Faut-il pendre les JLD (juge de la liberté et de la détention) ?
Par Michel Huyette
Cet article a été mis en ligne le 8 septembre 2010. Il est remis en première page après actualisation.
De nouveau, un JLD vient de se faire publiquement (et verbalement) lyncher, après avoir mis sous contrôle judiciaire, et non en détention provisoire, un homme mis en examen pour une éventuelle participation au braquage d'un casino dans la banlieue de Grenoble.
Les mots utilisés par les syndicats de policier et le ministre de l'intérieur, ce dernier étant ensuite tacitement approuvé par le président de la République, ont été inhabituellement violents et agressifs. Il a été question de guerre police/justice, d'indignation, de décision scandaleuse et intolérable, et même d'acte de forfaiture. Rien de moins !
Notons en passant que ceux qui ont employé ce dernier terme n'ont sans doute pas pris le temps de jeter un coup d'oeil au dictionnaire. La forfaiture c'est en effet un crime commis dans l'exercice de ses fonctions par un agent de l'Etat. Or dans cette affaire personne n'a soutenu que la décision du JLD n'était pas conforme au droit en vigueur, ni indiqué quel "crime" ce juge aurait commis. Mais restons en aux seuls éléments permettant de débattre intelligemment.
Le JLD est intervenu dans un cadre juridique délimité par deux articles du code de procédure pénale :
- l'article 137 (cf. ici) qui énonce le principe général : "Toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre.Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou, si celles-ci se révèlent insuffisantes, être assignée à résidence avec surveillance électronique. A titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent pas d'atteindre ces objectifs, elle peut être placée en détention provisoire.
- l'article 144 (cf. ici) qui concerne plus spécialement la détention provisoire et qui énonce le principe limitatif suivant : "La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique".
Autrement dit, le législateur a voulu que la détention provisoire ne soit utilisée que quand il est certain qu'il est impossible de l'éviter. Que l'on soit pour ou contre ce cadre juridique, c'est la législation en vigueur.
Dans l'affaire du braquage du casino à Uriage, après la mort de l'un des agresseurs pendant une course poursuite avec la police, un second individu a été interpellé par les forces de l'ordre. Après une garde à vue, il a été présenté à un juge d'instruction qui l'a mis en examen pour vol à main armée et tentative d'homicide volontaire. Puis ce juge d'instruction a estimé opportun de saisir le JLD (art. 145 du cpp) afin que ce dernier apprécie l'éventuelle nécessité de placer l'homme arrêté en détention prosoire. Ce sur quoi le JLD a choisi d'ordonner un contrôle judiciaire plutôt qu'une détention provisoire.
Il ne s'agira pas ici de s'interroger sur le fond de ce dossier mais plutôt sur ce qui s'est joué autour de cette décision et sur les réactions qui l'ont accompagnée.
Ce que l'on remarque d'abord, c'est que nulle part, ni dans les articles de presse, ni dans les interventions des responsables syndicaux et politiques, il n'a été indiqué quel fût le raisonnement exact suivi par le JLD pour aboutir à sa décision. Il est assez étonnant qu'autant de personnes s'autorisent à contester aussi violemment une décision sans savoir ce qui la motive.
Il est donc par ricochet demandé aux français de se faire une opinion sur le processus judiciaire tout en les privant d'un élément d'analyse essentiel. Sans doute cela n'est-il pas nouveau. On sait bien que quand on veut contester la décision de quelqu'un en minimisant le risque d'être contredit, la meilleure solution c'est de ne pas parler.... de la décision mais de broder sur le contexte.
La méthode utilisée, à savoir tronquer le débat, est déloyale si ce n'est malhonnête. En plus, ceux qui s'en sont pris férocement à la décision du JLD savent fort bien que celui-ci, du fait de son devoir de réserve, n'est pas en mesure de rétorquer. C'est encore plus déloyal, et un peu plus malhonnête.
Il n'empêche que ce constat ne doit pas permettre d'éluder le débat. La justice est rendue au nom du peuple français et il est légitime que des explications soient ponctuellement demandées aux magistrats sur le sens de leurs actes et de leurs décisions.
S'agissant de la décision délicate que doit prendre un JLD, mettre en prison ou laisser en liberté, l'un des éléments habituellement pris en compte est l'importance des charges déjà dans le dossier au moment de sa saisine. A propos de cette affaire, il a été mentionné dans les medias (je n'ai pas plus d'informations que vous) que le JLD aurait choisi un contrôle judiciaire plutôt qu'une détention provisoire parce que, contrairement à ce qui a été avancé par les enquêteurs, il n'y aurait que des éléments moyennement fiables dans le dossier, autrement dit parce que la culpabilité de cet individu ne serait pas suffisamment démontrée à ce stade de l'enquête.
On ne peut alors s'empêcher de jeter un regard en arrière.
Il n'y a pas si longtemps, les medias et les responsables politiques, unanimes, ont montré du doigt des "monstres" qui, dans une petite ville du nord côtier, violaient des enfants y compris les leurs. La France entière était révulsée et exigeait les pires des châtiments pour ces barbares agresseurs d'enfants. Quelques temps plus tard, plusieurs des personnes emprisonnées ont été acquittées en appel. Elles sont devenues "les acquittés d'Outreau", et la France entière, oubliant son comportement antérieur, a dénoncé les magistrats qui avaient mis ces gens en prison trop hâtivement.
En remontant un peu plus le temps, on en revient à l'affaire Roman, dont j'ai déjà parlé tant elle est emblématique. Cet homme, initialement soupçonné d'avoir avec un autre participé au meurtre d'un petit garçon, a été placé en détention provisoire. En cours d'investigations le juge d'instruction, doutant de sa culpabilité, a décidé de le remettre en liberté. Cela a déclenché des réactions très violentes, des personnes allant jeter des pavés sur la façade du palais de justice. Et Monsieur Roman a été remis en prison par la chambre de l'instruction. A la cour d'assises quelques mois plus tard, après notamment que l'autre accusé ait admis avoir agi tout seul, Richard Roman a été acquitté. Après être resté longtemps en prison pour rien. Il n'a pas été dit qu'un seul des jeteurs de pierres s'était excusé pour son comportement irréfléchi et absurde.
Pour en revenir à notre affaire, il est possible que le JLD ait commis une erreur d'appréciation. Ce serait le cas, par exemple, si de très nombreuses et indiscutables charges existent contre ce second individu et que, étant en fuite il a été recherché plusieurs semaines par les policiers. La détention provisoire pourrait se justifier par la gravité des charges et le rejet du contrôle judiciaire par un risque manifeste de nouvelle fuite.
Mais encore une fois, personne jusqu'à présent n'a donné la moindre indication sur le contenu du dossier. Si l'on se contente de ce qui est dit devant les caméras de télévision, cet homme doit être placé en détention provisoire pour satisfaire les exigences des policiers et des responsables politiques.
D'où cette interrogation qui va bien au-delà de cette affaire : Est-on encore dans une véritable démocratie quand le juge, pourtant supposé indépendant, c'est à dire non soumis au bon vouloir du prince, doit malgré tout s'abstenir de déplaire s'il ne veut pas être lapidé sur la place publique ? Que devient la notion d'indépendance de la justice, qui est ne l'oublions pas une garantie essentielle pour tout citoyen jugé, si ceux qui sont garants de cette indépendance, en premier lieu le président de la Réublique, contestent une décision judiciaire sans, probablement, avoir personnellement lu toutes les pages du dossier constitué jusque là ?
On comprend alors la déclaration du président du tribunal de grande instance de Grenoble : "Le juge a statué en son âme et conscience, il n’est pas possible dans un Etat de droit que la justice se fasse sur la place publique. Nous sommes ici dans la démesure, la justice a besoin de sérénité." (Le Monde du 4 septembre 2010, p 7). Il a également été dénoncé une "hystérie collective" injustifiée.
Finalement, ce qui vient de se jouer est peut-être plus préoccupant qu'il n'y paraît.
De deux choses l'une. Soit le JLD a pris une décision manifestement aberrante au regard des éléments du dossier, mais ceux qui le prétendent doivent démontrer en quoi cela a été le cas. Soit le JLD, après un examen minutieux du dossier, a fait preuve d'une prudence justifiée et appliqué strictement la loi. Dans ce cas rien ne justifie de s'en prendre à lui avec une telle outrance.
Dans cette seconde hypothèse, cela veut dire que policiers, ministre, et président de la République, voient la justice non pas comme une institution modératrice et mesurée, qui doit prendre ses distances avec les bruits de la rue pour juger avec sérénité et objectivité, et dont la liberté d'appréciation doit être préservée à tout prix, dans l'intérêt des justiciables, mais comme une administration ordinaire remplie de fonctionnaires aux ordres qui doivent se plier au bon vouloir des autorités s'ils veulent éviter d'être publiquement maltraités.
Chacun appréciera.
Mise à jour du 16 septembre 2010
Les medias nous apprennent ce matin que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble vient de confirmer la décision du JLD, ce qui signifie que le contrôle judiciaire a une fois encore été préféré à la détention provisoire (1).
Sans surprise, certains syndicats de policiers ont renouvelé leurs critiques sans toujours, comme mentionné dans l'article, proposer la moindre analyse, même sommaire, des décisions sucessives. Et ils continueront sans doute de s'en prendre à l'institution judiciaire en l'accusant de commettre une grossière erreur, même si l'exercice devient plus difficile quand 4 magistrats ont statué dans le même sens (2).
Plus attendue est la réaction de ceux qui, au plus haut niveau de l'Etat, s'en étaient pris violemment au JLD. Vont-ils s'en prendre de la même façon aux magistrats de la chambre de l'instruction ? Vont-ils (on peut être naïf, ne serait-ce qu'un instant...) reconnaître qu'ils ont réagi un peu vite et admettre, après avoir lu l'arrêt de la cour d'appel, que la position adoptée par les juges est finalement compréhensible en fonction des règles de droit et des éléments du dossier à la date à laquelle ils ont statué ?
Mais comme cela a déjà été indiqué plus haut, l'essentiel n'est pas là.
L'institution judiciaire a une fonction essentielle dans une démocratie : préserver des équilibres. Cela lui impose, entre autres devoirs, de ne chercher à plaire ni aux uns, ni aux autres, quels qu'ils soient et quelle que soit leur place, même élevée, dans les institutions du pays. La justice est non pas un contre-pouvoir au sens ou on l'entend parfois, mais elle a un rôle de contrôle de la façon dont les pouvoirs sont exercés. Et quand le pouvoir souhaite telle décision dans tel sens, non pas dans l'intérêt du droit ou parce que cela correspond au mieux au dossier, mais pour des raisons moins nobles, la justice a comme autre devoir de ne pas céder à la pression et de statuer dans le sens qu'elle croit le plus conforme à la législation et au respect des droits fondamentaux.
Dans tous les pays, tous les pouvoirs rêvent d'une justice docile. Mais dans une véritable démocratie, ce ne doit être qu'un rêve.
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1. Des extraits de la décision sont mentionnés sur le site de Pascale Robert-Diard, du Monde (lire ici).
2. Au moins 3 car il n'est pas exclu que la décision de la chambre de l'instruction ne résulte que de 2 avis dans le même sens en présence d'un avis contraire.