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Publié par Parolesdejuges

Par Dominique Charvet


Mise à jour du 1er novembre 2009

Cet article a été mis en ligne en fin d'année dernière. Mais, depuis, son auteur est décédé.

J'ai eu la chance de travailler à ses côtés quelques années. J'en garde le souvenir d'un magistrat d'une très grande intelligence, essayant toujours de tirer les autres vers le haut dans un milieu ou l'habitude est plutôt de regarder vers le bas. Magistrat engagé, mais ouvert vis à vis de ceux qui ne partagent pas ses convictions, Dominique Charvet est de ces rares individus qui laissent de profondes traces chez ceux qui croisent leur chemin. C'est pourquoi, d'une certaine façon, il est encore parmi nous.

Pour lui rendre l'hommage qu'il mérite, je remets son très beau texte en ligne.

MH


Le 3 décembre le recteur Varinard remettra le rapport qui lui a été demandé sur la justice des mineurs mais les articles parus dans la presse semblent en donner déjà les axes principaux.


Ainsi une bataille de chiffres a commencé entre le ministère et des chercheurs ce qui crée des interrogations sur l’une des principales justifications objectives des réformes envisagées mais la “mère des batailles” n’est pas là. Elle touche au projet qu’une société, la nôtre, se donne pour sa jeunesse. Un projet n’est pas affaire de statistiques mais de façon dont on traite les réalités qu’elles peuvent révéler, en l’espèce une croissance de la délinquance violente de la part de jeunes. C’est cela la politique et c’est bien de la politique que font la Garde des Sceaux et le Président de la République par commission interposée.


Quoique viennent en dire aujourd’hui les différents responsables gouvernementaux l’immédiat après-guerre - où a été fondée la justice des mineurs en France - était d’une dureté, d’une âpreté dont on a perdu l’idée et, puisqu’une des causes de la future réforme serait que les jeunes n’en sont plus, rappelons que l’on y était adulte bien plus tôt qu’aujourd’hui car on n’y avait guère la possibilité d’y rester enfant. Non les choix qui ont été fait alors n’étaient pas le fruit d’une France vivant dans “un long fleuve tranquille” avec d’aimables jeunes chapardeurs de bicyclettes mais d’une volonté de relever un défi : celui de reconstruire un pays faisant une place à tous.


Il faut relire le préambule de l’ordonnance de 1945, en tout cas son premier paragraphe et ce jusqu’au dernier mot: “Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile . La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente. Le projet d’ordonnance, ci-jointe, atteste que le Gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs et, plus particulièrement les mineurs délinquants”. Oui il est bien écrit que la République entend protéger plus particulièrement les mineurs délinquants. Trop fort préambule qui allait à ces temps de grandeur gaullienne mais qui fait peur à la commission Varinard et ses commanditaires: il disparaîtra comme un vieux drapeau que l’on trouve démodé au bénéfice d’une analyse juridique du Conseil Constitutionnel sur la finalité éducative de la sanction. Ainsi on baisse les bras devant le défi de l’éducation.


Au vrai le débat de 2008 est, contrairement à ce qui est et sera soutenu par le gouvernement, le même que celui de 1945 car il est celui que pose toujours le sort réservé à la jeunesse: que voulons nous faire de demain ? Une société manichéenne avec des victimes dont la protection devient la seule finalité de la justice et des délinquants que l’on punit toujours plus ou une société où nous acceptons que le bien et le mal rendent compte ensemble de notre humanité commune ? Une société séparée entre des majeurs et des mineurs coexistant dans la peur réciproque : celle du majeur pédophile et celle du mineur violent, ou une société dans laquelle il y a des adultes qui se considèrent responsables d’enfants en devenir d’adultes et des enfants qui se sentent attendus comme les relais de l’avenir ?


La commission Varinard ne veut plus d’enfants, elle supprime donc le mot dans l’appellation des juridictions ouvrant la voie à leur banalisation - ce qui est la vraie condamnation de la justice spécialisée. Il y a là une forme de négation du rapport de filiation qui structure les rapports de générations dans une société. C’est un “Au revoir les enfants” qui gênent parce qu’ils nous renvoient aux conséquences de la violence des situations de domination et d’abandon que nous avons laissé s’installer et dont ils sont les premières victimes - comme ils l’étaient de la Seconde Guerre Mondiale. Désormais il n’y aura plus d’enfants et nous n’aurons ainsi plus de responsabilités à leur égard. Nous la leur transférons cette responsabilité qu’ils auront à assumer, comme des grands, face à la loi et aux juges. Et seulement aux juges puisque l’on supprimera les assesseurs venus de la société civile qui témoignent de l’engagement de celle-ci dans le projet de justice voulue par les hommes et les femmes de la Libération qui faisait des “Chiens perdus sans collier” les enfants de nous tous. Il est terrible le message qui dit qu’ils ne le sont plus.


Victor Hugo écrivait qu’il fallait ouvrir des écoles pour fermer des prisons. Il est encore temps de ne pas prendre une route inverse.

 

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Pour lire le rapport, cliquer ici (format rft)

 


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C
<br /> Un autre magistrat rend également hommage à D. Charvet : http://www.philippebilger.com/blog/2009/11/hommage-%C3%A0-dominique-charvet.html<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Oui ! excellent texte ! excellent !<br /> En refusant de voir nos enfants pour ce qu'ils sont, des enfants, nous leur volons leur enfance.<br /> Protéger les mineurs délinquants, quel beau programme i<br /> <br /> <br />
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B
Un texte remarquable qu'on aimerait avoir écrit. Du style, des idées, de la délicatesse dans un monde de brutes et une vraie vision de l'horreur qui est en train de se construire sans que grand monde ne réagisse, ou, et je me demande si ce n'est pas pire, un monde dans lequel rien ne peut arrêter l'irrépressible montée de la répression, de la caricature, de la démagogie et de l'imprudence de construire des systèmes qui ne reposent que sur le souhait de plaire à nos instincts les moins nobles.Merci pour cette clairvoyance
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