La garde à vue et la cour de cassation
Par Michel Huyette
Et de trois. Après le Conseil Constitutionnel (lire ici) et la cour européenne des droits de l'homme - CEDH (lire ici), c'est la cour de cassation qui, le 19 octobre 2010, s'est prononcée sur la conformité des règles françaises relatives à la garde à vue aux principes énoncés par la convention européenne des droits de l'homme.
Ces décisions vont certainement être à l'origine de nombreux commentaires, tant en ce qu'elles apportent de réponses qu'elles soulèvent de nouvelles questions. Essayons d'en aborder quelques aspects succinctement.
L'assistance d'un avocat.
Dans l'un des arrêts (lire ici) la cour de cassation retient que "pour prononcer l'annulation des procès-verbaux de garde à vue et des auditions intervenues pendant celle-ci, les juges énoncent que M. X... a bénéficié de la présence d'un avocat mais non de son assistance dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec lui les interrogatoires auxquels cet avocat n'a pu, en l'état de la législation française, participer ; Attendu qu’en prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme".
Ainsi elle reprend la jurisprudence de la CEDH et confirme que le gardé à vue ne doit pas seulement avoir le droit de s'entretenir avec un avocat, mais doit bénéficier de son assistance, et donc de sa présence, avant et pendant ses auditions.
La garde à vue dérogatoire / le droit de se taire
Dans l'une des décisions (lire ici), la cour de cassation s'est penchée sur le droit à l'assistance d'un avocat dans le cadre des gardes à vues dérogatoires prévues pour certaines infractions. graves (not. stupéfiants, terrorisme..) Il s'agit de gardes à vue pouvant aller jusque quatre fois 24 heures (art. 706-73 et 706-88 du cpp), et pour lesquelles le gardé à vue ne peut rencontrer un avocat qu'à l'expiration d'un délai de 48 heures pour certaines infractions, et même de 72 heures pour d'autres (art. 63-4 du cpp).
La cour de cassation considère que "sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d'un avocat".
Dans une autre décision (lire ici) elle confirme la même solution en retenant que "les juges ajoutent, après avoir vérifié le contenu des déclarations faites par le mis en examen, en particulier celles par lesquelles il s'est incriminé lui-même, que l'intéressé, à l'occasion de ses interrogatoires, réalisés, pour l'essentiel, avant l'intervention de son conseil, et, en conséquence, sans préparation avec celui-ci ni information sur son droit de garder le silence, a été privé d'un procès équitable. Attendu qu'en prononçant par ces motifs, exempts d'insuffisance comme de contradiction, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme."
Cela impose une modification radicale des règles relatives à la présence de l'avocat. En pratique, la rencontre retardée ne peut dorénavant être décidée qu'en cas de raisons très importantes, démontrées, et propre à chaque cas particulier.
Dans son communiqué (lire ici), la cour de cassation résume le contenu de ses décisions de la façon suivante :
"(..) les gardes à vue doivent être menées dans le respect des principes suivants:
- la restriction au droit, pour une personne gardée à vue, d’être assistée dès le début de la mesure par un avocat, en application de l’article 706-88 du code de procédure pénale instituant un régime spécial à certaines infractions, doit répondre à l’exigence d’une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l’infraction;
- la personne gardée à vue doit être informée de son droit de garder le silence;
- la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat dans des conditions lui permettant d’organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l’avocat doit pouvoir participer.
Cela est le prolongement logique et sans surprise de la jurisprudence de la CDEH qui avait, déjà, énoncé clairement ces principes.
La date de mise en oeuvre des nouvelles règles.
Après avoir constaté que l'application de la loi française relative à la garde à vue est sur plusieurs points contraire aux droits fondamentaux des justiciables, la cour de cassation a ajouté l'alinéa suivant :
"L'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que ces règles de procédure ne peuvent s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ; Que ces règles prendront effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011."
Dans son communiqué (lire ici), la cour de cassation précise qu'elle "considère que ces arrêts ont aussi pour but de sauvegarder la sécurité juridique, principe nécessairement inhérent au droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils assurent enfin la mise en oeuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est la bonne administration de la justice, laquelle exige que soit évitée une application erratique, due à l’impréparation, de règles nouvelles de procédure."
Cela va sans doute susciter une certaine polémique.
Dans un premier temps, on comprend bien le raisonnement de la cour de cassation qui reprend celui du Conseil Constitutionnel : Pendant la période antérieure les enquêteurs ont appliqué la loi en vigueur, et sanctionner dès aujourd'hui toutes les gardes à vue au cours desquelles des justiciables ont été auditionnés sans avoir été avertis du droit de se taire et sans qu'il leur ait été demandé s'ils souhaitent être assistés d'un avocat aurait des conséquences d'une ampleur telle que les inconvénients seraient supérieurs aux avantages, d'où un effet différé de la jurisprudence pour éviter pendant des mois une avalanche de recours. Cela semble tout à fait raisonnable dans un premier temps.
Il n'empêche qu'il n'est pas simple d'avaliser sans réserves un tel mécanisme.
D'abord, on relèvera que si la chambre criminelle met en avant le principe de "sécurité juridique" pour s'opposer à une application immédiate de ses décisions, d'autres chambres de la même cour refusent depuis des années et avec la même vigueur d'appliquer ce principe, en maintenant que les jurisprudences nouvelles sont d'application immédiate, et en écartant expressément un prétendu droit à la "sécurité juridique".
La chambre sociale a de son côté très récemment réaffirmé que "la sécurité juridique et le principe de prééminence du droit invoqués sur le fondement du droit à un procès équitable prévu par l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit" (décision ici) (cf également. ici). Cela a quotidiennement pour effet que des personnes qui, au moment où elles ont effectué un acte, étaient en parfaite conformité avec les règles et la jurisprudence en vigueur, sont sanctionnées quelques années plus tard parce qu'une nouvelle jurisprudence a modifié le cadre juridique applicable et a rendu illégal ce qui avait auparavant été fait en conformité avec le droit de l'époque. Et tous les jours tous les magistrats de France appliquent immédiatement les décisions de la cour de cassation, qu'il s'agisse de confirmations ou de revirements de jurisprudence.
Le principe de sécurité juridique semble donc dorénavant à géométrie variable, ce qui ne va peut-être pas en faciliter la mise en oeuvre. En tous cas, la problématique juridique autour de cette notion reste à explorer.
Ensuite, c'est la nature du problème soulevé qui pose question. Parce que le droit ne doit pas être une matière rigide et son évolution conduire à des aberrations, on peut comprendre que, s'agissant de règles de faible ou moyenne importance, l'effet d'une nouvelle norme juridique soit différé dans le temps. Mais dans notre affaire, il est question des droits les plus fondamentaux des justiciables. La décision du Conseil Constitutionnel et les arrêts de la cour de cassation se traduisent de la façon suivante : Nous savons que vos droits fondamentaux ont été violés, nous savons que dans les mois qui viennent l'application des textes en vigueur va avoir pour effet de très nombreuses autres violations des droits fondamentaux, mais pendant des mois nous ne sanctionnerons pas ces violations flagrantes et dorénavant définitivement avérées des normes européennes essentielles.
Cela peut troubler.
Et demain ?
En présence de deux objectifs qui semblent difficilement conciliables, éviter un immédiat et grave désordre juridique et une déstabilisation complète de la chaîne pénale d'un côté, garantir rapidement aux justiciables le respect de leurs droits les plus élémentaires d'un autre, que peut-il se passer ?
Aujourd'hui, après les décisions du Conseil Constitutionnel et de la cour de cassation, chacun sait de façon dorénavant indicsutable que la loi à venir devra prévoir l'avis du droit de garder le silence ainsi que l'information sur le droit de rencontrer un avocat à tout moment de la garde à vue ainsi que le droit d'être assisté de ce professionnel avant et pendant toutes les auditions.
Rien ne semble donc, a priori, empêcher que prochainement les gardés à vue soient avisés du droit de se taire et du droit à l'assistance d'un avocat.
La première de ces exigences semble pouvoir être mise en oeuvre très rapidement, puisqu'il s'agit uniquement de l'énoncé d'une phrase par les enquêteurs et de sa mention dans tout procès verbal d'audition. C'est pourquoi, quand bien même on approuverait le principe de sa non rétroactivité, on peut s'interroger sur la nécessité de différer la mise en oeuvre de ce nouveau droit, rien ne semblant nécessiter, pour reprendre les termes de la cour de cassation, "des adaptations pratiques importantes qui ne peuvent être immédiatement mises en oeuvre".
Il en va différemment de la présence d'un avocat. Bien sûr, l'information relative à ce droit peut aussi être immédiatement donnée, mais la question délicate, outre celle de l'organisation des avocats eux-mêmes, qui ne va pas forcément être une mince affaire, est celle de leur rémunération. Pour de nombreux gardés à vue, c'est l'Etat qui aujourd'hui rémunère l'avocat. C'est pourquoi la mise en oeuvre du nouveau principe impose préalablement et budgétairement l'affectation d'une somme d'argent nettement plus importante qu'actuellement.
Peut-on toutefois envisager qu'un gardé à vue qui dispose des moyens financiers suffisants exige demain la présence d'un avocat avant et pendant ses auditions, en mettant en avant le fait qu'il le paiera lui-même ? Il ne serait sans doute pas acceptable de créer un système à deux vitesses avec un droit effectif uniquement pour les plus fortunés.
En tous cas, ce qui est impératif dès maintenant, c'est que les juridictions pénales soient encore plus vigilantes que dans le passé quand leur sont présentés des dossiers dans lesquels l'éventuelle culpabilité ne reposerait que sur les déclarations des gardés à vue.
Au final, ces arrêts de la cour de cassation, importants mais qui juridiquement n'ajoutent rien aux règles déjà énoncées par la CEDH, ne sont que l'avant dernière étape avant la mise en oeuvre, enfin, de règles de garde à vue mettant définitivement un terme aux huis clos entre les enquêteurs et les gardés à vue. Au gouvernement et au Parlement d'élaborer une nouvelle loi au plus tôt.
Mais au-delà, rien ne dit qu'un justiciable ne saisira pas la CEDH pour contester le fait que l'accès à l'un des droits conventionnellement garantis ait été différé.
Nous ne sommes peut-être pas vraiment au bout de nos peines...