Les conseils de prud'hommes : le meilleur et le pire
En ce début d'année 2009 les nouveaux membres des conseils de prud'hommes, élus en fin d'année passée, vont progressivement s'installer dans leur métier provisoire de juge.
Le conseil de prud'homme est une juridiction composée uniquement de professionnels (dirigeants et salariés d'entreprises), qui siègent en nombre égal (deux salariés et deux employeurs en principe, moitié moins dans les procédures de référé), et qui jugent tous les conflits du travail. L'observation du fonctionnement de ces conseils pendant de nombreuses années conduit au constat suivant : il s'agit de la réunion, dans une même juridiction, du meilleur et du pire.
Commençons par le meilleur.
Environ la moitié des litiges soumis aux conseils de prud'hommes (1) trouvent une solution lors de la phase de conciliation. En effet, toute procédure prud'homale débute par une telle phase, au cours de laquelle les juges s'efforcent de trouver une solution acceptable des deux côtés et susceptible de mettre fin rapidement à la procédure engagée. Et le nombre d'affaires qui ne vont pas jusqu'à la phase de jugement montre qu'ils remplissent très bien ce rôle.
Le meilleur, c'est aussi l'aptitude des conseillers à trancher les litiges les plus simples. Les conseillers connaissent bien le fonctionnement ordinaire des entreprises et peuvent assez aisément démêler les litiges relatifs par exemple au paiement des salaires, à l'application des convention collectives, au temps de travail etc..
Mais malheureusement il y a aussi le pire.
Les jugements des conseils de prud'hommes sont examinés en cas de recours par les chambres sociales des cours d'appel. Or l'expérience en chambre sociale démontre de façon particulièrement nette la difficulté des conseillers prud'hommes à donner aux litiges les plus complexes une issue satisfaisante. D'après mes propres constats, l'examen de milliers de décisions prud'homales dans les chambres sociales de trois cours d'appel différentes sur une période d'environ dix années impose malheureusement de conclure que dans de trop nombreux cas les conseillers rendent des décisions qui sont soit incompréhensibles, soit insuffisamment ou pas motivées, soient juridiquement aberrantes, cela lorsque le dossier pose des questions complexes. Un avocat spécialisé en droit social me disait il y a quelques semaines, et à propos de tous ces jugements difficilement acceptables : « En allant devant la cour d'appel nous gagnons ou nous perdons, mais au moins en lisant la décision nous savons enfin pourquoi ».
Ce qui est regrettable, c'est que ce sont les justiciables qui en font les frais.
Aller devant la cour d'appel parce que l'on ne comprend pas la décision de première instance et donc que l'on ne peut pas s'en satisfaire, c'est dépenser de nouveau des sommes importantes en frais d'avocat, parfois pour aboutir à une décision identique ou proche de celle de première instance mais autrement motivée, sans parler de l'impossibilité de tourner la page dans un litige définitivement tranché. C'est également attendre plus longtemps encore le paiement de sommes quand celles-ci sont bien dues.
Faut-il alors s'en prendre aux conseillers prudhommaux voire à cette juridiction et s'interroger sur son maintien dans de telles conditions ? La réponse est certainement négative. Car les juges des tribunaux d'instance qui se rendent dans les conseils de prud'hommes lorsque les conseillers n'arrivent pas à se mettre d'accord (soit parce que deux sont pour une solution et deux pour une autre, soit parce qu'ils n'arrivent pas à trouver la solution juridiquement adéquate) constatent aussi que la plupart de ces professionnels ont une forte envie de bien faire, souhaiteraient mieux connaître le droit du travail et rendre des décisions mieux motivées, sans parler des délais parfois très longs avant qu'ils rendent leur décision et qu'il sont les premiers à regretter. Autrement dit il y a chez de nombreux conseillers prud'hommes beaucoup de bonne volonté et une envie de bien faire mais qui se heurtent vite aux limites de l'exercice.
Dès lors, puisqu'il s'agit d'une juridiction manifestement utile dans son principe, il faudrait donner à ces professionnels qui, ne l'oublions pas, exercent cette activité à côté de celle de leur entreprise, nettement plus de temps pour appréhender la matière juridique vaste et complexe qu'est le droit du travail, et notamment sa jurisprudence en permanente évolution, car tout ceci prend beaucoup de temps.
Il faudrait aussi, parce qu'une fois élus ils vont devoir rédiger tout de suite des décisions judiciaires, travail pour lequel ils ne sont pas préparés, qu'ils bénéficient d'une formation spécifique et ensuite, là encore, qu'ils disposent du temps nécessaire pour motiver leurs jugements en prenant en compte que là où un juge professionnel consacre tel nombre d'heures il leur en faut au moins deux fois plus.
Par ailleurs, surtout dans les petites villes, ils ont besoin d'une documentation plus étoffée que celle qui est mise à leur disposition, sachant que cette documentation doit être également disponible chez eux où ils effectuent une partie du travail de rédaction.
Enfin, si l'on veut pourvoir exiger d'eux des prestations de plus grande qualité, il est impératif que leur rémunération soit à la hauteur des difficultés qu'ils rencontrent, des efforts qu'ils font en conséquence, et surtout qu'ils puissent disposer d'un temps rémunéré suffisant pour produire des décisions de qualité minimale.
Aujourd'hui nous sommes loin du compte....
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En 2006 sur 156.000 affaires traitées 82.000 se sont terminées par un jugement