Parquet : rompre le lien avec l'exécutif
par Roland Kessous et Jean-Pierre Dintilhac
Le Procureur Courroye,en instruisant seul des dossiers complexes, de manière inquisitoire, sans contradiction et sans respect des droits de la défense a sonné le glas du statut du ministère public.
Il n’a fait que s’inscrire dans la dynamique de l’évolution du parquet ces dernières années qui a consisté à lui donner des pouvoirs qui empiètent sur ceux des magistrats du siège. Son comportement illustre l’inanité du système proposé par le Président de la République de supprimer le juge d’instruction en l’état actuel du statut du parquet.
La dernière décision de la Cour européenne, l’arrêt Moulin, intervenant après l’arrêt Medvedyev, dit que le Procureur ne remplit pas les qualités d’indépendance pour être qualifié à exercer des fonctions judiciaires. Elle rappelle à la France que ses engagements internationaux lui interdisent de confier des pouvoirs juridictionnels à des magistrats soumis hiérarchiquement au pouvoir exécutif.
Dans le procès pénal, en application des réformes intervenues depuis une dizaine d’années, le parquet occupe aujourd’hui une position dominante, ce que le Professeur DELMAS-MARTY a parfaitement analysé dans un article paru dans le MONDE du 25 novembre 2010 sous le titre »le déséquilibre du système pénal sape l’Etat de droit. »
Il est donc essentiel, au moment où le gouvernement doit revoir les textes sur la garde à vue, après les décisions de condamnation de la Cour européenne et les arrêts de la Cour de Cassation, de repenser totalement l’architecture du ministère public dans notre organisation judiciaire.
Rappelons que le ministère public est un corps de magistrats soumis hiérarchiquement au ministre de la justice. Les procureurs généraux sont nommés en conseil des ministres, comme les préfets, et le garde des sceaux peut donner des instructions de poursuivre et intervenir dans toutes les procédures.
Il est temps de revoir ce statut en coupant le lien qui attache le parquet au pouvoir exécutif, ce qui, dans les affaires sensibles l’entache du soupçon de partialité.
Cette réforme radicale doit se faire autour de trois idées force :
-assurer l’indépendance du ministère public à l’égard du pouvoir exécutif.
-assurer la cohérence de l’action publique.
-permettre au garde des sceaux, autorité politique légitime à défendre sa conception de l’intérêt public, d’intervenir dans les procédures pénales.
Dans cette construction le ministère public ne dépendrait plus du garde des sceaux mais d’un Procureur général de la République nommé pour une durée de cinq ans non reconductible. Le Parlement établirait une liste de cinq personnes reconnues pour leur indépendance et leurs qualités juridique et morale. Un conseil de la magistrature, à la composition revue, proposerait un nom sur cette liste au Président de la République qui devrait le nommer. Ce haut magistrat dirigerait l’action publique en veillant à sa cohérence sur l’ensemble du territoire. Il aurait à ses côtés la conférence des Procureurs généraux et un conseil d’orientation pénale et rendrait compte, une fois par an, de son action devant le Parlement.
Bien entendu, les procédures de nomination et d’avancement des membres du Parquet seraient alignées sur celles des magistrats du siège.Seule différence avec la situation actuelle, les passerelles entre siège et parquet et parquet et siège ne seraient plus possibles.
Le garde des sceaux, membre d’un gouvernement qui soumet au Parlement des projets de lois en matière pénale, ce qui aboutit à l’élaboration d’une politique pénale, pourrait intervenir dans toutes les procédures. Il parait en effet indispensable que l’Etat ne soit pas démuni dans sa mission de défenseur de l’ordre public. Au cas où un Procureur ne déclencherait pas l’action publique, l’Etat, par l’intermédiaire d’un avocat, pourrait le faire par voie de constitution de partie jointe. Dans une procédure ouverte, s’il estime devoir faire valoir son opinion aussi bien sur l’opportunité de la poursuite que sur une question juridique, il le fera toujours par l’intermédiaire d’un avocat. Il disposera, cela va de soi, de toutes les voies de recours.
Ce système brossé à grands traits, existe déjà d’autres pays démocratiques et fonctionne bien. Il aurait le mérite de déconnecter l’action publique de l’action politique et de conférer à l’autorité judiciaire une véritable indépendance sans priver les pouvoirs publics de ses prérogatives en matière d’ordre public. Il ne fait aucun doute qu’il assurerait bien mieux qu’aujourd’hui la défense des libertés privées. Il nécessite audace et courage.
Espérons que nos dirigeants oseront s’engager dans cette voie.