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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette

 



   La HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité) a le 15 septembre dernier pris trois délibérations (n° 2008-186, 2008-187 et 2008-188) dont les motivations sont proches, aux termes desquelles elle estime que trois membres du syndicat de la magistrature, syndicat habituellement "classé à gauche", ont été victimes de discrimination par l'Ecole Nationale de la Magistrature en ce que, du seul fait de leur appartenance à ce syndicat, ils auraient été délibérément écartés du recrutement des enseignants de l'école.


   De quoi s'agit-il ? Prenons la première délibération à titre d'exemple.


   L'ENM devait recruter un enseignant pour la matière "application des peines". Deux candidates se sont présentées. L'une (Mme S) est membre du syndicat de la magistrature. Il n'est pas fait état d'une appartenance syndicale de l'autre (Mme X).


   La HALDE rappelle d'abord le mécanisme de recrutement : candidatures, auditions des candidats, double avis d'une commission composée de membres de l'ENM (dont une partie de l'équipe pédagogique) et du directeur de l'école, puis décision du ministre de la justice. Ce dernier n'est pas tenu de suivre les avis qui lui sont remis et sa décision n'est pas motivée.


   La HALDE relève que dans notre affaire le directeur de l'ENM avait soutenu la candidature de Mme S en faisant valoir un "parcours diversifié et une expérience confirmée" ainsi qu'un profil paraissant "constituer des atouts importants pour la qualité de la formation dispensée aux auditeurs de justice".


   La HALDE indique ensuite avoir constaté, par comparaison entre les profils des deux candidates, que Mme S avait une longue expérience de l'application des peines pour avoir été juge de l'application des peines pendant plus de 4 ans alors que Mme X n'avait exercé de telles fonctions que pendant 1 année, que la première avait exercé dans 4 postes différents mais la seconde dans un seul avant d'être JAP, que Mme S à la différence de Mme X avait enseigné en faculté et était intervenue ponctuellement auprès des auditeurs.


   Et la HALDE conclut, après avoir relevé non sans un certain humour (dissimulé) que le ministère de la justice a tenté de soutenir la sélection de Mme X par sa meilleure connaissance.... de l'anglais, que « la procédure de nomination qui autorise en fait des nominations totalement discrétionnaires, le choix étant pris sans tenir compte de l'évaluation des candidats préalablement réalisée au sein de l'Ecole, ne comporte pas de garanties suffisantes contre le risque de pratiques discriminatoires alors que toute procédure d'avancement et de nomination se doit de garantir l'indépendance des magistrats et donc de satisfaire à des critères de transparence et d'objectivité ». Elle ajoute que « l'absence d'éléments objectifs convaincants permettant de justifier les choix opérés par la chancellerie et de toute motivation de la décision d'écarter la dernière candidature de [Mme S] alors que son parcours professionnel correspondait particulièrement au profil recherché et que le directeur de l'Ecole avait retenu sa candidature laissent présumer l'existence d'une discrimination à son encontre en raison de ses responsabilités syndicales dont il n'est pas contesté qu'elles aient été connues de la Chancellerie à la date du rejet de sa candidature ». Pour finir la HALDE indique, ce qui n'est pas fréquent, qu'elle présentera des conclusions au Conseil d'Etat, déjà saisi par Mme X.


   Supposons que ce qu'écrit la HALDE soit exact (sinon ce qui suit n'a pas lieu d'être). Cela appelle alors quelques observations.


   Dans un premier temps, quand on constate que c'est le syndicat de la magistrature qui a alerté la HALDE puis les medias, on ne peut s'empêcher de ressentir un certain malaise. En effet, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir en 1981, on a rapidement vu ses membres bénéficier de nominations et de promotions, surtout au sein du Ministère et... à l'Ecole de la magistrature, qui n'avaient pas toutes comme raison d'être la seule qualité professionnelle des bénéficiaires. Il s'agissait plutôt de favoriser délibérément ceux qui étaient du même bord. C'est pourquoi il peut apparaître surprenant de voir ce syndicat dénoncer avec virulence un système dont il a bénéficié auparavant. Toutefois ce n'est pas si simple que cela. Car pendant des décennies avant 1981, les gouvernements de droite successifs ont mis en place et maintenu avec outrance une politique d'exclusion des magistrats supposés être "de gauche". Cela signifie que quand les membres du syndicat de la magistrature ont été appelés en priorité à certains postes, il s'est plus agi d'un rééquilibrage par rapport à une situation antérieure détestable que d'un mécanisme nouveau de favorisation des copains. Il n'empêche que la dénonciation actuelle de ce syndicat aurait plus de poids encore s'il n'avait pas, quelles qu'en soient les raisons, souhaité et en tous cas accepté que soit mis en place, en sa faveur, un identique système de discrimination.


   Ce que l'on relève ensuite et qui a plus d'importance, c'est qu'une école, surtout pour de futurs magistrats, doit favoriser l'ouverture d'esprit. Un magistrat, pour repousser autant que possible tout risque de partialité, doit avant toute autre démarche rechercher et accepter d'entendre tous les arguments dans un sens ou dans un autre qui lui sont présentés. Juger c'est recueillir tous les avis disponibles puis dans un second temps faire le tri entre les meilleurs arguments et les moins bons pour arriver à une décision judicieusement motivée. C'est pourquoi, à l'ENM plus qu'ailleurs, il est indispensable que les auditeurs entendent des opinions aussi diversifiées que possible sur le travail du juge et plus largement sur tout ce qui concerne la justice en général. C'est pour cela qu'il est, dans cette école, nécessaire que s'expriment toutes les sensibilités, y compris syndicales, qui traversent l'institution judiciaire. En ce sens il y a quelque chose de contradictoire entre le reproche fait parfois aux magistrats de manquer d'ouverture d'esprit, et le choix qui est fait de recruter des enseignants supposés tenir un discours univoque et sans contradiction.


   Mais ce qui rend beaucoup plus mal à l'aise, c'est de savoir que les décisions telles les recrutements à l'Ecole de la magistrature sont prises au plus haut niveau du ministère de la justice, de fait par la ministre et ses plus proches collaborateurs. Or le premier cercle autour de tout Garde des sceaux est constitué de.... magistrats qui, la plupart du temps, obtiennent des postes prestigieux lorsqu'ils retournent en juridiction, notamment des postes de procureur général dans une cour d'appel. Or la ministre de la justice a demandé il y a quelques mois que dans chaque tribunal un membre du Parquet (un substitut du procureur de la République) soit spécialement chargé de traquer et de poursuivre devant les tribunaux correctionnels les auteurs de toutes formes de discrimination. Et ses proches collaborateurs quand ils deviendront procureurs généraux transmettront très certainement aux procureurs dont ils seront les supérieurs hiérarchiques des consignes de fermeté envers toute personne ayant décidé de mettre en oeuvre un mécanisme discriminatoire, par exemple lors de l'embauche en entreprise.


   Cela nous montre donc que certains de ceux qui sont aujourd'hui ou seront demain chargés de faire respecter la loi française de lutte contre les discriminations sont  les mêmes que ceux qui, ces derniers temps, ont en pleine connaissance de cause décidé au ministère de la justice de mettre en place un système discriminatoire à l'entrée de l'ENM.


   C'est pour cela que ce que vient de dénoncer la HALDE, si c'est avéré, est particulièrement inacceptable, dans son principe plus que dans sa réalité. Car ce qui est mis à jour concerne la « Justice », institution chargée de faire respecter la loi et les principes fondamentaux dans une société démocratique. Et s'il y a bien une administration où la tricherie devrait être exclue, et même où la simple idée de contourner les règles en vigueur devrait épouvanter chacun de ses membres, c'est bien le ministère de la Justice.


   C'est pourquoi le constat du contraire ne peut que blesser profondément tout magistrat conscient de ses devoirs.

 

 


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P
Tout fait d'accord avec le sens général de cet article. Une précision, en forme de témoignage, sur le passage dans laquelle il est écrit que, après l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le syndicat de la magistrature, aujourd'hui plaignant, a largement profité d'une discrimination « positive » en sa faveur.Il se trouve que j'étais l'époque en charge du fichier des adhérents de ce syndicat. Avant 1981, un président de tribunal appartenait cette organisation professionnelle. Au milieu des années 1980, ce nombre est passé 12. On peut évidemment y voir une « marée » de nominations. Il faut cependant se souvenir qu'il existe 181 postes de président de tribunal. Le chiffre de 12 représente dès lors moins de 7 %, alors que le poids du syndicat de la magistrature dans la profession va de 25 % 30 % selon les époques.Il y a donc eu, sous les gouvernements de gauche, un simple rééquilibrage en fonction des compétences, qui a succédé à un ostracisme injustifié, lequel a d'ailleurs repris sous les nouveaux gouvernements de droite.Il serait donc temps, comme l'écrit à juste titre Michel Huyette, que d'autres règles président aux nominations.PDC
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