Une erreur judiciaire ?
Par Michel Huyette
Certains épisodes de l'histoire de la justice ne peuvent pas laisser indifférent. Tel est particulièrement le cas quand il est question d'erreur judiciaire.
Au début de l'année 2008 (1), une jeune femme âgée de 20 ans se présente dans un commissariat pour dénoncer une agression sexuelle qu'elle aurait subie. Elle décrit son agresseur comme étant un homme d'origine nord-africaine, âgés de 50 à 60 ans, et mesurant à peu près 1 m 80.
Un homme est arrêté. Il mesure 1 m 70 et il a 46 ans. Aux policiers, la jeune femme déclare qu'elle pense le reconnaître, mais sans être formelle.
Cet homme est renvoyé devant le tribunal correctionnel selon la procédure accélérée de comparution immédiate (textes ici). La jeune femme est absente de l'audience où elle est représentée par un avocat. L'homme est condamné à 18 mois de prison ferme ainsi qu'à une interdiction du territoire.
Deux mois après cette condamnation, la jeune femme envoie une lettre au procureur de la République dans laquelle elle explique qu'elle a tout inventé. Une procédure en révision est alors mise en oeuvre, la première condamnation est annulée, l'homme est remis en liberté, et une nouvelle audience du tribunal correctionnel est organisée.
À l'issue de cette procédure, l'homme est déclaré non coupable et relaxé.
Le procureur aurait déclaré à l'audience : "Il n’y avait, dans cette affaire, aucune raison d’entrer en voie de condamnation. Ce qui est terrible, au fond, c’est que cette procédure n’a pas été irrégulière. Enquête de routine, jugement de routine. Nous sommes face à une authentique erreur judiciaire. Je demande évidemment la relaxe du prévenu."
Cela nous incite à plusieurs réflexions.
D'abord, dans ce genre de situation, il serait intéressant qu’en interne, et sans aucune approche disciplinaire d’emblée, il soit systématiquement procédé à une analyse minutieuse du processus ayant abouti à ce que le représentant du Parquet a qualifié d’erreur judiciaire. L’objectif serait de repérer d’éventuels dysfonctionnements dans le but premier d’éviter qu’ils se renouvellent.
Il faudrait, notamment, regarder si la première décision a été suffisamment motivée, et si cette motivation démontre en elle-même qu’il y a eu une analyse sérieuse et complète de tous les éléments du dossier. Cela d'autant plus que, comme mentionné dans les medias et rappelé plus haut, le procureur à la seconde audience a cru pouvoir affirmer, à tort ou à raison, que dans le dossier, donc à la première audience, il n'y avait aucun élément permettant de condamner le prévenu.
Comprenons nous bien. Il ne s’agirait pas de vérifier le contenu du raisonnement intellectuel du juge, au sens de contrôle de la décision, ce qui relève exclusivement du recours juridictionnel, mais de s’assurer que le travail minimal d’analyse a bien été effectué. Autrement dit, il ne s’agirait pas de regarder si le juge a eu raison de décider blanc ou noir, mais de regarder si son choix, quel qu’il soit, a bien été le terme d’un travail de qualité minimale, ou à l’inverse s’il est la conséquence d’une approche anormalement superficielle du dossier.
Il serait également utile de se demander dans quelle mesure le choix procédural retenu, à savoir la comparution immédiate (jugement de la personne poursuivie dès la fin de la garde à vue, sans aucune investigation complémentaire), a eu un impact sur la décision, afin de réfléchir plus avant sur les raisons qui peuvent, ou ne permettent pas, de privilégier ce traitement très rapide de dossiers n’ayant pas fait l’objet d’investigations approfondies.
Ce que cette affaire met ensuite en lumière, une nouvelle fois, c’est l’existence de dénonciations d’agressions sexuelles imaginaires. Souvenons nous, entre autres cas médiatisés, de cette femme qui avait prétendu avoir été agressée dans le métro, dénonciation qui avait entrainé des réactions vives (à propos de l’insécurité, des femmes violentées, des jeunes des banlieues etc..) y compris au sommet de l’Etat… avant que cette femme se rétracte et reconnaisse avoir tout inventé.
On relève dans notre affaire, à travers les informations transmises par les medias (si elles sont fiables..) que l’on se trouve, et ce n’est pas non plus nouveau, en présence d’une femme qui semble avoir cherché à attirer l’attention sur elle, et qui aurait expliqué que d’attention elle en a manqué dans son cadre familial à l'occasion d'une autre agression qu'elle aurait subie quelques années plus tôt. Cela nous rappelle que les êtres humains sont complexes et que les femmes, comme les hommes, sont parfois prises dans des tourments intérieurs qui les conduisent à des comportements irréfléchis.
En tous cas, ce nouvel épisode judiciaire doit inciter les magistrats à toujours faire preuve d’une grande prudence en présence de dénonciations d’agressions sexuelles contre un tiers extérieur à la famille, étant relevé que les dénonciations intra-familiales semblent globalement plus fiables (mais pas dans tous les cas…), peut-être parce que cette démarche est autrement moins anodine et plus difficile, donc plus réfléchie, puisqu’il s’agit de mettre en cause un proche.
Que l’institution judiciaire ne fasse pas une analyse sans complaisance du processus ayant abouti à cette "erreur judiciaire" ne serait pas seulement un manquement.
Ce serait une faute.
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1. Ces éléments sont repris d'un article du Monde du 8 septembre 2010, page 11.