Les malades mentaux et la prison
Depuis bien longtemps, les professionnels de la justice qui les côtoient s'interrogent sur la façon de prendre en charge les personnes qui d'un côté commettent des infractions graves et d'un autre présentent des perturbations psychologiques ou psychiatriques.
La problématique est de deux ordres.
D'abord, il s'agit de savoir dans quelle mesure la justice, par le biais de l'administration pénitentiaire, peut s'occuper suffisamment correctement des condamnés qui ont besoin de soins spécialisés.
Ce qui est certain, c'est que malgré les efforts accomplis, le cadre pénitentiaire - la prison - ne permet pas toujours une prise en charge de qualité suffisante des personnes perturbées, en termes de configuration des lieux ou de moyens matériels et humains.
Ensuite, et plus en amont, il s'agit de s'interroger sur les modalités d'application de l'article 122-1 du code pénal ainsi rédigé :
"N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime."
Ce texte invite le juge à déclarer pénalement irresponsable le malade mental inconscient de ce qu'il faisait (le discernement aboli) au moment de commettre l'infraction, et à considérer pénalement responsable et donc punissable celui dont la perturbation mentale, moindre, a seulement "altéré" ses capacités de discernement.
Il est vrai que l'application de l'article 122-1 par les juridictions n'est pas toujours conforme à son esprit. En effet, alors que pour ceux dont le discernement est altéré il suggère - sans le dire expressément - une minoration de la sanction, juges, et jurés à la cour d'assises, ont parfois tendance à considérer que l'intéressé est particulièrement dangereux à cause de ses troubles mentaux et de ce qu'il a fait, et par voie de conséquence qu'il faut l'emprisonner un long moment pour protéger la population et éviter la récidive.
Dans ce cas, le condamné rejoint le groupe de ceux qui sont considérés comme suffisamment conscients au moment de l'infraction pour relever de la sanction pénale et en premier lieu de l'emprisonnement, dont les troubles de la personnalité sont toutefois reconnus, qui ne sont pas suffisamment malades mentalement pour relever uniquement du traitement médical et, au moins un temps, de l'hospitalisation permanente, mais qui ne reçoivent pas forcément en prison les soins les plus adaptés à leurs pathologies.
Cette population est très difficile à gérer en prison par les soignants et par le personnel pénitentiaire, et est parfois à l'origine de violences entre détenus ou de suicides, sachant qu'en plus l'inadéquation de l'environnement et des soins en prison va dans certains cas aggaraver la pathologie.
Le Sénat vient de publier un rapport (mai 2010) qui tente une fois de plus d'appréhender ces problématiques.
On lit dans la note de synthèse :
- "Selon une enquête épidémiologique menée entre 2003 et 2004, le taux de détenus souffrant de schizophrénie atteindrait 8 % contre 1 % dans la population générale. La proportion de personnes atteintes de troubles mentaux les plus graves (schizophrénie ou autres formes de psychoses), pour lesquelles la peine n’a guère de sens, représenterait 10 % de la population pénale",
- "En revanche, de l’avis concordant de magistrats et d’experts, l’altération du discernement, conçu par le législateur comme une cause d’atténuation de responsabilité, a constitué en pratique, paradoxalement, un facteur d’aggravation de la peine allongeant la durée d’emprisonnement de personnes atteintes de troubles mentaux.", que "Entre 1985 et 2005, la capacité d’hospitalisation en psychiatrie générale est passée de 129 500 à 89 800 lits et places. Il en serait résulté, de manière dommageable, une tendance des experts à refuser l’irresponsabilité d’auteurs d’infractions afin d’éviter de mobiliser un lit d’hospitalisation.",
- "l’expertise psychiatrique n’est obligatoire qu’en matière criminelle. Elle n’est quasiment jamais mise en œuvre dans le cadre des procédures rapides de jugement, notamment la comparution immédiate qui concerne un nombre croissant de délits (près de 11 % des jugements en 2006).",
- "Au cours des dernières décennies, la prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux a connu des progrès considérables qui ne peuvent cependant occulter la difficulté de traitement de maladies mentales encore aggravées par le cadre carcéral.",
- s'agissant des soins prodigués en prison que "les moyens en personnels médicaux demeurent insuffisants malgré les progrès importants réalisés au cours des dernières années: depuis 1997, les effectifs médicaux et soignants n’ont augmenté que de 21,45 % en psychiatrie contre 108,3 % pour les soins somatiques. En outre, l’affectation de psychiatres dans les SMPR se heurte au peu d’attrait des médecins pour une activité réputée difficile et à l’inégale répartition des psychiatres sur le territoire",
- "l’incarcération peut être source d’aggravation des troubles mentaux (lorsqu’elle ne les suscite pas) sous le double effet de l’insuffisance des soins dispensés et des conditions de vie dans les établissements pénitentiaires (promiscuité, troubles du sommeil...). Cette situation met en danger les malades (risque suicidaire et automutilation), le personnel pénitentiaire et les codétenus. Le rapport établi en 2009 par le docteur Louis Albrand sur la prévention du suicide en milieu carcéral montre ainsi que la dépression, lorsqu’elle n’est pas prise en charge, est la première cause de suicide en prison".
Les ministères concernés, notamment la justice et la santé, sont en train de mettre en place les UHSA (unités d'hospitalisation spécialement aménagées). Mais le Sénat a relevé à leurs propos "La création des UHSA reste controversée. Incontestablement, ces unités devraient favoriser l’hospitalisation des détenus dans de meilleures conditions. Néanmoins, leur existence pourrait aussi inciter experts psychiatres et juridictions à renoncer à constater l’irresponsabilité pénale des auteurs d’infractions s’ils estiment que la condamnation pénale sera le meilleur moyen d’assurer leur prise en charge médicale sécurisée."
La question du traitement des condamnés mentalement perturbés préoccupe justice et santé depuis longtemps. Plusieurs rapports ont déjà été publiés autour de ce sujet (1). Les demandes adressées aux institutions, à savoir soigner les intéressés mais en même temps protéger la société, sont parfois contradictoires. Et aujourd'hui plus qu'avant, il est d'abord demandé à la justice d'écarter tout ce qui semble de près ou de loin réellement ou potentiellement dangereux.
Au risque d'un effet boomerang par le biais de l'aggravation des pathologies en milieu carcéral d'individus qui sortiront bien un jour et se retrouveront alors encore plus démunis et en difficulté qu'à leur arrivée.
Ce qui n'est dans l'intérêt de personne.
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1. Entre autres :
La prévention du suicide en prison. 2009
La prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice. 2009
Réponses à la dangerosité. 2006
Les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses. 2006
Santé, justice, et dangerosité. 2005
La prévention du suicide des personnes détenues. 2003
La prévention du suicide en milieu pénitentiaire. 1996