Le projet de loi sur la récidive des mineurs : un projet déraisonnable
Par Philippe Chaillou
Le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs repose, en ce qui concerne les mineurs, sur deux grands principes. Les mineurs de plus de 13 ans se verront infliger des peines minimales, dites peines plancher, et les mineurs de plus de 16 ans encourront le même maximum de peine que les majeurs. Rarement projet de loi aura suscité, chez les professionnels, autant d’incrédulité.
Il s’agit tout d’abord d’un projet déraisonnable. Prenons des exemples concrets. Un mineur, âgé de 13 ans et quelques jours, qui aura commis un vol de pain au chocolat, si c’est sa deuxième infraction, se verra obligatoirement condamné à un minimum de six mois d’emprisonnement et encourra un maximum de trois ans d’emprisonnement, s’il est décidé de lui appliquer une peine. De la même manière, s’il s’agit d’une troisième infraction, un mineur, âgé de 16 ans et quelques jours, qui, dans le RER, aura dérobé cinq euros à un autre jeune de son lycée, en le tenant, et en compagnie d’un camarade, se verra obligatoirement condamné à un minimum de quatre ans d’emprisonnement et encourra un maximum de vingt ans d’emprisonnement. Fort heureusement dans ces deux cas, «par une décision spécialement motivée», le tribunal pour enfants pourra prononcer une peine inférieure à la peine plancher. Mais quel est le sens pour des jeunes, leurs parents et une société dans son ensemble, que de telles peines soient inscrites dans la loi pour de telles infractions, même commises en récidive, alors que, pour des crimes commis en première infraction, il est prévu des peines nettement inférieures ?
Ainsi, ce même jeune de 16 ans et quelques jours, s’il commet, en première infraction, un viol, ne sera pas justiciable d’une peine plancher et encourra un maximum de sept ans et demi d’emprisonnement. S’il commet, toujours en première infraction, un meurtre, aucune peine plancher n’est prévue à son encontre et il encourra un maximum de quinze ans de réclusion criminelle. Où se trouve la logique d’une telle échelle des peines quand un vol dans le RER commis en troisième infraction est réprimé par la loi beaucoup plus sévèrement qu’un meurtre commis en première infraction ? Ce projet, qui ne fait qu’appliquer aux mineurs des dispositions concernant les majeurs, est également tout à fait inadapté au phénomène de la récidive des mineurs. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que la justice des mineurs, plus encore que celle des majeurs, doit être capable de faire du sur-mesure, que la souplesse, l’adaptabilité sont ses plus grandes qualités, au contraire de l’automaticité et de la complexité des peines plancher. Or, ces dispositions vont radicaliser le système, favoriser les extrêmes aux dépens des décisions mesurées. Elles vont bien évidemment provoquer une augmentation sensible des peines d’emprisonnement et de leur durée.
Mais également, à l’inverse du but de fermeté recherché par le gouvernement, les praticiens seront tentés, pour échapper aux effets mécaniques redoutables des peines plancher, de prononcer des mesures éducatives, pas toujours efficientes pour certains multirécidivistes, là où, par exemple, un sursis avec mise à l’épreuve avec obligation de placement dans un centre éducatif fermé aurait été plus pertinent. Ce texte, idéologique et non pas pragmatique, est ainsi la négation d’un siècle d’élaboration patiente d’une justice spécialisée pour les mineurs et d’un demi-siècle de conception d’un savoir-faire extrêmement riche par les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse et du secteur associatif.
Le système ainsi proposé est à l’opposé de celui de nos voisins allemands, dont la délinquance n’est pas sensiblement différente de la nôtre. Chez nos amis germaniques, c’est en effet le droit des mineurs qui s’applique aux majeurs de 18 à 20 ans et non l’inverse. En Allemagne, pas besoin d’une machine infernale concernant les peines plancher puisque, pour les mineurs, même s’ils ont commis de nombreux délits, une peine unique est prononcée dont le quantum doit être fixé en gardant à l’esprit un souci éducatif. Ceci dit, la question de la récidive des mineurs reste une question préoccupante, difficile et complexe, mais qui mérite mieux que ce texte illusoire. Notre pays dispose en effet déjà de toute une gamme de mesures qui permettent de lutter contre le phénomène de la récidive des mineurs. Cette palette continue d’ailleurs très régulièrement de s’enrichir. Une des innovations les plus fortes, qui n’est plus guère contestée aujourd’hui, a été la création en 2002 des centres éducatifs fermés qui connaissent, dans ce domaine, des résultats salués par le commissaire européen aux Droits de l’homme. Le problème est que les moyens pour mettre en œuvre ces mesures manquent cruellement. Ainsi des mesures éducatives pénales prononcées par les juges des enfants sont parfois exécutées, faute de moyens, plus de six mois après la décision. De la même manière, la région parisienne, qui compte, rappelons-le, plus de douze millions d’habitants dont un certain nombre vivent dans des banlieues en difficultés, ne dispose que d’un centre éducatif fermé et ce, depuis le mois d’avril 2007. Il y a actuellement six mineurs entre 16 et 18 ans dans ce centre éducatif fermé, qui monte en charge progressivement, mais qui ne pourra pas en accueillir plus d’une dizaine lorsqu’il fonctionnera à plein régime. En région parisienne, un seul autre centre éducatif fermé est programmé à l’horizon 2008.
La première urgence donc, si on voulait vraiment lutter contre la récidive des mineurs, serait de développer et de renforcer ces mesures existantes. La seconde urgence serait de s’attaquer aux causes de cette récidive : le chômage, les ghettos, les discriminations sous toutes leurs formes, l’échec scolaire, l’éclatement et la précarisation des familles. Il appartiendra bien sûr au Conseil constitutionnel, s’il est saisi, d’apprécier, dans sa souveraineté juridictionnelle, la conformité de ce texte à la Constitution.
Ce qui est certain c’est que ce projet est parfaitement contraire à l’esprit de la Convention internationale des droits de l’enfant que la France a ratifiée. Or nous devons, comme chaque pays qui a ratifié cette convention, régulièrement rendre des comptes à la communauté internationale des Nations Unies sur son application. Il ne faudra pas s’étonner qu’à cette occasion notre pays soit à nouveau montré du doigt et quelque peu mis au ban de la communauté internationale.