Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Guide de la protection judiciaire de l'enfant

Le "Guide de la protection judiciaire de l'enfant" est en téléchargement libre.

Pour l'obtenir cliquez ici.

Paroles de juges sur Facebook

Sur Facebook, les articles, et d'autres choses en plus.

C'est ici.

Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette



  Les magistrats ne peuvent pas sans une certaine contradiction revendiquer plus d'estime quand, en même temps, ils sont eux-mêmes à l'origine d'une justice de piètre qualité.


   Prenons un exemple concret.


   Un homme s'étant montré quelque peu agressif verbalement à l'occasion d'une rencontre avec des policiers municipaux est placé en garde à vue. A l'issue de celle-ci, en fonction des informations transmises téléphoniquement par la police, la décision est prise par le procureur de la République de le renvoyer devant le tribunal correctionnel pour trois infractions : outrage contre deux membres de la police municipale, et menace de mort contre l'un d'eux.


   L'examen du dossier fait pourtant apparaître deux choses étonnantes. D'abord, alors que le procureur a retenu deux outrages, contre deux personnes différentes, on ne trouve dans le dossier qu'une seule plainte d'un seul policier municipal. Et il n'existe aucune trace d'un second outrage, personne n'y faisant même la moindre allusion. Ensuite, il faut savoir que pour qu'une menace verbale de mort soit sanctionnable, il faut qu'elle soit réitérée, c'est à dire que la victime ait été menacée verbalement deux fois de suite au moins. Or le dossier montre que le prévenu n'a prononcé qu'une seule fois des menaces. Cette seconde infraction ne pouvait donc pas être poursuivie.


   En son absence le tribunal correctionnel a déclaré ce prévenu coupable des trois infractions et lui a infligé une sanction. Le condamné a fait appel. La cour d'appel l'a finalement relaxé de la poursuite pour menaces verbales, n'a retenu qu'un seul outrage, puis a prononcé une peine.


   Cela appelle quelques observations.


   L'examen de cette affaire montre que la police a totalement bâclé son dossier et, sans les vérifications les plus élémentaires, a conclu au final à l'existence de trois infractions alors que les documents joints au rapport de synthèse et rédigés par les mêmes policiers montraient qu'il n'en était rien. A la décharge des policiers on retiendra la pression extrêmement forte qui est actuellement exercée sur eux, comme jamais auparavant, pour qu'ils bouclent un maximum de dossiers en un minimum de temps et que ceux-ci rentrent dans la catégorie des affaires élucidées. Cela permet accessoirement à certains services d'enquête d'avoir des statistiques flatteuses. Ceci dit, il ne vous aura sans doute pas échappé que lorsque le ministère de l'intérieur présente les statistiques de la police et de la gendarmerie, si les chiffres sont abondamment cités, il n'y a jamais aucune analyse en terme de qualité du travail. Or les dossiers mal ficelés sont particulièrement nombreux de nos jours.


   Il montre ensuite que dans de multiples dossiers le Parquet (le procureur de la République et ses substituts) n'exerce aucun contrôle réel sur les informations transmises téléphoniquement par la police. Concrètement, dans notre affaire le policier qui a rédigé le rapport final truffé d'erreurs a fait un compte rendu oral au substitut de permanence, a affirmé l'existence de trois infractions, et le substitut, sans aucune autre vérification et sans avoir eu connaissance de la procédure écrite, lui a donné comme consigne de remettre à l'individu une convocation devant le tribunal mentionnant trois infractions. A la décharge du procureur, on retiendra la charge de travail et la réelle impossibilité en terme de temps disponible de contrôler la totalité des procédures de police et de gendarmerie.


   Ce qui est plus troublant encore, c'est que le tribunal correctionnel, dont on peut espérer qu'il ait lu le dossier, n'a rien trouvé à redire et a délibérément condamné la personne poursuivie pour des infractions qui n'ont jamais existé. Les juges ont-il pensé que puisque le prévenu n'était pas là c'était tant pis pour lui ? Pourtant il n'est pas interdit de considérer que le travail d'un juge c'est d'abord de vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies, et que l'application de la règle ne doit pas dépendre de la présence ou de l'absence de la personne poursuivie...


   Devant la cour d'appel un autre comportement a retenu l'attention. En présence cette fois-ci du prévenu et de son avocat, après que le débat ait porté sur l'existence ou non des trois infractions poursuivies et que l'étude du dossier ait montré ses lacunes, l'avocat général a prononcé en audience publique cette phrase étonnante : « dans ce genre de dossier il n'est peut-être pas forcément nécessaire de rentrer dans les détails » avant de conclure à la confirmation du jugement. Autrement dit, condamnons même si certaines infractions ne sont pas caractérisées...


   La cour d'appel a quand même finalement prononcé la décision précitée.


   Cet empilement de dysfonctionnements successifs (erreur de la police, absence de contrôle du dossier par le Parquet, absence de regard critique sur le dossier par le tribunal, réquisitions en appel tendant à retenir des infractions peu importe si elles sont ou non constituées..) laisse perplexe, et le mot est faible. Il est tout simplement inadmissible.


   Mais on ne parle déjà plus de justice....


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
Jusiticiable et citoyenne, ma réflexion porte depuis longtemps, non pas sur l'innaceptabilité sociale du dysfonctionnement de la justice mais sur l'incapacité de ce même systéme à corriger cette distorsion.Je n'arrive toujours à comprendre pourquoi un magistrat, en vertu de la liberté que sa postiion génére, ne peut rétablir toute procédure qui apparait au delà des principes de bon fonctionnement. de la justice????Je constate que les embouteillages de nombre de juridictions le sont aussi de ce fait.La forme semble de plus en plus primée sur le fond, obligeant le justiciable à multiplier les procédures, soit d'Appel, soit de 1er instance..
Répondre
B
Parfaitement construit et bien analysé, votre raisonnement conduit à être pleinement en accord avec vous. Ces dysfonctionnements sont trop nombreux et deviennent outre inadmissibles de la part des magistrats  insuportables pour le citoyen. C'est le noeud de la défiance de la société envers la justice. La qualité du travail et du sérieux professionnel des hommes et des femmes qui rendent la justice repose sur la compétence de ses ressources humaines. Or  sans devoir généraliser, l'incomépténce ou la négligence de certains magistrats aboutit à la critique profonde de toute l'institution judiciaire.La violence de leur décision ne peut emporter de l'indulgence envers les magistrats, même si dans cette affaire, il s'agit certainement et sans aucun doute d'une coquille. Mais elle est à la fois inaceptable mais aussi impardonnable.
Répondre
R
Je trouve que l'attitude du policier ou du substitut est discutable, mais compréhensible compte tenu de leur compétence limitée en tant que juriste (pour les policiers) et/ou des conditions dans lesquelles ils interviennent - TTR, etc. (pour les deux).En revanche, c'est l'attitude des juges correctionnels et de l'avocat général qui me choquent. Leur décision/vision relève d'un certain mépris du droit. Ils ont toutes les cartes en main. Qu'est ce que cela coûte au magistrat d'ouvrir son code vite fait (d'autant qu'il s'agit d'infractions hyper courantes) et de parcourir attentivement le PV? Par ailleurs, ce qui est assez inquiétant est que cette manière de voir les choses ("on est pas là pour faire des subtilités juridiques") semble assez courante au TC, que ce soit en matière de preuve, de respect des règles de la procédure pénale ou pour la qualification des faits.
Répondre
E
Ah, je n'ai pas prétendu être satisfait de la situation ...Et je suis même d'accord avec vous quant à la part de responsabilité incombant à chacun dans cette affaire.Mais peut-on accepter d'être parquetier (ou policier) sans accepter de se soumettre aux directives de sa hiérarchie ?Le TTR faisant partie des modes de fonctionnement imposés par la Chancellerie (production de chiffres à l'appui exigée), je crains que l'on ne puisse aujourd'hui exercer au Parquet et s'y soustraire.Je ne prétends pas que ce soit le meilleur système de traitement des procédures, c'est simplement celui qui est en vigueur dans tous les tribunaux (de façon plus ou moins organisée et performante).Je l'avoue donc sans honte : si j'avais été le substitut chargé de traiter cet appel, j'aurais sans doute pris le temps de me faire exposer l'affaire en détail, quitte à me faire faxer les PV nécessaires si j'avais senti un "flou" dans l'exposé, histoire d'éviter au maximum d'encombrer le Tribunal de procédures bancales ; mais je n'aurais certainement pas demandé qu'on m'envoie le dossier pour étude avant décision.Avec tout le respect pour les collègues procédant autrement !
Répondre
E
Cher MH,Je comprends tout à fait vos arguments, mais je rejoins l'opinion de Jean M : dans un monde idéal, avec une justice et une police riches des moyens humains et matériels adéquats,- le policier aurait pris le temps d'ouvrir son code pénal, de vérifier la procédure (notamment sur la réitération des menaces), aurait peut-être même réalisé ce faisant que le troisième fait était parfaitement qualifiable d'outrage, même sans réitération ;- il aurait pris le temps de faire un compte-rendu raisonnable et serein au parquetier ;- lequel, dans le même objectif de sérénité, aurait demandé au policier de lui expédier la procédure avant toute décision au fond ;- le parquetier, recevant le dossier, aurait sereinement donné aux faits la qualification qu'ils méritent, et renvoyé le cas échéant l'intéressé devant le Tribunal correctionnel, qui aurait ainsi pu rendre, dès l'origine, un jugement correct.Las, vous n'êtes pas sans imaginer que si les protagonistes avaient adopté ce modus operandi dans la réalité :- le policier se serait fait sévèrement tancer par sa hiérarchie pour le temps passé à fignoler une seule affaire (fait unique = bâtonnet unique dans les jolies statistiques commandées au commissariat local par le Ministère de l'intérieur) ;- le parquetier se serait fait convoquer par son Procureur, qui lui aurait tatoué sur le front les trois lettres sacrées de TTR (Traitement des procédures en Temps Réel), pour lui rappeler les exigences de la Chancellerie en la matière. Car il faut bien reconnaître qu'un pôle TTR qui se ferait transmettre toutes les procédures pour étude avant décision n'aurait plus grand sens ... Or, la Chancellerie demande aux Procureurs des comptes serrés quant à leurs performances : plus de procédures traitées plus vite.Et tous auraient juré, un peu tard, qu'on ne les y reprendrait plus ...Un point néanmoins sur lequel, en tant qu'ex-parquetier et actuel président de Tribunal correctionnel, je vous rejoins entièrement, et qui constitue à mon sens le véritable foyer d'injustice dans le cas que vous décrivez : la décision du Tribunal correctionnel qui lui, même si les audiences sont toujours plus chargées, plus tardives, plus compliquées, doit prendre le temps d'examiner attentivement la procédure avant de condamner qui que ce soit de quelque chef que ce soit. Même un affreux récidiviste, même pour une toute petite infraction.
Répondre
P
<br /> Oui mais...<br /> ce qui me gêne dans votre raisonnnement, c'est qu'il donne le sentiment qu'aucune évolution n'est possible, que les magistrats sont "condamnés" à continuer à faire du travail parfois de piètre<br /> qualité non de leur fait mais à cause des conditions temps/moyens dans lesquelles il travaille.<br /> Et c'est là que nos analysent se séparent. Car je crois qu'il y a des moments où il faut savoir dit "non", ou en tout cas moduler les pratiques. Autrement dit, quand alimente un système qui<br /> dysfonctionne, je pense que l'on a une part de responsabilité, même avec des "excuses".<br /> A suivre......<br /> <br /> <br />
J
 <br /> Oui, c’est certain.<br /> <br /> Mais vous savez comme moi que notre justice pénale est (depuis de nombreuses années) face à un enjeu majeur : absorber un contentieux exponentiel et le traiter de préférence en un minimum de temps avec les mêmes moyens. Célérité qui est d’ailleurs une volonté forte de nos concitoyens. Pour y parvenir, ont été développés un certain nombre d’outils (TTR, alternatives, juge unique) peu satisfaisants en termes qualitatifs mais assez efficaces.<br /> <br /> Je dis simplement que cette volonté politique a des revers dont le dossier en question est un exemple ; et qu’il s’agit donc moins d’un dysfonctionnement que d’une conséquence (certes néfaste) du choix qui a été fait depuis quelques années.<br /> <br /> Je suis d’accord sur le constat mais simplement moins sévère que vous, les magistrats ne me paraissant pas les seuls à l’origine de cette “justice de piètre qualité” que vous décrivez.
Répondre
P
<br /> Je comprends bien votre raisonnement, mais je pense simplement que les magistrats ne pourront être réellement exigeants vis à vis des commentaire qui leur sont adressés et plus largement du regard<br /> que l'on porte sur eux que le jour où ils seront réellement exigeant avec eux-mêmes. Mais il est tout aussi certain qu'en juridiction il est extrêmement difficile de lutter contre la masse de<br /> travail, les habitudes, les pressions de toutes sortes...<br /> MH<br /> <br /> <br />
J
 <br /> Je suis d’accord sur l’essentiel.<br /> <br /> Mais peut on réellement dire qu’il y a eu dans cette affaire un“empilement de dysfonctionnements successifs”.<br /> <br /> Outre le fait que l’emploi excessif de ce mot, notamment dans le domaine du fonctionnement de la justice, m’agace, les choses me semblent un peu plus compliquées.<br /> <br /> S’il est vrai qu’il y a erreur à partir de la condamnation de première instance (et encore les contraintes connues auxquelles font face les tribunaux de première instance peuvent expliquer cette situation), l’ensemble du processus présentenciel correspond à la volonté politique de ces dernières années:<br /> <br /> 1 Le traitement du dossier par les policiers correspond effectivement au rythme de travail qui leur est imposé mais correspond également à la baisse global du niveau de formation des enquêteurs (dès le concour d’entré d’ailleurs) et au désintérêt assumé pour le judiciaire des forces de police et de gendarmerie.<br /> <br /> 2 La décision du magistrat du parquet est le fruit de la volonté globale d’une justice rapide qui a conduit à la mise en place du Traitement en Temps Réel des procédures et donc à l’absence de véritable contrôle de la procédure par un magistrat.<br /> <br /> S’il est évident que l’exigence de rapidité est incompatible avec une procédure de qualité, on ne peut à mon sens pas parler d’un“empilement de dysfonctionnements successifs” dans la mesure où ce type de dossier est la conséquence d’une volonté politique non dissimulée de traitement rapide des contentieux de masse.<br />
Répondre
P
<br /> Je comprends votre analyse, mais on se heurte à chaque fois à la limite de l'argument : en effet, puisque les intervenants successifs sont tous des être humains aptes à faire des choix, pourquoi<br /> les policiers ne prennent-ils pas plus de temps et refusent-ils des consignent qu'ils savent être excessives, pourquoi les magistrats du Parquet ne refusent-ils pas de renvoyer un individu devant<br /> le tribunal sans avioir lu la procédure écrite (certains Parquet font ainsi dorénavant) etc. Chaque professionnel, quel que soit son poste et les contraintes que l'on exerce sur lui, peut quand<br /> même parfois dire "non". Vous ne croyez pas ?<br /> <br /> <br />