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Publié par Parolesdejuges

Par Marcel Lemonde (1)

 

En France, 16 lois antiterroristes ont été adoptées en 30 ans. Récemment, par une nouvelle loi sur la procédure pénale, on a rendu permanentes des dispositions relevant de l’état d’urgence, ce qui n’empêche pas aujourd’hui de proroger à nouveau celui-ci. Face à la folie terroriste, la machine à légiférer est elle-même devenue folle. Les gouvernants en font toujours plus, de peur d’être accusés de n’en avoir pas fait assez. En pure perte, puisqu’ils se font siffler à l’occasion d’une minute de silence et que les « responsables » de l’opposition les accusent d’être à l’origine de nos malheurs. Certains vont jusqu’à proposer de doter les militaires de lance-roquettes pour arrêter les camions ! Un ancien président de la République propose sans sourciller que les personnes fichées S « présentant un risque de radicalisation » soient soumises au port du bracelet électronique ou placées en centre de rétention, ce qui revient à légaliser la détention arbitraire comme l’a souligné le Conseil d’Etat l’an dernier. À quand des rafles préventives dans les cités ? Pourquoi ne pas suivre l’exemple de M. Erdogan, décidé à « extirper le virus du terrorisme » ?

Après chaque attentat, pour nos dirigeants, ne rien faire est médiatiquement et politiquement impossible. Le mot d’ordre est de « sécuriser la population » en adoptant des mesures immédiates et visibles. Mais tous ceux qui sont un tant soit peu lucides savent bien que c’est illusoire. Nul n’ignore que, lorsqu’un individu est décidé à mourir en entraînant dans la mort le maximum de personnes avec lui, il est matériellement impossible de l’empêcher de nuire. Comment prévenir, demain, l’action d’un tueur isolé tirant sur une terrasse de café ? Par définition, ce qui est efficace - par exemple, à long terme, la lutte contre la radicalisation - n’est pas spectaculaire, donc politiquement invendable. Ainsi se mettent en place des leurres de sécurité : les mesures adoptées ne protègent pas la société mais les atteintes aux libertés, elles, sont bien réelles. Au cours de ces dernières années, on a adopté une quantité de lois constituant une régression vers la législation pénale prémoderne, incriminant la « préparation de la préparation d’un délit », faisant reculer l’individualisation de la peine - « peines planchers » -, permettant de maintenir en « rétention de sûreté » un condamné après exécution de sa peine, sur le seul critère de sa dangerosité. Et ainsi de suite.

Le traitement de « l’ennemi »

Ainsi, peu à peu se met en place la doctrine du « droit pénal de l’ennemi » élaborée par certains juristes allemands. Selon cette doctrine, il existe un droit pénal du citoyen et, à côté, en opposé, un droit pénal de l’ennemi. Le procès équitable est un droit pour le citoyen, pas pour l’ennemi. Rien ne doit entraver le pouvoir de l’Etat ; il doit être absolu et tout obstacle est une capitulation ou une trahison de la cause de sauvegarde de l’humanité (ou de la nation, de la société, de la race, de notre mode vie, etc). Foin de l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme - « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » - qui est censé n’admettre aucune exception. Dès 2001, les États-Unis avaient donné l’exemple en consacrant la notion d’ennemis « combattants illégaux », qui ne bénéficient ni des garanties du droit pénal, parce que ce sont des ennemis, ni de celles des conventions de Genève de 1949, parce qu’ils sont des combattants illégaux et non des prisonniers de guerre. On entend dire parfois : « Ne désarmons pas la justice, au nom des droits de l’homme ». Mais qui ne voit qu’on ne peut à la fois renoncer aux valeurs de l’Etat de droit et prétendre défendre la démocratie ? Qui ne comprend qu’en affaiblissant les valeurs que combattent l’organisation Etat islamique et tous les autres, on donne la victoire aux terroristes ?

Alors, face au malheur des temps, que faire ? Faut-il se résigner, en constatant que nous allons vers une société de la peur, une société qui « construit des murs plutôt que des ponts » ? Non : il y a place pour une résistance démocratique. Renforcer la réserve opérationnelle ? Pourquoi pas, sans se faire trop d’illusion sur l’efficacité de cette mesure : elle a surtout le mérite de montrer que le peuple est prêt à se mobiliser, dans un esprit de résistance, dans l’esprit du 11 janvier 2015, date qui devrait rester une référence.

Nous n’avons que faire de responsables politiques qui nous prennent pour des enfants que gros nounours doit rassurer à l’heure d’aller au lit. Nous voulons des dirigeants qui parlent vrai, en gardant leur sang-froid. Qui adoptent la seule attitude digne, face à la situation actuelle, celle de Winston Churchill en 1940 : alors que Londres croulait sous les bombes, bien loin de faire croire à ses compatriotes que des remèdes miracles pouvaient alléger leurs peines, il leur disait qu’il n’avait à leur offrir que de la sueur, du sang et des larmes. Et la consigne qu’il leur donnait était simple : « Keep calm and carry on ! » (Gardez votre calme et continuez).   (2)

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1. Président de chambre honoraire à la Cour d’appel de Paris

2. Cet article a été publié sur le site du journal Lemonde.fr le 12 août 2016 dans la rubrique "Idées". Il est reproduit ici avec l'autorisation de son auteur.

 

 

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M
Merci pour votre texte.<br /> "tout ceux qui sont un tant soit peu lucides" . Je suis une citoyenne ordinaire, lorsqu'on échange avec d'autres personne ordinaires elles aussi , et en dehors de toute orientation politique, nous savons bien que d'autres attentats sont possibles. <br /> voir des hommes en armes sur les plages, ou un jeune militaire devant une école... sont des mesures uniquement pour nous rassurer, et dont l'efficacité est discutable. <br /> Nos hommes politiques sont pitoyables...<br /> J'espère que les hommes et femmes qui œuvrent pour au sein du fonctionnement de la justice restent solides, ils sont un rempart contre la sottise politique.<br /> merci
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