L'extension de la déchéance de la nationalité française à une nouvelle catégorie de bi-nationaux
cet article a été publié pour la première fois le 31 mars 2016, puis mis à jour le 16 juillet 2016
Depuis quelques semaines, un vif débat est engagé autour de la déchéance de la nationalité française. Il fait suite à une succession d'attentats terroristes meurtriers commis depuis plus d'une année sur le territoire national, et a été initié par l'actuel gouvernement.
Les opinions publiquement émises sont souvent très tranchées. Toutefois, si tous les avis sont recevables, car en ce domaine comme dans bien d'autres il n'existe aucune vérité absolue, ce que l'on peut regretter, une fois de plus, c'est l'absence dans ce débat d'un certain nombre d'arguments permettant une approche plus sereine de la problématique.
Il faut d'abord, logiquement, commencer par le cadre juridique actuel. Ce qui permet de se rendre compte, déjà, que des erreurs sont parfois commises par des commentateurs.
Il existe plusieurs façons d'obtenir la nationalité française.
On distingue deux groupes : Ceux qui sont français d'origine, c'est à dire dès la naissance, dont certains bi-nationaux, et ceux qui ont une première nationalité mais peuvent acquérir ensuite, en plus, la nationalité française, qui constituent d'autres sortes de bi-nationaux.
Les français d'origine :
- Sont d'abord et surtout français, dès leur naissance, les enfants dont l'un au moins des parents est français. Ils ne sont pas concernés par notre débat.
Il est toutefois intéressant de noter que si un seul des parents est français, l'enfant qui n'est pas né en France a la faculté de répudier la qualité de français dans les six mois précédant sa majorité et dans les douze mois la suivant.
Déjà, cela veut dire que l'acquisition de cette nationalité et sa persistance dans le temps sont liées à une volonté, au moins implicitement exprimée, de conserver la nationalité française. (art. 18 et 19 du code civil, textes ici). En cas de répudiation de la nationalité française l'enfant a la nationalité de son autre parent.
- Sont français, dès leur naissance, les enfants nés en France de parents inconnus, de parents apatrides, de parents étrangers qui ne peuvent pas lui transmettre leur nationalité. (art. 19 à 19-2 du code civil, textes ici). Ils ne sont pas non plus concernés par notre débat.
- Sont français dès la naissance les enfants nés en France de parents étrangers lorsque l'un au moins de ces parents y est lui-même né.
Toutefois si un seul des parents est né en France, l'enfant a la faculté de répudier cette qualité dans les six mois précédant sa majorité et dans les douze mois la suivant. Mais cette faculté de répudiation se perd si l'un des parents acquiert la nationalité française durant la minorité de l'enfant. (articles 19-3 et 19-4 du code civil, textes ici). Ce sont ceux-là qui nous intéressent.
Ceux qui deviennent français par acquisition de la nationalité :
- Devient français l'étranger qui se marie avec un(e) français(e).
L'étranger doit attendre quatre ans à compter du mariage pour présenter sa demande. Il doit justifier que la communauté de vie tant affective que matérielle n'a pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français a conservé sa nationalité.
Le conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française.
Le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat, pour indignité ou défaut d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai de deux ans à compter de la date de réception de la demande. (art. 21-1 à 21-6 du code civil, textes ici).
- Deviennent français, à la majorité, les enfants nés de de parents étrangers si, à cette date, ils ont en France leur résidence et s'ils ont eu leur résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans.
L'intéressé a la faculté de déclarer, sous réserve qu'il prouve qu'il a la nationalité d'un Etat étranger, qu'il décline la qualité de Français dans les six mois qui précèdent sa majorité ou dans les douze mois qui la suivent. Dans ce cas, il est réputé n'avoir jamais été français.
Il peut aussi, à partir de l'âge de seize ans, réclamer la nationalité française par déclaration si, au moment de sa déclaration, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans.
Dans les mêmes conditions, la nationalité française peut être réclamée, au nom de l'enfant mineur né en France de parents étrangers, à partir de l'âge de treize ans, la condition de résidence habituelle en France devant alors être remplie à partir de l'âge de huit ans. Le consentement du mineur est requis, sauf s'il en'est pas en mesure d'exprimer sa volonté. (art. 21-7 à 21-11 du code civil, textes ici)
- Peuvent aussi obtenir la nationalité française tout étranger engagé dans les armées françaises qui a été blessé en mission au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel et qui en fait la demande, et ceux qui sont naturalisées français (art. 2161461 à 21-25-1 du code civil, textes ici)
Une condamnation pénale est parfois un obstacle à l'acquisition de la nationalité française. Plus précisément, nul ne peut acquérir la nationalité française s'il a été l'objet soit d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l'infraction considérée, s'il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis. (art. 21-27 du code civil, texte ici)
Il est tout aussi intéressant de noter que la personne majeure de nationalité française, résidant habituellement à l'étranger, qui acquiert volontairement une nationalité étrangère, perd la nationalité française si elle le déclare expressément. (art 23 du code civil, texte ici).
Ce qui précède montre que, même en dehors de la déchéance, il existe plusieurs cas de perte de la nationalité française. Dont la demande des intéressés eux-mêmes. Cela pose clairement le principe que l'acquisition de la nationalité française n'est pas quelque chose d'irrévocable.
Venons-en maintenant plus précisément à la déchéance.
En droit, l'individu qui a acquis la qualité de Français peut être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ; (il s'agit des atteintes à l'administration publique)
3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. (art 25 du code civil, texte ici)
La déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.
Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits. (art 25-1 du code civil, texte ici)
Résumons-nous pour que les choses soient le plus clair possible :
- Il existe 2 catégories de français, ceux qui le sont dès la naissance (on parle de français "d'origine") et ceux qui le deviennent par "acquisition" de la nationalité.
Ceux de la première catégorie sont français dès le jour de la naissance. Les autres le sont au moment où se produit l'évènement qui leur octroie cette nationalité. Ils ont donc d'abord une autre nationalité, puis obtiennent ensuite, en plus, la nationalité française. Parmi ceux-ci figurent les enfants nés en France de parents étrangers dont aucun n'est né en France.
- Il est inexact de dire que tout enfant né en France est français dès sa naissance.
- Parmi les bi-nationaux, certains peuvent déjà, et parmi eux des enfants nés en France, faire l'objet d'une déchéance de la nationalité. Il s'agit de ceux qui ont acquis la nationalité française en second.
Il est inexact de dire que le projet en cours de débat créée la déchéance pour les bi-nationaux. Il s'agit seulement d'étendre la déchéance à une ou plusieurs nouvelles catégories de bi-nationaux.
Il est inexact de dire que la réforme va créer plusieurs catégories de bi-nationaux, ceux qui peuvent être déchus et les autres et que cela est inacceptable, parce que c'est déjà le cas.
Il est troublant d'entendre des commentateurs critiques dire qu'il est inacceptable d'étendre la déchéance de la nationalité alors qu'il ne contestent pas la mise en oeuvre et ne demandent pas l'abrogation de la loi actuelle prévoyant déjà la déchéance pour certains bi-nationaux.
Le projet d'extension de la déchéance ne peut concrètement concerner, parmi les enfants français "d'origine", que les enfants nés en France de parents étrangers dont au moins un des deux est né en France.
Parmi ces enfants nés en France, ceux dont un seul des parents est né en France peuvent à leur majorité renoncer à la nationalité française.
C'est, dans le sens de notre débat, une sorte de déchéance de cette nationalité qu'ils s'imposent à eux-mêmes.
Cela montre qu'il est considéré comme parfaitement normal qu'une personne, d'abord étrangère, qui acquiert ensuite la nationalité française, perde postérieurement cette nationalité.
Surtout, pourquoi serait-il acceptable que le bi-national perde sa nationalité française à sa demande, et inacceptable que la même chose se produise sur décision de l'autorité publique ?
Autrement dit, soit cette perte de la bi-nationalité est par principe inenvisageable, et elle n'est autorisée dans aucun cas. Soit elle est tout à fait acceptable, et elle peut l'être dans plusieurs hypothèses au résultat identique.
Venons en à l'étape suivante de notre analyse.
La déchéance est principalement prévue pour les auteurs d'actes de terrorisme.
Dans le dictionnaire Larousse, la définition du terrorisme est la suivante :
"Ensemble d'actes de violence (attentats, prises d'otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système." (cf. ici)
Le terroriste, par définition, attaque un Etat. Quand des terroristes tuent à l'aveugle des dizaines de personnes dans une salle de spectacle, ils ne les tuent pas à cause de leur identité. Ils tuent en masse des membres d'une communauté nationale pour manifester ainsi leur haine contre cette communauté et contre le pays qu'ils veulent prendre pour cible.
Le terroriste qui s'en prend à un pays particulier manifeste donc lui-même, dans toute son ampleur, le refus de faire partie de ce pays qui est l'ennemi à abattre.
L'acte de terrorisme est donc, par définition, incompatible avec l'appartenance au pays dont la destruction est souhaitée et dont les membres son assassinés.
Qu'y a-t-il dès lors de choquant à ce que le terroriste qui dispose de la bi-nationalité, mais qui veut la destruction du pays dont il a obtenu la nationalité, ne puisse pas conserver la nationalité de ce pays qu'il attaque puisqu'il manifeste lui-même son refus de faire plus longtemps partie de la même communauté ?
Autrement dit, l'acte de terrorisme met le terroriste en dehors de la communauté qu'il attaque et veut détruire.
La déchéance de la nationalité n'est alors que le constat de cette situation.
Résumons nous encore une fois :
- Certains bi-nationaux dès la naissance peuvent décider eux-mêmes de perdre la nationalité française. Cela signifie que la perte de la nationalité n'a rien d'aberrant en soi même pour certains français de naissance.
- Un terroriste qui exprime sa haine contre une communauté qu'il veut détruire se met lui-même en dehors de cette communauté. La perte de la bi-nationalité n'est que la prise d'acte de son choix.
Quelques dernières remarques s'imposent.
Certaines réflexions ont été lancées dans le débat sans toujours de pertinence.
Pour s'opposer à la réforme, il a été mis en avant qu'elle ne serait en rien un frein au terrorisme. L'argument est exact mais inopérant.
Exact parce qu'il est évident que c'est certainement la dernière préoccupation des terroristes bi-nationaux. Au premier rang desquels ceux qui se font volontairement exploser au moment de leur acte.
Inopérant parce que ce n'est pas du tout l'objectif d'une telle réforme.
Il a été avancé également qu'une telle réforme n'est qu'un stratagème politique non dénué d'arrières pensées.
Mais à supposer que cela soit exact, ce qui est possible, l'argument est inopérant car une réforme est ou n'est pas en elle-même acceptable. Et cela indépendamment des raisons d'être de son lancement. Autrement dit si un politique de n'importe quel bord affirme avec bien des arrières-pensées que deux plus deux font quatre, il a quand même raison.
L'argument sur l'urgence à réformer est plus pertinent.
Si la réforme est adoptée elle ne concernera que quelques très rares terroristes. Il faut d'abord écarter ceux qui sont tués lors des attentats et ceux qui ne sont pas identifiés. Et parmi les rares qui sont arrêtés, jugés et condamnés, une infime minorité est bi-nationale.
Cela incite à considérer qu'une telle réforme est plus un symbole qu'un instrument indispensable pour gérer de nombreuses situations.
Et dès lors qu'elle peut difficilement être considérée comme une véritable priorité.
Au final il est possible de suggérer que :
- L'extension de la déchéance de la nationalité française à une nouvelle catégorie de bi-nationaux est acceptable dans son principe.
- Une telle réforme, essentiellement symbolique, n'est ni urgente ni même indispensable.
Ajoutons que la CEDH (son site) a elle aussi admis, sous conditions, le principe de la déchéance de nationalité (lire ici)
lire ici)