Quand la justice dysfonctionne
Par Michel Huyette
Les magistrats ne peuvent pas sans une certaine contradiction revendiquer plus d'estime quand, en même temps, ils sont eux-mêmes à l'origine d'une justice de piètre qualité.
Prenons un exemple concret.
Un homme s'étant montré quelque peu agressif verbalement à l'occasion d'une rencontre avec des policiers municipaux est placé en garde à vue. A l'issue de celle-ci, en fonction des informations transmises téléphoniquement par la police, la décision est prise par le procureur de la République de le renvoyer devant le tribunal correctionnel pour trois infractions : outrage contre deux membres de la police municipale, et menace de mort contre l'un d'eux.
L'examen du dossier fait pourtant apparaître deux choses étonnantes. D'abord, alors que le procureur a retenu deux outrages, contre deux personnes différentes, on ne trouve dans le dossier qu'une seule plainte d'un seul policier municipal. Et il n'existe aucune trace d'un second outrage, personne n'y faisant même la moindre allusion. Ensuite, il faut savoir que pour qu'une menace verbale de mort soit sanctionnable, il faut qu'elle soit réitérée, c'est à dire que la victime ait été menacée verbalement deux fois de suite au moins. Or le dossier montre que le prévenu n'a prononcé qu'une seule fois des menaces. Cette seconde infraction ne pouvait donc pas être poursuivie.
En son absence le tribunal correctionnel a déclaré ce prévenu coupable des trois infractions et lui a infligé une sanction. Le condamné a fait appel. La cour d'appel l'a finalement relaxé de la poursuite pour menaces verbales, n'a retenu qu'un seul outrage, puis a prononcé une peine.
Cela appelle quelques observations.
L'examen de cette affaire montre que la police a totalement bâclé son dossier et, sans les vérifications les plus élémentaires, a conclu au final à l'existence de trois infractions alors que les documents joints au rapport de synthèse et rédigés par les mêmes policiers montraient qu'il n'en était rien. A la décharge des policiers on retiendra la pression extrêmement forte qui est actuellement exercée sur eux, comme jamais auparavant, pour qu'ils bouclent un maximum de dossiers en un minimum de temps et que ceux-ci rentrent dans la catégorie des affaires élucidées. Cela permet accessoirement à certains services d'enquête d'avoir des statistiques flatteuses. Ceci dit, il ne vous aura sans doute pas échappé que lorsque le ministère de l'intérieur présente les statistiques de la police et de la gendarmerie, si les chiffres sont abondamment cités, il n'y a jamais aucune analyse en terme de qualité du travail. Or les dossiers mal ficelés sont particulièrement nombreux de nos jours.
Il montre ensuite que dans de multiples dossiers le Parquet (le procureur de la République et ses substituts) n'exerce aucun contrôle réel sur les informations transmises téléphoniquement par la police. Concrètement, dans notre affaire le policier qui a rédigé le rapport final truffé d'erreurs a fait un compte rendu oral au substitut de permanence, a affirmé l'existence de trois infractions, et le substitut, sans aucune autre vérification et sans avoir eu connaissance de la procédure écrite, lui a donné comme consigne de remettre à l'individu une convocation devant le tribunal mentionnant trois infractions. A la décharge du procureur, on retiendra la charge de travail et la réelle impossibilité en terme de temps disponible de contrôler la totalité des procédures de police et de gendarmerie.
Ce qui est plus troublant encore, c'est que le tribunal correctionnel, dont on peut espérer qu'il ait lu le dossier, n'a rien trouvé à redire et a délibérément condamné la personne poursuivie pour des infractions qui n'ont jamais existé. Les juges ont-il pensé que puisque le prévenu n'était pas là c'était tant pis pour lui ? Pourtant il n'est pas interdit de considérer que le travail d'un juge c'est d'abord de vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies, et que l'application de la règle ne doit pas dépendre de la présence ou de l'absence de la personne poursuivie...
Devant la cour d'appel un autre comportement a retenu l'attention. En présence cette fois-ci du prévenu et de son avocat, après que le débat ait porté sur l'existence ou non des trois infractions poursuivies et que l'étude du dossier ait montré ses lacunes, l'avocat général a prononcé en audience publique cette phrase étonnante : « dans ce genre de dossier il n'est peut-être pas forcément nécessaire de rentrer dans les détails » avant de conclure à la confirmation du jugement. Autrement dit, condamnons même si certaines infractions ne sont pas caractérisées...
La cour d'appel a quand même finalement prononcé la décision précitée.
Cet empilement de dysfonctionnements successifs (erreur de la police, absence de contrôle du dossier par le Parquet, absence de regard critique sur le dossier par le tribunal, réquisitions en appel tendant à retenir des infractions peu importe si elles sont ou non constituées..) laisse perplexe, et le mot est faible. Il est tout simplement inadmissible.
Mais on ne parle déjà plus de justice....