Les droits des détenus qui travaillent en prison - Une décision du Conseil constitutionnel
Par Michel Huyette
Depuis un long moment, le statut juridique des détenus qui travaillent en prison pour une entreprise extérieure fait débat (cf. not. ici, ici) (1). La problématique peut se résumer de la façon suivante : puisqu'ils exercent une activité qui ressemble à un véritable travail, mais parce qu'ils sont dans un environnement bien particulier, dans quelle mesure peuvent-ils bénéficier des règles ordinaires protectrices des salariés énumérées dans le code du travail ?
L'article 717-3 du code de procédure pénale (texte ici) énonce un principe clair : "Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail." Cela exclut donc d'emblée l'application aux détenus de toutes les règles du code du travail découlant de l'existence d'un contrat de travail au sens de la législation sociale.
Par ailleurs, un article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (texte ici) précise que : "L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue."
L'article 33 de cette même loi prévoit que : "La participation des personnes détenues aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l'établissement d'un acte d'engagement par l'administration pénitentiaire. Cet acte, signé par le chef d'établissement et la personne détenue, énonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération.Il précise notamment les modalités selon lesquelles la personne détenue, dans les conditions adaptées à sa situation et nonobstant l'absence de contrat de travail, bénéficie des dispositions relatives à l'insertion par l'activité économique prévues aux articles L. 5132-1 à L. 5132-17 du code du travail. Dans le cadre de l'application du présent article, le chef d'établissement s'assure que les mesures appropriées sont prises afin de garantir l'égalité de traitement en matière d'accès et de maintien à l'activité professionnelle en faveur des personnes handicapées détenues."
Enfin, s'agissant de la rémunération des détenus qui travaillent, l'article 717-3 précité énonce la règle suivante : "La rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2 du code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées."
Ce texte est complété par l'article D 432-1 du même code qui fixe ainsi les taux applicables : "(..) la rémunération du travail effectué au sein des établissements pénitentiaires par les personnes détenues ne peut être inférieure au taux horaire suivant : 45 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance pour les activités de production ; 33 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance pour le service général, classe I ; 25 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance pour le service général, classe II ; 20 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance pour le service général, classe III. Un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, détermine la répartition des emplois entre les différentes classes en fonction du niveau de qualification qu'exige leur exécution."
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 mars 2013 par la Cour de cassation (décision ici) de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du principe mentionné plus haut et contenu dans l'article 717-3 du code de procédure pénale.
Dans sa décision du 14 juin 2013 (texte intégral ici), le Conseil constitutionnel, a jugé ainsi :
"Considérant que, d'une part, le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ; que, d'autre part, l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ; qu'il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités d'exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne" (..)
"Considérant qu'il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits ; que, toutefois, les dispositions contestées de la première phrase du troisième alinéa de l'article 717-3 du code de procédure pénale, qui se bornent à prévoir que les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail, ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux principes énoncés par le Préambule de 1946 ; qu'elles ne méconnaissent pas davantage le principe d'égalité ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit".
"Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de la première phrase du troisième alinéa de l'article 717-3 du code de procédure pénale doivent être déclarées conformes à la Constitution."
On comprend bien la difficulté de l'exercice. Il est possible de se convaincre que, par exemple, le droit de grève, le droit syndical, le contrôle du chef d'entreprise et son droit de sanction sur les salariés, de même que de nombreuses règles du code du travail, sont manifestement incompatibles avec le régime de détention. Ou que les impératifs de sécurité doivent permettrent au directeur de l'établissement pénitentiaire de suspendre ou de mettre fin à tout moment à l'activité d'un détenu qui se comporte en atelier de façon inacceptable.
Mais en même temps, certains avancent, non sans arguments, que quand un détenu effectue un travail identique à celui d'un salarié ordinaire de l'entreprise qui les emploie, la différence de rémunération est plus délicate à justifier. D'autant plus que la rémunération identique permettrait de mieux indemniser les victimes et préparer la réinsertion en fin de peine.
C'est bien pourquoi l'article D 433 du code de procédure pénale (textes ici) prévoit que "L'organisation, les méthodes et les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre." et que l'article D 434 ajoute que "Les conditions de rémunération et d'emploi des personnes détenues qui travaillent sous le régime de la concession sont fixées par convention conclue entre l'administration pénitentiaire et l'entreprise concessionnaire, en référence aux conditions d'emploi à l'extérieur, en tenant compte des spécificités de la production en milieu carcéral et dans le respect du taux horaire minimal fixé à l'article D. 432-1".
Et de nombreux autres textes précisent les modalités du travail en détention. Citons à titre d'exemple, et s'agissant des horaires, du réglement intérieur type des établissements pénitentiaires qui mentionne que "La durée du travail par jour et par semaine ne peut excéder les horaires pratiqués en milieu libre dans le type d'activité considéré. Les horaires doivent prévoir le temps nécessaire pour le repos, les repas, la promenade et les activités éducatives et de loisirs." (2)
L'objectif de la législation en vigueur est donc de rapprocher autant que possible le statut des détenus qui travaillent de celui des salariés ordinaires, tout en tenant compte des particularités incontournables du régime spécifique de détention et des impératifs de sécurité.
Dans ce qui n'est peut-être qu'une première étape du débat judiciaire autour de cette problématique de l'activité des détenus, le Conseil constitutionnel vient donc d'avaliser le principe de base : les personnes emprisonnées et qui ont une activité professionnelle ne peuvent pas bénéficier d'un contrat de travail.
Le débat, qui pourrait à l'avenir porter sur des points plus précis, n'est donc pas forcément clos....(3)
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1. Le ministère de la justice a publié en 2012 une plaquette intitulée "Le travail en prison, une démarche citoyenne" (document ici)
2. Pour plus de précisions il faut lire le très complet dossier documentaire du Conseil constitutionnel (document ici)
3. Lire not. ici