à maintes reprises les témoins. Cette ambiance se traduit par des cris constants et un manque de respect envers les personnes détenues, qui confine à la violence verbale. Le personnel étant en nombre insuffisant, il se trouve dans une situation de tension et de faiblesse incompatible avec un usage serein et proportionné de la force. (..)
La visite réalisée à la maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes a montré que cet établissement ne présentait pas les conditions structurelles permettant d'accueillir la population pénale dans le respect de ses droits fondamentaux. La surpopulation exceptionnelle empêche un hébergement dans des conditions conformes aux normes retenues par le CPT. L'insuffisance numérique et l'inexpérience du personnel ne lui permettent pas de faire face au minimum de tâches nécessaires au respect de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 (9). Les conditions d'hygiène, que l'invasion des rats et des punaises suffit à caractériser, constituent une violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Bien que cette situation soit connue des autorités administratives et judiciaires comme des élus locaux, aucune mesure tendant à la corriger n'est prise. En outre, le manque d'encadrement nuit gravement à la maîtrise des pratiques professionnelles. Dans de telles conditions, des tensions importantes existent, tant parmi les personnes détenues qu'entre le personnel et la population pénale. Un climat de violence constant règne dans l'établissement, selon des témoignages abondants et les constats directs des contrôleurs, et l'usage de la force n'est ni maîtrisé ni contrôlé.
Le CGLPL considère en conséquence que la maison d'arrêt du centre pénitentiaire de Fresnes doit faire l'objet, d'une part, de mesures urgentes concernant la surpopulation pénale, la rénovation de l'immobilier et l'effectif des surveillants, et d'autre part, d'une reprise en mains du fonctionnement de l'établissement, notamment aux fins de faire cesser le climat de violence.
Il est demandé au ministre de la justice de faire procéder à une inspection approfondie de l'établissement et d'informer le CGLPL de ses conclusions ainsi que du suivi de leur mise en œuvre. "