A propos, encore, du mensonge à la cour d'assises, et par les proches de l'accusé
Cet article a été mis en ligne le 3 mai 2020.
Il est mis à jour le 1er décembre 2023 suite à une décision du même jour du Conseil constitutionnel.
- Quand une infraction a été commise, la procédure pénale, de la réception de la plainte à l'audience de jugement, a comme objectif essentiel la recherche de la vérité afin, au terme du processus et dans l'intérêt de toute la société, et non seulement de la victime, d'apporter la réponse judiciaire adéquate et de prononcer contre l'auteur identifié de l'infraction la peine la plus appropriée. Sanction qui répond au triple objectif de punir l'intéressé pour l'infraction commise, de le dissuader à l'avenir de réitérer, et d'exprimer l'ampleur de la désapprobation du groupe social au regard de la gravité de l'atteinte portée aux règles communes.
Pour en arriver à ce résultat, la justice pénale a besoin de récolter suffisamment d'éléments démontrant, une fois réunis, que la culpabilité de la personne poursuivie et jugée ne fait aucun doute.
Classiquement, les principaux éléments susceptibles de démontrer cette culpabilité sont : les constatations matérielles, les éléments de police technique et scientifique, les investigations des enquêteurs, et les déclarations des uns et des autres (personnes soupçonnées, proches, tiers etc..).
Ce sont les déclarations qui vont nous intéresser aujourd'hui encore.
Au moment de l'audition de toutes les personnes pouvant éventuellement apporter des informations utiles par les enquêteurs, puis par le juge d'instruction, puis à l'audience de jugement, l'objectif est d'obtenir d'elles des renseignements précis, exacts et fiables permettant autant que possible de conforter la démonstration de la culpabilité de la l'auteur de l'infraction.
Nous avons déjà abordé ici la question des propos de l'accusé, autour de la problématique de son droit de mentir. Droit qui, comme souligné dans le précédent article, n'a plus de fondement juridique depuis qu'est reconnu aux accusés le droit de se taire (lire ici).
Ce qui nous intéresse spécialement aujourd'hui, ce sont les déclarations des proches de l'accusé.
Mais avant de commencer une précision de vocabulaire. Quand dans cet article il est mentionné "l'accusé" ou "le criminel", il s'agit toujours d'une personne qui a bien commis le crime qui lui est reproché mais qui prétend mensongèrement n'avoir rien fait.
- C'est le traitement récent d'une question prioritaire de constitutionnalité (sur les QPC lire ici) par le Conseil Constitutionnel (son site) qui justifie cet article.
La décision rendue par le Conseil Constitutionnel le 28 février 2020 (texte intégral ici) n'a surpris personne tant le résultat était attendu. Elle a été très peu commentée car semblant sans enjeu. Mais tel n'est pas le cas car derrière la réponse brèv à une question simple se cache une problématique plus complexe qu'il ne semble au premier abord. Et qui est rarement abordée.
Le débat qui a eu lieu se résume ainsi :
Devant la cour d'assises sont appelés des témoins. Concrètement, les témoins ce sont toutes les autres personnes que les experts.
L'article 331 du code de procédure pénale (texte ici) indique depuis une éternité qu'avant de déposer "les témoins prêtent le serment "de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité ".
Cet engagement fort du témoin de dire la vérité, donc de ne pas mentir, n'est pas anodin car une fois le serment prêté le témoin qui fait en pleine connaissance de cause un faux témoignage peut être poursuivi et condamné jusqu'à 5 années de prison (art. 434-13 du code pénal, texte ici).
Mais il existe des exceptions à cette obligation légale de dire la vérité, et l'article 335 du code de procédure pénale (texte ici) énumère les témoins qui, par exception, ne prêtent pas serment : ascendants (parents et grands-parents) et conjoints, descendants (enfants) et conjoints, frères et soeurs et conjoints, le conjoint de l'accusé et les ascendants, descendants, et frères et soeurs de ce conjoint.
La catégorie qui nous intéresse est au 5° de cet article : le mari et la femme.
Et nous en arrivons à la QPC.
Ce qui était soutenu se résume ainsi : Puisque les personnes légalement mariées à l'accusé ne prêtent pas serment, et que cela se justifie par leur proximité avec lui, il n'est pas justifié que les concubin(e)s (texte civil sur le concubinage ici) et les personnes pacsées avec l'accusé (textes civils sur le pacs ici) prêtent serment. Autrement dit, si la grande proximité affective avec l'accusé est une raison pour ne pas avoir à prêter serment (nous y reviendrons plus loin car c'est le coeur du débat), alors le même régime doit être appliqué à tous ceux qui sont dans une situation semblable.
Il s'agit d'un argument logique et imparable.
Auquel le Conseil Constitutionnel a sans surprise répondu, après avoir constaté l'identité affective de ces situations, que "la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées qui n'est justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général est contraire au principe d'égalité devant la loi."
Par voie de conséquences, le 5° de l'article 335 doit, avant le 31 décembre 2020, être modifié pour inclure les concubins et les pacsés.
- Ce raisonnement est peu discutable et la solution retenue n'a, semble-t-il, été critiquée par personne. Mais là n'est pas l'intérêt de la décision. Cet intérêt n'est pas dans le résultat final, mais dans la motivation de la décision. Qui fait apparaître le débat sous-jacent, bien plus important, mais qui n'est aucunement traité dans cette décision.
- D'abord, en exposant sommairement le contenu des requêtes l'ayant saisi, le Conseil Constitutionnel mentionne ceci : "(..) pour le premier requérant, en privant les concubins de la possibilité de témoigner sans prêter serment, à titre de simples renseignements et sans donc encourir le risque d'être poursuivi pour faux témoignage, ces dispositions porteraient atteinte aux droits de la défense."
Autrement dit et à l'envers, qui est plus parlant, empêcher les concubins et les pacsés de mentir "porterait atteinte aux droits de la défense". Autrement dit encore, l'expression de la vérité violerait dans certains cas les droits du criminel !
Mais de quel "droit de la défense" parle-t-on ? Que sont ces droits de la défense ?
Ce sont les droits essentiels qui garantissent une procédure loyale, contradictoire, et équilibrée entre les protagonistes. On y trouve entre autres le droit de se taire, le droit à l'assistance d'un avocat, l'accès au dossier, le droit de demander des investigations, le droit de recours contre les décisions prises etc.
Mais la requête, qui va bien au-delà du socle habituel de ces droits, avait pour objectif de faire reconnaître, au bénéfice des criminels, le "droit" de bénéficier du mensonge de leurs proches. Ce qui est pour le moins audacieux, et l'est d'autant plus que cette revendication du droit au mensonge des témoins n'a comme raison d'être que de permettre au criminel d'échapper à la sanction. L'innocent ne craint jamais que ses proches disent la vérité.
En clair, au nom des "droits de la défense", l'avocat requérant souhaite que les accusés disposent d'un maximum de moyens pour échapper à la sanction. Ce qui peut laisser perplexe mais est parfaitement éclairant sur la nature réelle de la problématique en arrière plan. D'autant plus, répétons le, que le droit au mensonge, par les accusés eux-mêmes ou pour leurs proches ici, n'est revendiqué que par et pour les coupables.
- Ensuite, dans sa propre motivation le Conseil Constitutionnel a écrit à propos de l'actuelle dispense de serment pour les conjoints : "(..) en instaurant une telle dispense, le législateur a entendu préserver le conjoint appelé à témoigner du dilemme moral auquel il serait exposé s'il devait choisir entre mentir ou se taire, sous peine de poursuites, et dire la vérité, pour ou contre la cause de l'accusé. " Motivation qui demain s'appliquera aux concubins et pacsés.
Le Conseil constitutionnel a repris une motivation semblable dans une décision du 1er décembre 2023 (texte intégral ici). La question posée au Conseil constitutionnel portait d'une part sur le serment que doivent prêter devant le juge d'instruction les témoins et non les parties civiles, et d'autre part sur les différences entre les règles devant le juge d'instruction et les règles devant la cour d'assises, cela parce que certaines personnes qui sont exonérées du serment devant la cour d'assises doivent prêter serment devant le juge d'instruction. Et pour ce qui nous intéresse ici le Conseil constitutionnel écrit dans cette décision de 2023 :
"D’autre part, l’audition du témoin devant le juge d’instruction constitue un acte d’information accompli pour les besoins des investigations, en vue de la manifestation de la vérité. Elle se distingue de la déposition du témoin devant la cour d’assises qui constitue l’un des éléments de preuve contribuant à l’appréciation de la culpabilité de l’accusé. Dès lors, le législateur a pu prévoir, devant la cour d’assises, une dispense de prêter serment pour le concubin ou l’ancien concubin de l’accusé afin de le préserver du dilemme moral auquel il serait exposé s’il devait choisir entre mentir ou se taire, sous peine de poursuites, et dire la vérité, pour ou contre la cause de l’accusé."
On arrive alors au débat fondamental.
- Quand un criminel a commis une infraction par définition très grave (viol, assassinat, acte de torture ou de barbarie, vol avec arme, etc..), il est certain que pour ses proches, énoncer une vérité qui peut lui nuire les met dans une situation délicate tant l'enjeu est important.
Pour ne prendre qu'un exemple simple, si le criminel soutient qu'au moment du crime il était chez lui avec sa compagne et que ce n'est pas vrai, si celle-ci déclare qu'il n'était pas avec elle chacun va aussitôt s'interroger sur la raison pour laquelle l'accusé a eu besoin de dissimuler le véritable endroit où il se trouvait. Mentir n'est pas en soi un aveu de culpabilité, mais l'accusé qui se prétend innocent doit alors expliquer au juge pourquoi il a menti si comme il le soutient il n'a rien à se reprocher. Ce qui n'est pas très facile.
Plus largement, pour le proche de l'accusé, le besoin de mentir ne peut découler que de la connaissance d'éléments en défaveur de l'accusé, qui s'ils étaient énoncés permettraient à l'institution judiciaire de se rapprocher de la vérité. Eléments que l'accusé a besoin que ses proches cachent.
Il faut aussi avoir en tête que le dilemme moral mentionné dans la décision ne découle pas tant du témoignage devant la cour d'assises que du crime que l'accusé a décidé de commettre quand bien même il vivait avec quelqu'un. En décidant de commettre son crime alors qu'il se sait en couple, le criminel choisit lui-même de mettre l'autre membre de son couple dans une situation très difficile.
- Alors la question centrale qui découle de ce tout qui précède, et qui concerne tous les proches exonérés de l'obligation de dire la vérité, s'énonce de la façon suivante : Puisqu'il est impossible de concilier deux objectifs contradictoires, qu'est-ce qui est est le plus important ? Assurer le confort des proches de l'accusé et les autoriser, avec l'encouragement officiel de la loi, à mentir pour leur éviter de passer un mauvais moment et plus encore pour aider le criminel à échapper à la sanction ? Ou privilégier la recherche de la vérité en imposant, sous peine de sanction sévère, aux proches qui témoignent au procès de dire la vérité aux juges ?
Dans notre droit français, c'est le premier objectif qui est privilégié. La recherche de la vérité est considérée comme moins importante que le confort des proches du criminel. Le mensonge dans les procédures judiciaires est validé par la loi et par la jurisprudence.
La décision du Conseil Constitutionnel va augmenter le nombre de ceux qui sont légalement autorisés à mentir au juge. Mais surtout, à travers cette décision, pour les proches de l'accusé mentir pour tromper le juge est implicitement érigé en droit. La recherche de la vérité et la sanction du criminel ne sont pas la priorité.
La question doit pourtant et d'autant plus être posée que le seul fondement proposé pour justifier le mensonge des proches est ce "dilemme moral" mentionné par le Conseil Constitutionnel. Il n'y a derrière cette possibilité offerte aux proches de mentir aux enquêteurs puis aux juges aucune référence juridique indiscutable, nationalement ou internationalement reconnue. Il n'y aurait donc aucune difficulté légale à refuser le droit de mentir aux proches de l'accusé (1).
- La réflexion peut aller au-delà.
La possibilité offerte aux proches du criminel de mentir sans risque de sanction pénale peut se retourner contre eux. Et n'est parfois qu'un avantage de façade.
En effet, un témoin qui souhaite dire la vérité aux enquêteurs ou au juge, alors que le criminel exerce des pressions sur lui, dispose au moins en théorie d'un moyen de résister en mettant en avant le risque de prison pour lui en cas de mensonge. Alors que s'il ne prête pas serment et a donc officiellement le droit de mentir au juge, il ne peut rien opposer aux pressions, sinon une force de caractère peu souvent présente.
Permettre légalement aux proches de mentir sans risque, c'est indirectement inviter le criminel à exercer des pressions voire à formuler des menaces contre eux. Ce qui est parfois très traumatisant pour ces proches. Et montre là encore l'égocentrisme de certains criminels.
Mais peut-être plus encore, leur laisser légalement le choix de dire la vérité ou de mentir c'est, même en l'absence de pression du criminel, placer volontairement ses proches dans une situation aussi délicate humainement que psychiquement violente. Un proche d'un accusé peut en même temps regretter ce qu'il a fait et le risque qu'il soit sévèrement condamné, et ressentir sincèrement une forte empathie pour la victime et sa famille et saisir avec acuité que son mensonge renforce la souffrance de ceux-ci. Lui laisser le choix entre dire la vérité et mentir peut être pour ce proche profondément anxiogène.
Enfin, en pratique, le choix du mensonge est risqué pour le criminel comme pour ses proches. Parmi tous ceux qui cherchent à tromper les juges, et ils sont nombreux, peu ont les capacités pour le faire subtilement. Le mensonge est parfois tellement mal argumenté qu'il est assez aisément démasqué.
Ce qui fait qu'au moment du choix du nombre d'années de prisons lors du délibéré, la stratégie du mensonge utilisée par l'accusé et ses proches vient parfois charger la barque.
Les criminels oublient trop souvent que s'ils ont le droit de mentir et actuellement le droit de demander à leurs proches de mentir pour eux, il n'est écrit nulle part qu'ils peuvent le faire en toute impunité.
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(1) Dans son précis Dalloz de droit pénal comparé, le professeur Pradel écrit en début des pages présentant quelques systèmes de dispense pour les proches des accusés : "En prévoyant une dispense de témoigner pour les proches, le législateur veut à la fois protéger la paix des familles et ne pas imposer au témoin un choix dramatique entre le risque de nuire à un proche et la commission d'un faux témoignage. D'où tout un système de dispenses" (Jean Pradel, Droit pénal comparé, éd. 2016, n° 288). On voit bien ici qu'il s'agit d'arguments de confort et non d'arguments juridiques.