Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Guide de la protection judiciaire de l'enfant

Le "Guide de la protection judiciaire de l'enfant" est en téléchargement libre.

Pour l'obtenir cliquez ici.

Paroles de juges sur Facebook

Sur Facebook, les articles, et d'autres choses en plus.

C'est ici.

Publié par Parolesdejuges

 

La justice est un service public. Sa vocation est de répondre aux demandes des citoyens en rendant toutes sortes de décisions susceptibles de réguler les liens entre les uns et les autres, dans tous les domaines du droit.

Pour que ce mécanisme fonctionne, pour que les décisions de justice aient leur plein effet, il faut, au-delà de la solution qu'elles retiennent et imposent, qu'elles soient pleinement et correctement assimilées par les justiciables et au-delà par tout le corps social. 

L'objectif n'est pas que les décisions soient toutes approuvées. Loin de là. Mais il est impératif qu'elles soient parfaitement bien comprises.

D'où un débat récurrent sur la meilleure façon, pour les magistrats, de motiver les décisions qu'ils rendent.

Ceux qui saisissent la justice aujourd'hui et qui en reçoivent une décision ne se rendent probablement pas compte de l'immense chemin déjà parcouru. La motivation actuelle n'a plus rien à voir avec la motivation d'autrefois. Dans la plupart des décisions les "considérant", les phrases sans fin, les mots ou expressions incompréhensibles ont progressivement disparu.

Les magistrats sont en permanence soucieux de produire des décisions qui soient aussi accessibles que possible, quand bien même, dans certains domaines, quelques termes juridiques ne peuvent pas être écartés.

La réflexion sur la motivation des décisions a aussi été engagée à la cour de cassation.

Le premier président de la cour de cassation a très récemment dit ceci à l'occasion de l'ouverture de travaux sur ce sujet :

 

"Notre Cour de cassation plonge ses racines au plus profond de notre Histoire. Elle s’est construite autour de repères longtemps inchangés : un statut de cour suprême donnant sans concurrence l’interprétation de la loi elle-même, seule source de droit ; une approche exclusivement juridique du traitement des pourvois taisant toute considération relative aux incidences économiques et sociales des décisions ; une communication externe limitée à la production d’une jurisprudence très technique à destination d’un public initié dans une société timidement médiatisée, peu critique envers une institution judiciaire entourée d’un respect ancestral et témoignant, en retour, d’une forte réserve à l’égard de toute forme d’expression publique.

En quelques dizaines d’années, l’ensemble de ces repères ont été bouleversés.

L’émergence de cours supranationales, en particulier celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui a donné un périmètre, insoupçonné à l’origine, à sa zone d’influence, affecte en plein cœur l’économie du pourvoi en tant que recours ultime et effectif, en subordonnant les arrêts de la Cour de cassation au regard d’une juridiction qui, révisant profondément les appréciations de fait à partir de quelques principes de droit aux développements toujours plus étendus, exerce un contrôle qui bouscule celui du juge de cassation.

Imprégnée de la force de ses traditions, à l’abri d’une technique de cassation qui a fait sa force et son rayonnement, la Cour a pu croire un temps assimiler sans mal ces évolutions comme elle en a traversé tant d’autres.

Mais la montée en puissance du pouvoir jurisprudentiel, dans son environnement même, du Conseil constitutionnel et de la Cour de Strasbourg, ne peut laisser la Cour de cassation de marbre au risque de se trouver reléguée au rang de cour intermédiaire peu à peu confinée à un contrôle de régularité formelle.

A partir des déclarations des droits, les deux juridictions chargées de leur application, au plan national et européen, ont déduit un corpus toujours plus étendu de normes dont l’enrichissement constant permet de contrôler, avec une marge d’appréciation croissante, l’application de la loi ordinaire.

Face à un tel phénomène, notre Cour, sauf à hypothéquer son existence même, se doit de conceptualiser à son niveau la défense des droits fondamentaux, et ne plus s’y livrer comme à un exercice épisodique, ponctuel ou fortuit.

Le principe de l’autorité relative des arrêts est par ailleurs remis en cause par une communication sociale permettant désormais à tous, par-delà même les parties et les initiés, de connaître, de commenter, d’interroger en temps réel le sens et la portée possible des décisions, dans un contexte de libération complète de l’expression publique sur le fonctionnement de l’institution judiciaire comme sur les comportements réels ou supposés des magistrats.

Le droit, à l’instar de la médecine, n’est plus en effet de ces spécialités qui, dans une culture classique marquée par l’élitisme, restaient l’apanage de quelques-uns, et dont la société était invitée à bénéficier sans être jugée apte à les comprendre.

La reconnaissance au profit de l’individu d’une autonomie croissante dans ses choix de vie et de pensée, qu’il a conquise grâce au développement culturel général, invite au contraire chacun à partager son savoir en le rendant accessible au plus grand nombre.

Le citoyen, plus qu’hier, accepte mal de se voir imposer des solutions juridiques qu’il ne comprend pas. Il importe donc que la justice explique ses décisions.

Lointain est enfin le temps où les structures de la société, les frontières de la communication et les données de la technique offraient une stabilité telle que la justice comme le législateur pouvaient se dispenser de réinterroger sans cesse la pertinence d’une solution au regard des évolutions économiques et sociales.

Alors que le juge, premier garant de l’effectivité des libertés, voit son office s’accroître, il ne peut plus se dispenser d’opérer son choix entre les diverses interprétations possibles du droit sans s’en expliquer en envisageant, au terme d’une approche pluridisciplinaire, l’ensemble des impacts de sa décision. S’il ne le fait lui-même, le citoyen y pourvoit et ne se prive pas de critiquer l’imprévoyance ou l’aveuglement du juge.

En but à ces mutations, la Cour de cassation, habituée aux formules lapidaires du légalisme, est restée, de l’avis de beaucoup de commentateurs, dans le mode de l’affirmation, disant le droit plus qu’elle ne le justifie en expliquant la légitimité des solutions qui en découlent.

La Cour est ainsi logiquement soumise à une demande de motivation plus développée des arrêts et des avis qu’elle rend.

Beaucoup attendent d’elle en particulier qu’elle explicite la part du raisonnement proprement juridique entrant dans la décision et celle des données techniques, économiques et sociales qui l’ont déterminée ; qu’elle enrichisse ses motifs de considérations plus développées sur le contexte, nécessaires à l’appréciation de la proportion ou de la disproportion des effets d’un texte sur une situation intéressant un droit ou une liberté fondamentale.

Face aux appréhensions qu’il peut y avoir à accroître ainsi le rôle de la création prétorienne, à s’affranchir en apparence du principe légaliste que nous a légué notre tradition nationale, il y a là un défi majeur auquel est confrontée notre Cour dont l’autorité et le prestige traditionnels risqueraient, à défaut de s’adapter, d’être supplantés par ceux que d’autres, plus jeunes, ont entrepris de conquérir par eux-mêmes.

Ceci dit, l’assimilation entière du contrôle des droits fondamentaux est un motif nouveau pour la Cour de s’interroger sur la motivation de ses décisions qui, certes, vient donner une justification décisive à notre démarche. Mais, la réflexion que nous entreprenons sur la motivation des arrêts a déjà été appelée dans le passé pour d’autres motifs.

La règle inhérente à la technique de cassation : « répondre au moyen, tout le moyen, rien que le moyen », a été parfois considérée comme trop réductrice au regard de la nécessité de mieux expliquer la solution retenue, dans le but de prévenir les résistances des juges du fond.

On l’a critiquée aussi comme la cause des occasions perdues de prévenir les contentieux en profitant d’un pourvoi pour élargir le périmètre de la réponse juridique de la Cour régulatrice.

Ces questions ne pourront pas rester étrangères à vos travaux. J’attends que leur avancée nous permette vers l’été prochain de les intégrer à ceux qui ont été entrepris par ailleurs depuis un an et avec lesquels ils sont appelés à former un ensemble cohérent et indissociable pour servir de projet de juridiction global à notre Cour de cassation.

Une ultime année 2016-2017 pourrait ainsi être utilisée à l’ajustement des articulations entre tous les travaux intimement liés sur le niveau de contrôle, sur la motivation, sur l’éventuelle sélection des pourvois qui doit être envisagée et préparée en prévision d’un possible apport de contentieux qui résulterait des nouvelles pratiques de contrôle et de motivation, et enfin sur la place de notre parquet général qui est appelé à tenir un rôle pivot dans la réforme globale de la Cour.

C’est dire toute l’importance des réflexions qui s’engagent aujourd’hui, à l’occasion de la mise en place de ce groupe de travail dédié à la motivation (..) ."

 

Mme le professeur Deumier a rédigé un rapport sur cett question, dans lequel elle soulève tous les aspects, nombreux, de cette problématique. Il est disponible également sur le site de la cour de cassation (lire ici)

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article