Faut-il réformer la prescription ?
Par Michel Huyette
En procédure pénale, il existe une règle importante, celle de la prescription de l'action publique.
En application de cette règle, l'action publique est éteinte, c'est à dire que les poursuites ne sont plus possibles contre l'auteur d'une infraction, au-delà d'un délai prévu par la loi.
Le code de procédure pénale nous indique que le délai de prescription est de 10 ans pour les crimes (art. 7), 3 ans pour les délits (art. 8), et 1 an pour les contraventions (art. 9) (1).
Il est habituellement enseigné aux étudiants en droit que la prescription s'explique par le risque de disparition des preuves qui rend au fil du temps de plus en plus difficile et incertain de réunir des charges suffisantes, par la volonté de ne pas juger au-delà du délai raisonnable prévu par la convention européenne des droits de l'homme, et qu'elle est une fois acquise une sorte de sanction de l'incapacité des enquêteurs à envoyer l'auteur de l'infraction devant une juridiction pénale.
Mais ce qui nous intéresse aujurd'hui c'est le point de départ de ce délai.
En principe, le point de départ du délai de prescription est le jour où l'infraction a été commise (cf. art. 7) (2).
Toutefois, la cour de cassation a décidé de reporter dans plusieurs domaines le point de départ de certaines infractions "au jour où elles apparaissent et peuvent être constatées dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique".
La raison d'être de cette jurisprudence est, en résumé, que parce que certaines infractions sont dissimulées et donc non immédiatement repérables, par nature ou par volonté des auteurs, ceux-ci ne doivent pas tirer bénéfice de leur stratagème de dissimulation pour échapper aux sanctions. Autrement dit, ils ne doivent pas échapper aux poursuites au seul motif qu'ils auront été très performants dans leur volonté de cacher leurs actes illégaux.
Cette jurisprudence s'applique notamment en matière de trafic d'influence (cf. ici), d'abus de confiance (cf. ici) ou d'abus de biens sociaux (cf. ici). En matière d'abus de biens sociaux (c'est à dire d'argent utilisé de façon non conforme à l'intérêt de l'entreprise, par exemple pour enrichir un dirigeant ou un tiers), les tricheries sont souvent dissimulées au fond des comptes et ne sont décelables que quand sont engagées des vérifications approfondies (3).
Mais voilà que le projet de nouveau code de procédure pénale, qui vient d'être publié par le Ministère de la justice, contient de façon inattendue une réforme du délai de prescription (cf. art. 121.6 et 121.7).
Le délai de prescription en matière délictuelle serait de 3 ans pour les délits punis de d'une peine égale ou inférieure à 3 années, et de 6 ans pour les délits punis d'une peine supérieure.
Par ailleurs, et c'est ce qui nous intéresse, le projet de nouveau code mentionne que le point de départ du délai de prescription est le jour où l'infraction a été commise "quelle que soit la date à laquelle elle a été constatée".
La volonté semble bien de mettre un terme à la jurisprudence de la cour de cassation reportant le délai de prescription, pour les infractions habilement dissimulées, jusqu'au jour où elles sont découvertes. Au demeurant, ce n'est pas la première tentative en ce sens.
L'argument souvent avancé est que la jurisprudence de la cour de cassation serait à l'origine d'une inégalité injustifiée entre les différentes infractions et leurs auteurs. Mais cela n'est pas forcément le cas.
En effet, le délai ordinaire de prescription part habituellement du jour de la commission des infractions parce que la plupart d'entre elles sont immédiatement connues. Le volé sait qu'il a rencontré un voleur, l'agressé un agresseur, l'escroqué un escroc etc.
Le délai court donc parce que l'infraction apparaît tout de suite au grand jour, parce qu'elle peut - en théorie - être immédiatement poursuivie.
Retarder le point de départ du délai de prescription au jour de la découverte de l'infraction quand celle-ci a été astucieusement dissimulée c'est, de fait, appliquer la même règle : le délai commence à courir quand l'infraction est poursuivable.
L'argument présenté trouve donc vite sa limite.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas exclu que cette nouvelle règle permette à ceux qui connaissent parfaitement les techniques de manipulation des comptes d'échapper à des poursuites pénales qui auraient été engagées sans cette réforme.
Est-ce le but recherché par le gouvernement ?
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1. Il existe quelques délais spécifiques mais sur lesquels je ne m'étends pas car ce n'est pas l'objet principal de cet article.
2. La loi le reporte parfois à une autre date, par exemple à la majorité de la victime, alors mineure quand elle a subi un viol (art. 8 alinéa 2).
3. Pour être un peu plus précis, la cour de cassation retient qu'en principe le délai de prescription court à compter de la publication des comptes, sauf si les opérations litigieuses sont volontairement dissimulées et ne sont pas immédiatement décelables, par exemple quand une dépense est justifiée par une fausse facture.
En procédure pénale, il existe une règle importante, celle de la prescription de l'action publique.
En application de cette règle, l'action publique est éteinte, c'est à dire que les poursuites ne sont plus possibles contre l'auteur d'une infraction, au-delà d'un délai prévu par la loi.
Le code de procédure pénale nous indique que le délai de prescription est de 10 ans pour les crimes (art. 7), 3 ans pour les délits (art. 8), et 1 an pour les contraventions (art. 9) (1).
Il est habituellement enseigné aux étudiants en droit que la prescription s'explique par le risque de disparition des preuves qui rend au fil du temps de plus en plus difficile et incertain de réunir des charges suffisantes, par la volonté de ne pas juger au-delà du délai raisonnable prévu par la convention européenne des droits de l'homme, et qu'elle est une fois acquise une sorte de sanction de l'incapacité des enquêteurs à envoyer l'auteur de l'infraction devant une juridiction pénale.
Mais ce qui nous intéresse aujurd'hui c'est le point de départ de ce délai.
En principe, le point de départ du délai de prescription est le jour où l'infraction a été commise (cf. art. 7) (2).
Toutefois, la cour de cassation a décidé de reporter dans plusieurs domaines le point de départ de certaines infractions "au jour où elles apparaissent et peuvent être constatées dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique".
La raison d'être de cette jurisprudence est, en résumé, que parce que certaines infractions sont dissimulées et donc non immédiatement repérables, par nature ou par volonté des auteurs, ceux-ci ne doivent pas tirer bénéfice de leur stratagème de dissimulation pour échapper aux sanctions. Autrement dit, ils ne doivent pas échapper aux poursuites au seul motif qu'ils auront été très performants dans leur volonté de cacher leurs actes illégaux.
Cette jurisprudence s'applique notamment en matière de trafic d'influence (cf. ici), d'abus de confiance (cf. ici) ou d'abus de biens sociaux (cf. ici). En matière d'abus de biens sociaux (c'est à dire d'argent utilisé de façon non conforme à l'intérêt de l'entreprise, par exemple pour enrichir un dirigeant ou un tiers), les tricheries sont souvent dissimulées au fond des comptes et ne sont décelables que quand sont engagées des vérifications approfondies (3).
Mais voilà que le projet de nouveau code de procédure pénale, qui vient d'être publié par le Ministère de la justice, contient de façon inattendue une réforme du délai de prescription (cf. art. 121.6 et 121.7).
Le délai de prescription en matière délictuelle serait de 3 ans pour les délits punis de d'une peine égale ou inférieure à 3 années, et de 6 ans pour les délits punis d'une peine supérieure.
Par ailleurs, et c'est ce qui nous intéresse, le projet de nouveau code mentionne que le point de départ du délai de prescription est le jour où l'infraction a été commise "quelle que soit la date à laquelle elle a été constatée".
La volonté semble bien de mettre un terme à la jurisprudence de la cour de cassation reportant le délai de prescription, pour les infractions habilement dissimulées, jusqu'au jour où elles sont découvertes. Au demeurant, ce n'est pas la première tentative en ce sens.
L'argument souvent avancé est que la jurisprudence de la cour de cassation serait à l'origine d'une inégalité injustifiée entre les différentes infractions et leurs auteurs. Mais cela n'est pas forcément le cas.
En effet, le délai ordinaire de prescription part habituellement du jour de la commission des infractions parce que la plupart d'entre elles sont immédiatement connues. Le volé sait qu'il a rencontré un voleur, l'agressé un agresseur, l'escroqué un escroc etc.
Le délai court donc parce que l'infraction apparaît tout de suite au grand jour, parce qu'elle peut - en théorie - être immédiatement poursuivie.
Retarder le point de départ du délai de prescription au jour de la découverte de l'infraction quand celle-ci a été astucieusement dissimulée c'est, de fait, appliquer la même règle : le délai commence à courir quand l'infraction est poursuivable.
L'argument présenté trouve donc vite sa limite.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas exclu que cette nouvelle règle permette à ceux qui connaissent parfaitement les techniques de manipulation des comptes d'échapper à des poursuites pénales qui auraient été engagées sans cette réforme.
Est-ce le but recherché par le gouvernement ?
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1. Il existe quelques délais spécifiques mais sur lesquels je ne m'étends pas car ce n'est pas l'objet principal de cet article.
2. La loi le reporte parfois à une autre date, par exemple à la majorité de la victime, alors mineure quand elle a subi un viol (art. 8 alinéa 2).
3. Pour être un peu plus précis, la cour de cassation retient qu'en principe le délai de prescription court à compter de la publication des comptes, sauf si les opérations litigieuses sont volontairement dissimulées et ne sont pas immédiatement décelables, par exemple quand une dépense est justifiée par une fausse facture.