Faut-il punir moins sévèrement les délinquants dangereux mais perturbés ?
Par Michel Huyette
Parmi les règles de bases concernant la responsabilité pénale des personnes poursuivies pour avoir commis une infraction, il en est une que les étudiants en droit apprennent rapidement et qui est simple à exposer. Il s'agit de l'atténuation de responsabilité pour troubles mentaux. La règle est posée à l'article 122-1 du code pénal, qui est ainsi rédigé :
"N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime."
C'est le second alinéa qui va nous retenir aujourd'hui. En effet la règle contenue dans le premier est claire et aisée à mettre en oeuvre : quand un individu était au moment des faits atteint d'une perturbation mentale qui l'a totalement empêché de réaliser et de contrôler ce qu'il faisait, il ne peut pas être considéré comme pénalement responsable, car une telle responsabilité suppose d'avoir eu conscience d'enfreindre la loi et, au moins dans une certaine mesure, d'avoir eu le choix entre faire et ne pas faire.
La règle posée au second alinéa est plus complexe qu'une première lecture ne semble le montrer :
Le principe énoncé est le suivant : Si l'individu, sans être totalement inconscient de ce qu'il faisait, n'en était pas moins perturbé quand il a enfreint la loi, c'est à dire qu'il n'avait pas un parfait contrôle de lui-même, les juges doivent en tenir compte au moment de choisir la sanction à infliger.
Oui mais... en tenir compte... dans quel sens ? Deux attitudes sont possibles.
La première, suite logique de la règle posée au premier alinéa, consiste à réduire la peine de celui qui lors de la commission de l'infraction n'était pas en possession de tous ses moyens. Autrement dit, puisque son discernement était réduit sans être totalement aboli, on ne le fait pas échapper à la sanction mais cette sanction doit être minorée et proportionnelle à sa part de conscience de ce qu'il faisait.
C'est ce qui est habituellement enseigné aux étudiants en droit et qui correspond à la logique juridique du texte.
Mais parce que le texte ne nous dit pas comment les juges doivent "tenir compte" de l'altération des facultés mentales, et parce que cet article n'impose pas expressément une telle réduction de la sanction, il est en pratique très fréquent que les juges constatent que les perturbations psychologiques de l'individu augmentent fortement sa dangerosité, et considèrent par voie de conséquence que pour protéger les citoyens et faire obstacle à une récidive qui risque d'intervenir rapidement, récidive que facilite le trouble mental, il faut l'envoyer suffisamment longtemps en prison. C'est aussi parfois la vision des jurés de la cour d'assises.
Et l'on aboutit alors à une mise en oeuvre du texte qui, sans être illégale piuisqu'elle ne heurte pas véritablement la rédaction, est quand même contraire à sa raison d'être initiale.
Des parlementaires se sont intéressés à cette problématique et ont rédigé une proposition de loi pour imposer aux tribunaux de revenir au sens premier du texte. Dans leur texte, déposé au Sénat le 7 juillet dernier, ils expliquent que :
"Bien que le deuxième alinéa de l'article 122-1 ne l'ait pas explicitement prévu, l'altération du discernement en raison du trouble mental aurait dû être un facteur d'atténuation de la responsabilité pénale et devait conduire en conséquence à une réduction de la peine. Les travaux préparatoires comme l'inscription de ces dispositions dans un chapitre du code pénal consacré aux causes d'atténuation de responsabilité ne laissent aucun doute à cet égard. Ainsi, si la juridiction doit prendre en compte la circonstance liée à l'altération du discernement dans la détermination de la peine et de son régime, ce devrait être dans le sens, d'une part, de la réduction de la peine prononcée et, d'autre part, de son adaptation sous la forme, par exemple, de l'octroi d'un sursis avec mise à l'épreuve. Tel n'est pourtant pas le cas. Au contraire, comme l'a souligné le récent rapport du groupe de travail mené conjointement par la commission des lois et la commission des affaires sociales sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, l'altération du discernement conduit le plus souvent à une aggravation de la peine prononcée. Ces orientations ne sont pas seulement contraires à l'esprit de la loi, elles participent de manière significative à la forte présence de personnes atteintes de troubles mentaux en détention.
(..)
Le groupe de travail avait d'abord préconisé de compléter le deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal afin de prévoir que l'altération du discernement entraîne une réduction de la peine encourue comprise entre le tiers et la moitié de ce quantum. L'article 1er de la proposition de loi prévoit que la peine privative de liberté est réduite du tiers. Une réduction de moitié pourrait en effet apparaître excessive au regard de la dangerosité de certaines personnes. Il appartiendra, en tout état de cause, à la juridiction de fixer, dans la limite du plafond ainsi déterminé, la durée la plus appropriée en tenant compte du fait que plus la personne est souffrante et plus sa situation justifie une prise en charge sanitaire de préférence à une incarcération.
Dans cet esprit, du reste, le groupe de travail recommandait que lorsqu'une altération de discernement est constatée, la peine prononcée soit exécutée pour une période comprise entre le tiers et la moitié de sa durée sous le régime de sursis avec mise à l'épreuve assorti d'une obligation de soins.
À ce stade, afin de laisser au juge une plus grande liberté d'appréciation, la proposition de loi reproduit la formule actuelle du deuxième alinéa de l'article 122-1 selon laquelle la juridiction tient compte de l'altération du discernement pour déterminer le régime de la peine en précisant cependant que si un sursis avec mise à l'épreuve est ordonné, il doit nécessairement comporter une obligation de soins."
En conséquence, les parlementaires proposent une nouvelle rédaction de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 122-1 :
"Toutefois, la peine privative de liberté encourue est réduite du tiers. En outre, la juridiction tient compte de cette circonstance pour fixer le régime de la peine. Lorsque la juridiction ordonne le sursis à exécution avec mise à l'épreuve de tout ou partie de la peine, cette mesure est assortie de l'obligation visée par le 3° de l'article 132-45." (1)
On voit bien dans l'exposé des motifs de cette proposition l'ambiguïté de la démarche. Car les parlementaires expliquent avoir d'abord envisagé une réduction de moitié de ce maximum, puis être revenus à un tiers à cause de la dangerosité des personnes concernées, dangerosité qui les a incités à ne pas trop réduire ce maximum.
Le mécanisme proposé peut sans doute s'appliquer sereinement aux personnes qui, tout en ayant violé la loi, ont conscience de leur état et réclament sincèrement les soins appropriés. Quand on connaît la situation sanitaire des personnes incarcérées et les difficultés rencontrées pour leur apporter des soins de qualité, on peut raisonnablement penser que ces individus qui veulent être soignés profiteront mieux des soins apportés dans des unités spécialisées ordinaires, en dehors de la prison.
Mais on peut s'interroger en même temps sur la réponse judiciaire à apporter quand un individu mentalement perturbé commet des agressions graves et est dans un processus de refus de soins. Est-il alors opportun de prévoir une minoration obligatoire de la sanction au risque, dans certains cas, d'une récidive que des professionnels décrirons comme probable ? Faut-il malgré tout en passer par un sursis avec mise à l'épreuve comportant une obligation de soins et, en cas de non respect de cette obligation ou de commission d'une nouvelle infraction pendant le délai d'épreuve, aboutir au final à une incarcération encore plus longue que celle qui aurait été envisagée lors du premier passage devant le tribunal, avec entre temps de nouvelles victimes ?
En tous cas la proposition de loi est muette sur l'essentiel : quel est le parcours de ces adultes qui mènent une vie chaotique à cause de perturbations mentales non traitées, autrement dit pour quelles raisons rien d'efficace n'a été proposé ou réalisé jusqu'à présent et notamment quand ces individus étaient beaucoup plus jeunes.
Il serait peut être au final plus efficace d'examiner le parcours de chacun d'eux, de repérer les failles et de proposer des correctifs (détection des troubles ches les enfants et les adolescents, systèmes de soins en hôpital et en ambulatoire etc..), que de demander à l'institution judiciaire, une fois de plus, de tenter d'apporter des réponses efficaces à des problématiques qui ne sont pas de son ressort, cela au prix de réforme juridiques qui, si elles peuvent paraître pertinentes dans leur principe, ne sont pas forcément en adéquation avec la réalité de terrain.
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1. Obligation de soins.