Du soutien aux mineurs à la prévention de la récidive, quelle place pour le débat ?
Par Michel Huyette
Il n'existe sans doute pas ces jours-ci, en France, une seule personne qui n'a pas le ventre noué. Quand le sommet du drame et de l'insupportable a été atteint, il est sinon impossible du moins redoutablement difficile de tenter de prendre un minimum de distance et de s'interroger sur le passé, le présent et l'avenir. Tel est malheureusement le cas quand une adolescente est victime d'une double agression, sexuelle et physique, et qu'elle y perd la vie dans des circonstances que l'on voudrait ne jamais rencontrer.
Quand en plus l'agresseur est un mineur de 17 ans qui, cela ne semble discuté par personne bien qu'il n'ait pas encore été définitivement jugé coupable, a déjà commis un viol sur une autre jeune fille, a été placé en détention provisoire pendant quatre mois puis remis en liberté sous contrôle judiciaire, la polémique reprend vite ses droits. Sans que toujours la raison l'emporte sur l'émotion.
Chaque évènement de la sorte impose aux institutions impliquées de s'interroger sans tarder sur leurs compétences, leurs pratiques, de rechercher s'il a pu y avoir des maladresses, des erreurs ou des manquements. Cela non pas tant pour rechercher des responsabilités que pour, autant que possible, tirer les leçons utiles permettant demain de faire mieux (1).
Les faits énoncés par les medias invitent à lancer le débat dans plusieurs directions.
1. Les expertises et la connaissance de l'avenir
Les êtres humains sont complexes et ils ont tous en eux une part de mystère. Nous avons tous un jour ou l'autre été surpris par le comportement imprévu et surprenant d'un membre de la famille, d'un ami, d'un collègue de travail, d'un voisin. Nous savons tous (sauf les plus jeunes) que derrière les façades humaines se cachent des pièces propres et éclairées, mais aussi d'autres plus sombres et en désordre.
Le rôle des "psy" c'est de tenter de percevoir une partie de cet en-dedans. Le psychologue va essayer de comprendre les méandres de la personnalité, ses lignes droites mais aussi ses courbes, le psychiatre de déceler d'éventuelles maladies mentales. Avec leur savoir, leurs repères, leurs tests et les examens cliniques, ces psy peuvent parfois nous aider à comprendre les en-dessous des apparences. Ainsi, ils peuvent nous aider à répondre à la question essentielle : telle personne qui à un moment donné a eu un comportement nuisible est-elle susceptible de reproduire un même comportement ou d'en adopter un autre encore plus agressif.
Mis à part les psy qui, devant les caméras de télévision, affirment que si ça avait été eux l'expert ils auraient évidemment prédit ce qui allait se passer (une petite page de publicité, en plus gratuite, est toujours bonne à prendre), la quasi totalité des autres expliquent sans gêne, parce qu'il ne peut pas en être autrement, que leurs compétences ne leur permettront jamais, sauf dans quelques situations caractéristiques, de prédire l'avenir sans aucun risque d'erreur.
L'une des raisons en est justement cette part de mystère qui est en chacun de nous, qui nous rend nous mêmes incapable de dire ce que nous serons et ce que nous ferons demain et plus tard. Une autre en est la méconnaissance, à un moment donné, de ce qui va se passer ultérieurement dans la vie d'une personne dont le parcours dépend certes de sa personnalité mais aussi de ses rencontres avec les tiers humainement, socialement et professionnellement.
Au demeurant, il a dans cette affaire été indiqué dans les medias d'une part que les professionnels ayant examiné l'intéressé avant sa sortie de prison avaient remis aux juges un rapport aux conclusions positives, et que le thérapeute rencontré régulièrement dans l'établissement ne s'était jamais inquiété à propos du jeune qu'il avait devant lui une fois tous les quinze jours.
Sans doute sera-t-il judicieux de s'interroger sur l'état des sciences humaines, et de se demander si d'autres apports autour de la criminologie ne seraient pas susceptibles d'enrichir les savoirs actuels. Mais la littérature est déjà très importante sur ce sujet et il n'est pas certain qu'il existe de nombreuses pistes insuffisamment explorées.
Quoi qu'il en soit, il faut souligner, une fois encore, que même si l'on arrive à réduire leur nombre au maximum il existera toujours des personnes, en faveur de qui les pronostics d'évolution ont été favorables à un moment donné, par exemple une sortie de prison, et qui plus tard adopteront un comportement inapproprié imprévisible au moment de la remise en liberté.
Cela peut légitimement inquiéter. Mais il faut admettre qu'entre l'enfermement de tous et pour toujours dès la première infraction grave, et la remise en liberté à un moment ou un autre de ceux qui semblent aux spécialistes aptes à reprendre progressivement une place parmi nous, il n'y a pas beaucoup de marge de manoeuvre.
2. Les moyens de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse)
La PJJ est quotidiennement sollicitée pour avis sur l'état physique et psychologique des mineurs dont le suivi lui a été confié. Les équipes comportent des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés, des psychologues et des psychiatres. Dans les cas les plus délicats c'est de façon pluridisciplinaire qu'ils rédigent un rapport ensuite transmis à l'institution judiciaire.
Ce qui a été dit plus haut à propos des "psy" en général vaut de la même façon pour les professionnels de la PJJ. Tous ceux qui ont travaillé dans ce secteur ont connu de ces jeunes qui, après avoir progressé très favorablement, ont soudainement rechuté à la grande surprise de tout le monde. Et les raisons d'être de telles rechutes restent parfois mystérieuses.
Parce que les jeunes délinquants sont considérés comme encore maléables, c'est à dire comme des individus dont la trajectoire peut être favorablement influencée par des professionnels, l'accent est mis sur la recherche des moyens susceptibles de les écarter de leurs attitudes déviantes et de leur permettre de nous rejoindre. Leur intérêt autant que le nôtre c'est que les comportements inappropriés dont ils sont les auteurs et dont nous sommes les victimes ne se reproduisent pas.
La PJJ cherche autant que possible à accompagner ces jeunes dans les apprentissages scolaires. Tous les professionnels le savent, l'échec scolaire conduit à la perte de l'estime de soi, fait obstacle à la recherche d'un emploi, et dirige les intéressés vers la marginalisation sociale qui elle même ouvre les portes aux conduites déviantes. C'es pourquoi, logiquement, la PJJ tente de réintégrer les jeunes qui ont chuté dans un parcours scolaire le plus ordinaire possible.
Les centres éducatifs fermés (CEF) dont les medias ont parlé ne sont pas adaptés pour tous les profils. En effet, la plupart du temps, les jeunes qui y sont accueillis ont un niveau intellectuel très pauvre, et ils sont en rupture de tout. Dès lors, les jeunes qui ont un bagage intellectuel suffisant et qui ne semblent pas manifestement inaptes à intégrer un établissement ordinaire ne doivent pas aller en CEF, lieu inadapté à leur profil. Ils doivent autant que possible intégrer un collège ou un lycée classique.
3. L'emprisonnement.
Le mineur concerné avait nous dit on effectué quatre mois de détention provisoire. Il aurait été libéré et placé sous contrôle judiciaire au vu des rapports favorables des spécialistes.
Les magistrats sont toujours dans une situation très délicate quand arrive la question de l'emprisonnement des mineurs. D'un côté on leur dit que la gravité de certains faits justifie une réaction sévère pouvant aller jusque la détention. Cela est exact. Mais de l'autre on leur dit, en multipliant les exemples négatifs, qu'un trop long séjour en détention pour des adolescents peut avoir des effets dévastateurs à cause de l'influence nocive de certains autres détenus, de la mise à l'écart de leur environnement affectif et, surtout, de la rupture totale dans les apprentissages. Et que l'intérêt final de la société c'est que le jeune reprenne un parcours serein et non pas qu'il tombe encore plus profondément dans la marginalité qui ouvre un peu plus largement la porte à la délinquance. Ce qui est tout aussi pertinent.
Alors, au cas par cas, les magistrats étudient les dossiers, les profils, les faits, les avis des travailleurs sociaux et des psys. Et décident, tout en ayant en permanence en tête que rien n'est définitivement acquis et que le doute est toujours présent, même dans les dossiers qui semblent les plus positifs.
Il leur faut décider de l'emprisonnement et de ses paramètres. Pas trop tard pour ne pas laisser le jeune s'ancrer dans la délinquance, mais pas trop tôt non plus pour que l'outil utilisé ne soit pas disproportionné par rapport à l'acte commis et ne fasse pas plus de dégâts que ce dernier. Pas trop peu de temps pour que l'impact soit réel, mais pas trop longtemps non plus pour ne pas trop détruire une personnalité en évolution.
A l'extérieur on ne sait pas combien certaines décisions sont difficiles à prendre pour les magistrats qui, dans de nombreuses affaires, ont pleinement conscience de la part d'incertitude et de risque.
4. Les liens justice - éducation nationale
La question a été posée des informations transmises par la PJJ aux établissements scolaires. Même si une polémique existe, les arguments mis en avant par les uns et les autres semblent pour la plupart pertinents.
Côté éducation nationale, certains affirment que les responsables des établissements doivent tout savoir sur le passé et la personnalité des jeunes dont l'inscription est sollicitée. De fait, cela peut les inciter à faire plus attention à tel jeune qu'à tel autre, à faire des bilans plus souvent, à adapter si nécessaire leurs réactions au profil de l'intéressé.
Côté PJJ, d'autres répondent, expérience à l'appui, que même pour un jeune qui semble vraiment sorti d'affaire et qui probablement ne posera aucun problème, il suffit de faire allusion à son histore pour que la plupart des portes se referment devant lui, bloquant ainsi le processus de rescolarisation pourtant essentiel. D'où une réticence à donner à l'interlocuteur des motifs de fermer la porte de son école.
Le problème c'est que des deux côtés l'on a raison, mais que les deux objectifs sont difficilement conciliables. Il n'empêche que si un choix doit être fait, la transparence peut apparaître préférable, toute rétention d'information pouvant être reprochée au travailleur social même s'il a les meilleures intentions du monde.
Cela d'autant plus que la question pouvait se poser d'un accueil dans un établissement mixte. Mais jusqu'à présent nous ne savons pas combien, s'il en existe, il reste en France d'établissements scolaires réservés aux garçons. Et si certains ont été sollicités et quelle a été leur réponse.
Au-delà, ce qu'il faudra savoir, c'est comment l'éducation nationale a répondu, s'il y en a eu, aux demandes d'orientation présentées par la PJJ.
5. Des choix de société
Quand quelque chose d'effroyable se produit, chacun rêve au moyen de revenir en arrière, de prédire l'avenir et de l'influencer pour qu'il soit autrement. Mais jusqu'à présent le retour en arrière n'a été possible que dans les films de science fiction. Malheureusement.
La difficulté semble insoluble. Toute personne qui a un jour adopté un comportement agressif peut par hypothèse recommencer un autre jour. Sans aucune exception. Il en va ainsi de l'homme qui bouscule son enfant, du conducteur qui se moque du code de la route et percute un autre véhicule, de l'employeur qui ne respecte pas les règles de sécurité et favorise les accidents du travail. Les exemples pourraient être multipliés à l'infini.
Mais alors faut-il, pour prévenir efficacement la récidive, dès la première violence interdire au père d'approcher ses enfants et cela sans limite de durée ? Faut-il pour toujours interdire au chauffard d'un jour de conduire un véhicule ? Faut-il jusque la fin de ses jours empêcher l'employeur de diriger une quelconque entreprise ?
Pourquoi même ne pas considérer qu'un premier et seul excès de vitesse fait de tout conducteur un potentiel responsable d'accident mortel ? Le risque d'être gravement blessé ou tué sur la route est bien plus élevé que le risque d'être tué ou violé.
Dans un autre domaine, quel parent accepterait que l'éducation nationale expulse définitivement son enfant de l'école à la moindre incartade, avec comme seul argument qu'une première fois est trop souvent suivie d'une autre et qu'il est impossible de prendre le moindre risque ?
Chez les criminels, les professionnels constatent parfois des progrès considérables. Cela signifie, ce que personne ne conteste, qu'un premier acte criminel ne signifie pas systématiquement un risque élevé de récidive.
La question est donc essentiellement autour des aptitudes et des moyens permettant, autant que possible, de faire la part des choses entre ceux qui présentent toujours un profil instable et donc préoccupant et ceux qui, en apparence, semblent avoir bien avancé et pris de la distance avec leur désordre antérieur interne.
Mais quoi que l'on fasse, et en l'absence de grille de lecture imparable, il existera toujours une petite part d'incertitude. Et celle-ci, aucune loi ni aucune incantation ne réussira à la faire disparaître.
Les magistrats spécialisés dans les affaires de mineurs, les professionnels de l'éducation et les psy essaient jour après jour de faire au mieux pour concilier trois impératifs : sanctionner les mineurs délinquants, protéger la société de leurs méfaits, et en même temps, parce que rien n'est définitivement fixé la plupart du temps, les aider à évoluer favorablement et à reprendre leur place à nos côtés.
Quoi que l'on en pense, il ne peut pas en être autrement. Il est de l'intérêt du groupe social dans son ensemble d'avoir parmi ses membres des personnes qui, bien que fautives un jour ont ensuite favorablement évolué, plutôt que des personnes fautives laissées ensuite de côté, sans avenir, sans projet, sans espoir, sans une autre idée d'elles mêmes. Il n'y a même pas de place pour un débat entre les supposés "gentils laxistes" qui privilégieraient l'éducatif au détriment de la sécurité du groupe et les "sérieux répressifs" qui assureraient la protection de la société. Quand un chien agressif montre les dents il peut dans un premier temps sembler utile de le menacer avec un bâton. Il est vrai qu'ainsi il peut être maintenu à distance, tant que le bras ne fatigue pas. On peut aussi l'enfermer dans une cage, pour faire disparaître la difficulté. Mais sur le long terme il est probablement plus malin de le dresser à s'approcher calmement de la main qui se tend.
Evidemment, cela n'empêche pas de s'interroger en permanence sur les méthodes utilisées. Bien sûr qu'il y aura toujours même chez les professionnels confirmés des incertitudes, des doutes, et des maladresses. Bien sûr que chaque drame nous impose d'analyser toutes les étapes antérieures pour tenter de repérer ce qui éventuellement aurait pu être fait différemment et peut-être mieux.
Mais la solution idéale n'existe pas, sinon elle serait connue depuis longtemps.
Oui parfois l'on constatera qu'il aurait été peut être possible de faire autrement, sans toutefois savoir ce à quoi aurait conduit cet autrement. Non, même en réunissant les meilleurs dans tous les domaines, il ne sera jamais possible de prévenir des actes quand rien ne les annonçait spécialement.
Alors dans certains cas il ne restera que le drame. Et une insupportable douleur. Que rien ne viendra jamais atténuer.
Le seul geste, certes insignifiant, que l'on peut faire pour ceux qui l'ont en eux, c'est de ne pas l'exploiter.
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1. Comme le souligne le sociologue Laurent Mucchielli sur son blog (lire ici), il ne faut pas non plus oublier ce que nous indiquent certaines recherches. Selon lui, et à partir des études qu'il mentionne, il y aurait eu au cours des dix dernières années et pour trois départements analysés un seul cas semblable à cette récente affaire. Le nombre de cas similaire chaque année et dans toute la France est donc proche de zéro. Ce qui incite à douter de la nécessité de réagir en termes de enième modification de la loi comme annoncé aussitôt par certains membres du gouvernement....