Le conseil constitutionnel modifie une nouvelle fois le code de procédure pénale (à propos de la fin de l'instruction)
Par Michel Huyette
Par le biais des QPC (cf. cette rubrique), le Conseil Constitutionnel a déjà rendu plusieurs décisions modifiant considérablement notre droit pénal et notre procédure pénale. Une récente décision en est une nouvelle illustration. Elle concerne les mécanismes mis en oeuvre en fin d'information judiciaire.
Quand le juge d'instruction considère que ses investigations sont terminées, s'appliquent les dispositions de l'article 175 du code de procédure pénale suivantes :
"Aussitôt que l'information lui paraît terminée, le juge d'instruction communique le dossier au procureur de la République et en avise en même temps les parties et leurs avocats soit verbalement avec émargement au dossier, soit par lettre recommandée. Lorsque la personne est détenue, cet avis peut également être notifié par les soins du chef de l'établissement pénitentiaire, qui adresse sans délai au juge d'instruction l'original ou la copie du récépissé signé par l'intéressé.
Le procureur de la République dispose alors d'un délai d'un mois si une personne mise en examen est détenue ou de trois mois dans les autres cas pour adresser ses réquisitions motivées au juge d'instruction. Copie de ces réquisitions est adressée dans le même temps aux avocats des parties par lettre recommandée.
Les parties disposent de ce même délai d'un mois ou de trois mois à compter de l'envoi de l'avis prévu au premier alinéa pour adresser des observations écrites au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81. Copie de ces observations est adressée en même temps au procureur de la République" (1)
Ce qui nous intéresse c'est l'expression "aux avocats des parties" du deuxième alinéa. Elle signifie a contrario que quand une personne mise en examen a choisi de ne pas se faire assister d'un avocat, donc se défend seule (2), elle ne reçoit pas de copie des réquisitions du procureur.
Trouvant cette différence de régime inacceptable, une personne non défendue par un avocat a dernièrement fait valoir, dans le cadre d'une QPC, que : "en prévoyant que la copie des réquisitions définitives du procureur de la République n'est adressée qu'aux avocats des parties, la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 175 du code de procédure pénale porte atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense des parties non assistées ou représentées par un avocat."
Le Conseil Constitutionnel a estimé l'argument pertinent. Dans sa décision du 9 septembre 2011 (texte ici) il écrit :
"aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense";
"dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté de choisir d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense interdit que le juge d'instruction puisse statuer sur le règlement de l'instruction sans que les demandes formées par le ministère public à l'issue de celle-ci aient été portées à la connaissance de toutes les parties".
Et il en tire comme conséquence que : "dans la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 175 du code de procédure pénale, les mots : « avocats des » ont pour effet de réserver la notification des réquisitions définitives du ministère public aux avocats assistant les parties ; que, par suite, ils doivent être déclarés contraires à la Constitution".
Le Conseil précise par ailleurs, s'agissant de l'application dans le temps de sa décision, que : "cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de publication de la présente décision ; que, d'une part, elle est applicable à toutes les procédures dans lesquelles les réquisitions du procureur de la République ont été adressées postérieurement à la publication de la présente décision ; que, d'autre part, dans les procédures qui n'ont pas été jugées définitivement à cette date, elle ne peut être invoquée que par les parties non représentées par un avocat lors du règlement de l'information dès lors que l'ordonnance de règlement leur a fait grief".
Cette décision se justifie sans difficulté. En effet un choix doit être clairement fait : soit on considère qu'une personne mise en examen n'est, par principe, pas apte à se défendre efficacement seule, et il faut alors rendre la présence de l'avocat obligatoire, ce qui permet alors de n'envoyer copie des divers documents judiciaires qu'à ce dernier ; soit on considère au contraire qu'un justiciable peut se défendre seul et il n'existe alors aucune raison de le mettre dans une situation d'infériorité dans cette phase du processus pénal. Et une infériorité d'autant plus importante que les réquisitions du parquet ont une influence certaine sur la décision finale du juge d'instruction même si, bien sûr et heureusement, ce dernier n'est nullement tenu de les suivre.
Il était donc assez curieux de permettre à un justiciable non assisté d'un avocat de présenter des observations, notamment sur les réquisitions du parquet, sans lui adresser auparavant.... les réquisitions.
Le Conseil Constitutionnel vient donc de rendre une décision qui, cette fois-ci, ne devrait pas déclencher de polémique.
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1. Ce droit offert aux parties de donner présenter des observations en fin d'instruction existe depuis une loi de mars 2007 dont le contenu a été élaboré pour partie après les propositions de la commission parlementaire d'enquête sur l'afaire dite d'Outreau. Cette loi n'a pas été soumise au Conseil Constitutionnel.
2. L'avocat est toutefois obligatoire à la cour d'assises.