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Publié par Michel Huyette

 

Le parlement vient de voter une nouvelle modalité de mise en oeuvre de la responsabilité des magistrats. Après bien des hésitations quant à la formulation de la règle et aux modalités de saisine du Conseil supérieur de la magistrature, le principe est acquis. Les magistrats peuvent être sanctionnés non seulement comme auparavant quand ils ont commis des fautes ordinaires (infraction pénales, comportements choquants, travail non fait etc..), mais aussi dorénavant "en cas de violation grave et délibérée d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive".

On le sait, la volonté d'inscrire dans la loi les conséquences de certaines défaillances des magistrats découle directement de l'affaire dite d'Outreau, et des travaux de la commission d'enquête parlementaire.

Le principe peut être approuvé. Les magistrats exerçant des prérogatives de puissance publique qui ont un impact très fort sur leurs concitoyens, leurs comportements et leurs pratiques doivent être observés et contrôlés en permanence. Et tout doit être fait pour repérer les manquements et faire en sorte qu'ils prennent fin au plus tôt et ne se reproduisent pas. C'est pourquoi seule une attitude particulièrement corporatiste pourrait inciter les magistrats à tenter d'éluder le débat sur la qualité de leur travail.

Mais de quoi parle-t-on ? Raisonnons par étapes.

- Les violations délibérées des règles essentielles de la procédures sont plus que rares. Si parfois la prestation des magistrats n'est pas d'une qualité optimale, il est rare de trouver à l'origine une volonté consciente de mal faire. Il est donc probable sinon certain que les situations susceptibles de correspondre à la nouvelle règle légale ne vont pas être nombreuses. Autrement dit, ce débat autour des nouvelles fautes punissables des juges a pris une importance dans le débat public disproportionnée par rapport à la réalité judiciaire quotidienne.

- L'une des erreurs majeures du raisonnement est de considérer que là où il y a prestation de qualité insuffisante il y a faute punissable. Comme cela a été souligné dans un autre article, il faut avant tout bien distinguer faute et manque de compétence. La faute punissable existe lorsque le magistrat qui pourtant dispose des capacités et des moyens pour faire un travail de grande qualité fournit une prestation médiocre, en sachant pleinement qu'il aurait pu faire mieux s'il l'avait voulu. Mais il y a manque de compétence et non pas faute quand le magistrat fait ce qu'il peut avec ce qu'il a, en lui et autour de lui. Autrement dit, le risque d'une sanction, ou son prononcé, a pour but de contraindre un individu à agir autrement. C'est pour ces raisons que le manque de compétence ne se solutionne pas par une sanction. Quand une personne fait au mieux de ses capacités mais malgré cela n'y arrive pas, la sanctionner ne lui apportera jamais la compétence qui lui manque. Va-t-on demain renvoyer devant une commission de discipline le jeunes enseignant qui se retrouve dans une classe difficile et qui n'arrive pas à faire face devant des jeunes agités et violents et dont les retards d'apprentissages s'aggravent ? Faudra-t-il sanctionner le jeune médecin qui moins habile que ses aînés détecte moins rapidement la pathologie de son patient d'où un retard de mise en oeuvre d'un traitement ? Evidemment non. Dès lors, raisonner en termes de faute chaque fois que l'institution judiciaire fait preuve d'une défaillance n'a pas de sens tant que la différence n'est pas faite entre prestation délibérément insuffisante et manque de compétence.

Revenons un instant sur l'affaire dite d'Outreau, et supposons qu'un jeune juge d'instruction, n'ayant encore jamais eu à affronter une procédure extraordinairement difficile, n'ait pas su faire face malgré toute sa bonne volonté. Vouloir punir par une sanction disciplinaire son manque d'expérience est absurde. Soulignons le une fois encore, l'expérience ne se décrète pas, elle s'acquiert au fil du temps Par contre, il est indispensable, à la lumière de cette procédure douloureuse, de réfléchir, entre autres pistes, à la formation des magistrats qui est manifestement insuffisante, de s'interroger sur la nomination de jeunes magistrats à des postes délicats surtout quand ils sont seuls dans une juridiction ou avec un collègue à peine plus ancien, ou, pour les juges d'instruction, à la création de pôles fonctionnels.

- Et même si un magistrat semble avoir violé un principe essentiel de la procédure sera-t-il systématiquement le seul et unique fautif ? La réponse est non. Prenons un exemple en restant dans le domaine pénal..

Une règle de procédure érigée pour respecter un droit fondamental est l'obligation de motiver les décisions. En effet, c'est la connaissance par le justiciable du raisonnement suivi par le juge et qui l'a mené jusqu'à sa conclusion qui rend la décision acceptable à défaut d'être approuvée. C'est pourquoi toute juridiction de recours contrôle la qualité des décisions qui lui sont soumises, et sanctionne (par la nullité en Cour d'appel et par la cassation devant la Cour du même nom) toute insuffisance de motivation.

Pourquoi le juge correctionnel s'abstient-il parfois de motiver ? La réalité est moins simple qu'il n'y paraît. Sans doute certains juges seront-ils avares du crayon (ou du clavier aujourd'hui) par facilité ou par paresse. Mais, et c'est un fait indiscutable, certains juges ne disposent pas du temps nécessaire pour motiver longuement chacune de leurs décisions, tout simplement parce que le nombre de dossiers qu'ils ont à traiter leur impose d'aller (trop) vite de l'un à l'autre.

Mais alors, qui est fautif ? Le juge qui choisit de réduire la motivation de ses décisions l'est manifestement puisque s'il veut les motiver complètement il le peut toujours, même si le traitement de tous ses dossiers prend du retard. Mais bien des juges correctionnels qui ont trop de dossiers à traiter ont fait savoir au président de leur tribunal que leur service doit être allégé parce qu'ils sont soucieux de la qualité de leur travail et qu'ils veulent donner à chaque décision une qualité minimale. Alors, si le président refuse de tenir compte de cette situation et attire leur attention sur la nécessité de ne pas prendre de retard, ce qui est un encouragement implicite à continuer à peu motiver, qui est le plus fautif ? Continuons à remonter la pente. Si ce même président a plusieurs fois alerté le ministère sur le manque de moyens humains dans sa juridiction et que les moyens supplémentaires nécessaires ne lui ont pas été accordés, qui est fautif ? Le ministère de la justice qui en pleine connaissance de cause a laissé un tribunal dans une situation déplorable ? Les parlementaires qui n'ont pas accordé au ministère de la justice le budget suffisant ? Nous voici bien loin du juge correctionnel dont l'environnement de travail et les moyens disponibles ne dépendent que des autres, et que l'on voudrait pourtant voir renvoyé tout seul devant le Conseil supérieur de la magistrature... Mais à tous les niveaux il est tentant de désigner un unique coupable pour masquer sa propre défaillance.

Finalement, cette nouvelle loi aura peut-être plus de retombées positives que ne le craignent les magistrats. Ceux d'entre nous qui commettent les erreurs les plus inadmissibles seront plus souvent sanctionnés que par le passé et c'est très bien ainsi. Mais quand des magistrats seront désignés comme bouc-émissaires de dysfonctionnements plus vastes, l'occasion leur sera enfin donnée de faire apparaître au grand jour certaines réalités peu flatteuses ignorées de nos concitoyens.

Nous serions presque impatients que s'engagent les premières poursuites...

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