Le procureur de la République, partial ou impartial
Par Roland Kessous (magistrat honoraire)
A la suite des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de Cassation il est désormais acquis que le Procureur n'est pas un acteur indépendant dans l'action publique en raison de son mode de nomination et du lien qui le rattache au pouvoir exécutif.
Aujourd'hui, certains pensent, au sein même de la magistrature, que les membres du parquet ne peuvent pas avoir la qualité de magistrat parce qu'ils sont parties poursuivantes dans le procès pénal, donc forcément dépourvus d'impartialité.
Si l'indépendance et l'impartialité sont des exigences cardinales pour les magistrats du siège, la notion d'impartialité pour les magistrats du parquet mérite d'être approfondie.
Dans le procès pénal, l'impartialité n'est pas la même pour les différentes parties. Le prévenu et la partie civile sont déliés de cette exigence parce qu'ils défendent des intérêts privés. Le premier soutient qu'il n'a pas commis l'infraction et subsidiairement minimise sa responsabilité. Le second chiffrera au plus haut niveau le montant du préjudice découlant de l'infraction. Le Procureur, partie poursuivante, peut donner l'apparence de ne pas être impartial puisqu'il soutient l'accusation devant les magistrats du siège,. Mais dans cet exercice il n'est pas au service d'un intérêt personnel. Il défend l'intérêt général, la société, en tentant de démontrer que la loi pénale instrument de protection de la collectivité publique a été violée.
Il s'oppose au prévenu dans un débat public et contradictoire en étant soumis à des règles déontologiques particulières telles que l'interdiction de mentir ou de dissimuler des éléments qui pourraient affaiblir l'accusation, exigences qui ne s'imposent ni au prévenu ni à la partie civile. En exerçant des poursuites pénales, dans une démarche de recherche de la vérité, il défend en premier lieu la société sans animosité ou vindicte à l’égard de l’auteur de l’infraction. L’image du Procureur Maillard dans la pièce de Marcel Aymé « la tête des autres » appartient davantage à la littérature qu’à la réalité.
Il dispose en outre d'un pouvoir propre, celui d'apprécier l'opportunité de ne pas exercer l'action publique, quand, poursuivre une personne dans des circonstances particulières, peut engendrer un trouble social plus important que celui qui résulte de la commission de l'infraction.
Il possède enfin des attributions en matière civile et commerciale dont la finalité consiste à protéger les personnes les plus vulnérables et à garantir le respect de la loyauté dans le domaine des affaires.
C'est donc sous l'angle de la totalité de ces attributions que doit être appréciée son impartialité et celle-ci est indissociable des concepts de vérité et de défense de l'intérêt général. Il doit traiter de manière égale toutes les parties et ne pas être soumis à des pressions, de quelque nature qu'elles soient, qui le contraindraient à mettre son office au service d'autres intérêts que celui de l'intérêt public.
D'où la nécessité d'aligner son statut sur celui des magistrats du siège et de rompre le lien qui le rattache au pouvoir exécutif. On pourrait envisager de confier l'action publique à une autorité indépendante du gouvernement, ce qui mettrait fin aux suspicions d'intervention du pouvoir politique sur l'autorité judiciaire.
Les magistrats du parquet conserveraient la qualité de magistrat et, pour éviter au regard des apparences, toute confusion entre les fonctions du siège et celles du parquet, serait exclu le passage entre ces fonctions, sauf à prévoir un seul changement dans la vie professionnelle du magistrat.
Aujourd’hui les apparences et les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme donnent du poids aux thèses des partisans d’un détachement du Parquet du corps de la magistrature. Il se trouverait alors inévitablement entre les mains du ministre de l’intèrieur.Il suffirait de quelques changements, certes substantiels, pour qu’il ne soit plus soumis à l’exécutif. Dans la configuration nouvelle préconisée, en restant magistrats, les membres du parquet disposeraient d’une impartialité qui n’aurait rien à envier à celle des magistrats du siège.