L'agressé tue l'agresseur : la question de la légitime défense
Le code pénal prévoit les dispositions suivantes sur la légitime défense :
1° Pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;
2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence." (art. 122-6 du code pénal)
"N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace." (art. 122-7 du code pénal)
En résumé, en présence d'une agression déjà commencée ou d'un danger certain, la loi nous donne le droit de nous défendre, y compris par la violence si c'est le seul moyen de faire obstacle à une violence préexistante.
Encore faut-il, pour que la légitime défense, que la riposte apparaisse raisonnable par rapport à la nature de l'agression. C'est ce que l'article 122-5 souligne en indiquant qu'il ne doit pas y avoir disproportion entre la défense et l'attaque. Par exemple, il n'est pas admis de se défendre en donnant un coup de couteau contre quelqu'un dont l'agression n'est que verbale.
C'est surtout cette question de la proportionnalité qui pose difficulté.
Quand l'agression se déroule, et surtout si elle est violente, l'esprit n'est pas forcément disponible pour s'interroger sur le cadre légal de la riposte ni sur la proportionnalité attendue entre attaque et défense. Cela d'autant plus qu'il peut être difficile à l'agressé d'apprécier avec justesse la nature et surtout l'ampleur de l'agression. Par exemple, si l'agresseur a en main, de nuit, un pistolet en plastique, et menace de tirer sur l'agressé, celui-ci peut penser qu'il s'agit d'une véritable arme et, par peur pour sa vie ou celle de ses roches, décider de blesser l'agresseur avec une arme (tel un couteau pris dans la maison), quand bien même il apparaîtra plus tard que le pistolet ne présentait aucun danger.
Ensuite, il n'existe jamais de proportionnalité parfaite. Peut-on par exemple considérer qu'il y a proportionnalité entre attaque et défense si l'agresseur a en main un couteau et que l'agressé se défend en tirant sur lui avec un pistolet ? Dans le même sens, faut-il que l'agressé attende que l'agresseur se jette sur lui avec son couteau pour avoir le droit de se défendre, au risque de ne pas avoir le dessus dans la bagarre qui s'en suit ? Ou, à l'inverse, la proportionnalité est-elle respectée dès lors que le passage à l'acte violent de l'agresseur est probable, voire seulement possible ?
Enfin, l'appréciation de la menace réelle que représente l'agresseur est toujours pour partie subective. Un agressé possédant une certaine force physique et de caractère se sentira peu menacé là où une personne fragile se sentira, dans la même situation, dans un très grave danger.
C'est pour toute ces raisons que la proportionnalité peut être analysée de façon différente d'une personne à l'autre.
Devant la difficulté à cerner précisément les contours de la légitime défense, certains seront tentés de dire : "Quitte à faire pencher la balance d'un côté, ce doit être du côté de celui de l'agressé qui n'a jamais demandé à l'agresseur de venir le menacer". Dans une certaine mesure cela peut être approuvé. En cas d'hésitation, quand la menace est manifestement réelle et grave et que seul un léger doute subsiste sur la proportionnalité entre agression et riposte, le doute doit - comme toujours en matière de justice - bénéficier à l'agressé susceptible d'être poursuivi en justice et lui permettre de ne pas être renvoyé devant une juridiction pénale (par classement sans suite ou non lieu), ou, si tel est le cas d'être relaxé (devant un tribunal correctionnel) ou acquitté (devant une cour d'assises).
Mais prendre trop de distance avec les règles juridiques peut aboutir à des excès.
Il y a quelques années (le phénomène semble beaucoup plus rare aujourd'hui), il est arrivé à plusieurs reprises que soient poursuivies des personnes ayant tiré sur des cambrioleurs qui s'enfuyaient. Et plusieurs cours d'assises ont acquitté de tels individus.
Pourtant, si le cambrioleur peut représenter un réel danger physique quand il est dans le domicile, ce danger a totalement disparu quand il en sort et plus encore quand il s'en éloigne. D'un point de vue juridique, il ne peut donc pas y avoir légitime défense quand une personne tire sur une autre alors que cette dernière est loin et apparaît de dos.
C'est pourquoi les décisions d'acquittement étaient toutes juridiquement aberrantes, puisqu'il ne pouvait y avoir acquittement dans de telles hypothèses que si l'homicide volontaire (le meurtre) de l'agressé avait été justifié par la légitime défense, alors évidemment inexistante. Le message des jurés était alors, en substance : "Oui, sans doute n'y a-t-il pas légitime défense, mais le cambrioleur n'avait qu'à pas venir et finalement, il n'a que ce qu'il mérite".
C'est bien, ceci dit en passant, l'un des problèmes majeurs de "l'intime conviction" à la cour d'assises qui permer de s'affranchir du droit et de décider de ne pas respecter la loi, d'autant plus que l'absence de motivation écrite des décisions encourage de telles dérives.
Les enjeux autour du débat sur la légitime défense sont importants. Autant cette notion est indispensable dans notre droit pour permettre à ceux qui sont injustement agressés de se défendre quitte à mettre en péril la vie de l'agresseur quand aucun autre moyen raisonnable de protection n'existe, autant une appréciation trop large de la notion peut ouvrir la porte à des réactions malsaines, le tout pouvant conduire à une inversion de valeurs que rien ne justifie.