La nuit commencera (bibliographie)
Ceux qui s'intéressent à la cour d'assises, et notamment les medias, ont souvent leur attention focalisée sur l'accusé, les faits qui lui sont reprochés et sa personnalité. Parfois aussi sur la partie civile, notamment dans les affaires de viol ou de vol avec arme puisque les victimes sont encore vivantes à la différence des affaires d'homicides. De temps en temps sur le représentant du ministère public ou sur un avocat.
Pourtant nombreux sont les autres acteurs impliqués dans le procès. Au premier rang desquels les proches de l'accusé. Dont on ne parle pas assez.
Les parents, les enfants, les conjoints, les amis des accusés sont souvent appelés à témoigner. Quelques fois sur l'infraction poursuivie. Mais la plupart du temps sur la personnalité de l'accusé. Et quand cet accusé a reconnu les faits, quand il admet avoir commis un crime, par hypothèse très grave, tous ces gens sont dans une situation particulièrement difficile.
Ils ont forcément conscience du crime qui a été commis, mais ils sont appelés pour parler d'une personne pour qui ils ont de l'affection, et bien plus encore quand il s'agit des conjoints ou des parents.
Les voici alors totalement tiraillés entre des sentiments contradictoires. Révoltés parfois par le crime commis, comprenant et partageant la douleur de la victime, ils souffrent en même temps de voir celui qu'ils aiment dans une situation le menant inéluctablement à un long ou très long enfermement. Dès lors à une vive douleur qui entraîne la leur. Quand bien même la peine est justifiée, ce qu'ils ne peuvent pas affectivement prendre en compte.
Les éditions Buchet-Chastel (leur site) ont publié il y a quelques mois un magnifique livre écrit par l'avocat Thierry Illouz et intitulé : "La nuit commencera" (cf. ici)
Tout au long du livre, c'est la mère (imaginaire) d'un jeune homme qui en a tué un autre qui s'exprime.
Dans un style parfaitement adapté, sensible sans aucune exagération, Thierry Illouz nous fait cheminer à côté de cette mère, anéantie par l'acte commis par son fils, perdue dans la procédure judiciaire, désespérée dans ce que la vie lui impose.
Comme l'écrit l'auteur pour résumer la situation de cette mère :
"Elle est enfermée, condamnée, une condamnée invisible, d'une prison invisible, d'une prison dans sa tête et dans son corps, réduite à l'infamie de la prison, réduite à la torture de la prison." (P. 49)
Alors on la suit dans la salle d'audience, dans la rue, dans la boutique où elle travaille, dans ces endroits où elle sait le regard et l'opinion des autres. Ainsi qu'à la prison. Et jusque chez elle.
On partage ses interrogations, ses souffrances, et, aussi, sa culpabilité. Cette culpabilité, déclenchée par l'acte de son fils, qui la conduit chez la juge d'instruction qui a traité le dossier transmis à la cour d'assises, et à qui elle veut expliquer que c'est elle la mère la principale coupable, comme si elle allait pouvoir prendre la place de son fils dans la prison.
Le livre se termine par quelques pages sur l'avocat qui a défendu le fils.
Ce qui fait écrire à T. Illouz à propos du rôle du défenseur :
"Mais c'est précisément mon métier, défendre des coupables, c'est le sens de mon travail, ce sont eux qu'il faut défendre, qui d'autre ? Ce qui est impossible vraiment, ce qui est insupportable c'est de défendre les innocents, les innocents n'ont pas besoin d'être défendus, ils ont besoin que l'on voie leur innocence, qu'on la reconnaisse. C'est une terreur les innocents, l'erreur est une terreur en matière de justice. La défense des coupables, elle, est un devoir, une nécessité, une obligation morale, parce qu'ils ont besoin d'être secourus, ils ont besoin d'une voix qui pleure pour eux." (p. 178).
Que l'on ne s'y trompe pas. Etre attentif à ce que vivent tous les acteurs du procès, ceux qui sont directement impliqués, auteurs ou victimes, comme ceux qui les entourent, ce n'est pas faire preuve de faiblesse. Ecouter ce n'est pas se laisser influencer. Comprendre ce n'est pas accepter.
Mais il est important de percevoir ce que vivent tous ces gens, de quel côté de la barre qu'ils se trouvent.
Et qui, même si parfois tous les sépare et les oppose, font partie de la même humanité.