Gestation pour autrui et filiation, deux décisions de la CEDH, et quelques remarques en plus
Depuis des années les modalités de procréation et leurs conséquences juridiques sont en débat. Le sujet est très sensible, les avis sont parfois tranchés, et il n'est pas facile, c'est peu dire, de trouver une voie médiane susceptible de concilier les divers impératifs et les droits des uns et des autres.
Il en va ainsi de la gestation pour autrui (GPA). Cette méthode est utilisée quand un couple souhaite avoir un enfant mais que la femme ne peut pas procréer. Une autre femme accepte alors de porter l'embryon à sa place. Cet embryon est issu des gamètes de l'homme et de la femme de ce couple, ou des gamètes de l'homme du couple et de l'ovule d'une autre femme donneuse. La "mère porteuse" qui le met au monde remet dès sa naissance qui va l'élever comme dans n'importe quelle famille ordinaire.
Le premier problème juridique est que la loi française ne permet pas ce procédé. L'article 16-7 du code civil (texte ici) est très clair : "Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle."
Cette façon de procéder est même répréhensible. L'article 227-12 du code pénal (texte ici) punit "le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre."
De ce fait, le recours à une mère porteuse ne peut avoir lieu en France. Les couples qui souhaitent procéder ainsi n'ont d'autre choix que de s'adresser à des femmes vivant dans des pays autorisant la gestation pour autrui et reconnaissant la filiation entre eux et l'enfant né.
Le processus de GPA pose de nombreuses et très délicates questions éthiques qui ne seront pas abordées ici. Dans un avis de 2010 (cf. ici), le Comité Consultatif National d'Ethique a résumé les différents aspects de la problématique. Il a conclu, après examen des arguements dans les deux sens, à un maintien de la législation française interdisant la GPA.
Mais la GPA existe ailleurs et il faut faire avec. Il n'existe aujourd'hui aucun moyen permettant d'empêcher efficacement des couples français qui veulent contourner l'interdiction française d'aller dans un pays autorisant ce procédé. Et des enfants naissent à l'issue d'une GPA. Ils sont nés à l'issue d'un processus interdit et sanctionné par la loi française mais ils sont là. Et il faut faire avec eux.
La seconde question en droit est celle de leur lien juridique avec le couple français qui a eu recours à la GPA et qui les élève. L'enfant étant né à l'étranger, il n'est pas comme ceux nés en France immédiatement mentionné sur l'Etat civil de notre pays.
C'est pourquoi une fois rentrés en France, les couples souhaitent logiquement que la filiation soit établie entre eux et l'enfant cette fois-ci à l'Etat civil français. Mais jusqu'à présent cela leur était impossible pour une raison qui peut se résumer ainsi : l'enfant est né d'une violation de la loi, à l'issue d'une GPA que la loi française interdit, dès lors cette fraude délibérée fait obstacle à l'établissement d'une filation chez nous.
La cour de cassation a statué plusieurs fois sur les conséquences d'une GPA en termes de filation (décisions de mars 2014 ici, septembre 2013 ici et ici, avril 2011 ici, ici, ici, décembre 2008 ici).
A chaque fois elle a tenu le même raisonnement : "Mais attendu qu'en l'état du droit positif, est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l'aboutissement, en fraude à la loi française, d'un processus d'ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui, convention qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; Qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a caractérisé l'existence d'un tel processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui conclue entre M. Y... et Mme X..., en a déduit à bon droit que l'acte de naissance de l'enfant établi par les autorités (..) ne pouvait être transcrit sur les registres de l'état civil français ; Qu'en présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l'enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués."
Dans un premier temps on peut comprendre ce raisonnement. Admettre l'inscription sur l'Etat civil français du lien parents/enfant revient de fait à dire : La GPA est interdite en France, il est illégal et pénalement sanctionné de l'utiliser, mais vous les couples français pouvez aller dans un pays étranger pour violer la loi française et au final on arrangera les choses et une fois votre retour en France on fera comme si tout c'était passé normalement. Cela revient, de fait, à autoriser la GPA.
Mais raisonner ainsi ne suffit pas. Du côté des parents, il n'est pas choquant de voir les choses ainsi. La violation d'une loi ne peut pas être encouragée à travers l'acceptation des conséquences de cette violation. Mais vu du côté de l'enfant, c'est un peu plus compliqué.
En effet l'enfant concerné n'y est pour rien. Il a été créé pour satisfaire un très fort désir d'enfant chez les adultes, mais pas pour lui-même. Et il est né biologiquement d'au moins un parent français, son père biologique, et il grandit en France auprès de parents français. D'où qu'il vienne, c'est un fait.
Par ailleurs, le comportement contestable des parents ne doit pas entraîner des conséquences dommageables pour lui qui n'est responsable de rien. L'inverse serait injuste.
Saisie de recours contre deux des décisions de 2011 (décision 1, décision 2, communiqué du greffe) la CEDH a sanctionné les arrêts de la cour de cassation. Son argumentation est en résumé la suivante :
- La GPA est controversée. D'un Etat européen à un autre les idées et les règles juridiques varient, allant de l'interdiction absolue à l'autorisation de la GPA, et du refus à l'acceptation de reconnaître la filiation dans le pays des parents (cf. plus de détails chiffrés dans les décisions). Et sur la cadre juridique en matière de GPA la CEDH reconnaît aux Etats une "
- Il existe aussi le principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer.
- L'absence de filiation reconnue en France engendre des difficultés concrètes : il faut produire les actes d’état civil étrangers – non transcrits – accompagnés d’une traduction assermentée chaque fois que l’accès à un droit ou à un service nécessite la preuve de la filiation (, il y a souvent de la suspicion ou de l’incompréhension, et, surtout, les enfants n'ont pas la nationalité française.
- Par ailleurs, "le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation", et "la nationalité est un élément de l’identité des personnes." Or dans ces affaires, s'agissant des enfants, "(ils) sont confronté(.)s à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française. Pareille indétermination est de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité."
- La CEDH pose ensuite la question essentielle : "Il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire. Il résulte toutefois de ce qui précède que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant."
- Et la CEDH conclut : "Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (..), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. (..) La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée (..), qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur (parent), l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.".
Tout ceci se résume ainsi : Si la GPA peut être interdite dans la législation, parce que l'intérêt de l'enfant prime sur tous les autres enjeux et intérêts, et parce que l'établissement de la filiation biologique est essentiel pour les enfants, dans leur intérêt ce droit à la reconnaissance de la filiation biologique dans l'Etat civil français prime sur le constat de la violation de la loi par les parents.
Ce qui souligne la très grande importance du mot "supérieur" dans l'expression "intérêt supérieur de l'enfant". C'est ce seul mot qui fait toute la différence, qui impose la solution. C'est ce que confirme la CEDH quand elle insiste sur "le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à la balance des intérêts en présence"
Et c'est sans doute très bien ainsi. Les enfants, qui n'ont rien demandé à personne, ne doivent certainement pas subir les conséquences des choix des adultes, quand bien même ces choix sont délibérément contraires à la loi.
Les décisions de la CEDH n'imposent en rien un changement de la législation française. La GPA peut rester interdite, et la problématique de la filiation en France ne peut pas à elle seule justifier une suppression de l'interdiction de la GPA. S'il existe des raisons de modifier le cadre juridique actuel, il faut les chercher ailleurs.
Quoi qu'il en soit, il faut aller un peu au-delà de la seule GPA..
L'intérêt supérieur de l'enfant dans ces deux affaires c'est bien. Mais l'intérêt supérieur de l'enfant tout le temps, ce serait encore mieux. Et, à ce titre, bien des problématiques restent sans solution cohérente avec une telle notion.
Dans les deux affaires jugées par la CEDH le père français est le père biologique. Dans l'une il a été tenté une fécondation in vitro avec l'ovule de l'épouse mais comme cela n'a pas fonctionné il a été fait appel à l'ovule d'une autre famme. Dans l'autre l'épouse étant stérile, il a été directement fait appel à l'ovule d'une autre femme. Puis, dans les deux cas, l'embryon obtenu a été implanté dans l'utérus de la mère porteuse.
En conséquence, les enfants nés sont au centre d'un processus impliquant : un père biologique, une femme anonyme donneuse d'ovule qui est leur "mère biologique", une femme qui les a portés pendant neuf mois, et une femme déclarée comme mère légale sans être leur mère biologique. Toute ceci ayant été mis en place dans le seul intérêt d'un couple d'adultes voulant à tout prix des enfants.
La CEDH rappelle dans ses décisions l'importance pour les enfants de savoir d'où ils viennent, ce qui implique de savoir qui sont leurs parents biologiques. C'est en ce sens que la CEDH parle de " " et même de "substance de l'identité". Et c'est bien pour cela que les sites de généalogie se développent, que l'on adore sortir et regarder les vieilles photos des ancêtres, se raconter les histoires des uns et des autres, chercher des ressemblances physiques, des parcours semblables etc...
Mais si demain l'un de ces enfants issus de GPA demande qui est sa mère biologique, qu'il reprend la phrase de la CEDH et met en avant que sa filation biologique est un élément essentiel de son "identité" qu'il veut connaître, qu'il rappelle que c'est son intérêt supérieur de savoir d'où il vient, que lui répondra-t-on ? Qu'il n'a pas le droit de savoir.
Tout comme les enfants issus d'un don de sperme n'ont pas le droit de savoir qui est leur père biologique.
Tout comme les enfants nés d'un accouchement anonyme n'ont pas le droit de connaître leur mère et encore moins leur père biologiques.
Tout, comme les enfants adoptés plénièrement dont la filiation biologique originelle est artificiellement effacée comme si elle n'avait jamais existé n'ont pas le droit de savoir d'où ils viennent, ni pourquoi leurs parents biologiques ne les ont pas élevés.
Dans tous ces cas il est refusé aux enfants de savoir qui sont leur père et/ou leur mère. Et cela quand bien même il y a une très forte demande de leur part, et quand bien même, en présence de ces refus, ils expriment une très vive souffrance.
Pour quelles raisons refuse-t-on à ces enfants l'accès à leurs origines ? Pour la protection des intérêts des seuls des adultes. Pour que les couples en difficulté puissent avoir à tout prix des enfants, pour ne pas remettre en cause leur nouvelle vie. Autrement dit pour ne pas déstabiliser les adultes. Rien qui ne soit dans l'intérêt, et encore moins dans l'intérêt supérieur des enfants. Seul l'intérêt des adultes est pris en compte.
Alors où est-il l'intérêt "supérieur" de l'enfant dans ces situations où, délibérément, on leur interdit de savoir de qui ils sont issus, d'où ils viennent, qui sont les membres de leur famille biologique ? Où est-il cet intérêt supérieur quand on leur interdit de savoir tout simplement qui ils sont ?
On comprend parfaitement les adultes qui ne peuvent pas avoir d'enfants et qui ont impérativement besoin de contourner la difficulté. C'est évidemment dans leur intérêt d'avoir recours à ces méthodes puisque leur intérêt c'est d'avoir des enfants. Ils ont un intérêt à défendre. Et ils savent notamment que permettre l'identification des donneurs risque de mettre fin aux dons, les donneurs, bien légitimement, ne voulant pas être identifiés.
Mais si l'intérêt des adultes est ensuite en conflit avec l'intérêt des enfants qui veulent savoir qui sont leurs parents biologiques, la notion d'intérêt "supérieur" devrait imposer de privilégier la demande des enfants et de la préférer aux choix des adultes. Mais dans la réalité c'est l'inverse qui est mis en oeuvre, et les intérêts des adultes font totalement obstacle à la prise en compte des intérêts des enfants.
C'est alors, comme nous l'avons déjà mentionné sur ce blog (lire ici), que se dévoile la permanente hypocrisie à propos de l'intérêt de l'enfant. Notion que brandissent les adultes quand cela est dans leur intérêt, mais qu'ils mettent vite au fond de leur poche avec un mouchoir par dessus quand l'intérêt de l'enfant est opposé à leur intérêt d'adulte.
Et dans ces cas le mot "supérieur" disparaît bien vite du vocabulaire des adultes. Il n'y a plus d'intérêt supérieur de l'enfant devant passer avant tous les autres intérêts. Il n'y a même plus d'intérêt des enfants du tout. Il n'y a plus que l'intérêt des adultes.
On peut après réflexion être favorable à tel ou tel système juridique. Mais si l'on veut respecter le cadre légal, il faut expliquer clairement en quoi la législation proposée protège prioritairement les intérêts supérieurs des enfants.
Cest alors que les choses se compliquent...
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