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Publié par Michel Huyette

Par un juge d'application des peines

Il est parmi la multitude des dossiers qu'ouvre un juge d'application des peines des dossiers qu'il lit avec une attention très différente des autres.


C'est pour moi, notamment le cas des dossiers de meurtre, et des dossiers "sexuels". Peut être parce que, au milieu des conduites en état alcoolique, des vols et des violences, ce sont des dossiers plus exceptionnellement épais, ou parce que l'infraction commise a énormément plus d'impact sur la personnalité de leurs auteurs.


Je précise ici, que juge d'application des peines d'une petite préfecture de province, je n'ai que très rarement à décider de la libération d'un criminel, et seulement parfois de délinquants sexuels
(qui après avoir été incarcérés en détention provisoire pendant l'instruction, restent purger un reliquat de peine dans "ma" maison d'arrêt voisine).


En revanche, je suis beaucoup plus souvent le juge qui se charge d'encadrer des libérations conditionnelles décidées par des juges d'application des peines voisins. Cela tient à l'existence d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale de personnes détenues (mais pas seulement elles) sur mon ressort.


Régulièrement donc, ma greffière reçoit par fax un jugement d'un collègue juge de l'application des peines, ou d'un tribunal de l'application des peines, octroyant une mesure d'aménagementde peine à un criminel "sexuel", ou "ordinaire".

La procédure de libération conditionnelle de détenus sexuels

Pour en arriver jusqu'à ce fax, les juges d'application des peines ont tout d'abord reçu une demande d'aménagement de peine de la part de ces détenus, demande souvent élaborée avec l'aide d'un conseiller d'insertion et de probation, qui aide le détenu à faire des démarches, formaliser ses souhaits, tout en le rappelant parfois aussi aux réalités qui s'imposent à lui, aux obligations qui vont lui incomber.
Le juge aura, à la réception de cette demande, diligenté une expertise, auprès de deux experts lorsque l'infraction a été commise sur un mineur, et fait procéder à une enquête pour localiser les victimes - dont la trace est parfois perdue lorsque l'infraction n'intervient pas dans un contexte familial - afin de les informer de la demande et recueillir leur avis.
Il aura aussi, en fonction de la peine prononcée et du reliquat restant, sollicité l'avis du procureur du lieu où le condamné envisage de s'installer.
Et puis bien entendu, une fois tous ces éléments collectés, entendu le détenu au cours d'une audience, un "débat contradictoire", au cours duquel la crédibilité, la sincérité, l'efficacité du projet est envisagée, en présence du procureur de la République, qui donne son avis, et au regard d'un rapport de l'administration pénitentiaire.
Lorsque le juge estime que la libération du condamné présente davantage d'intérêt pour la société, la victime et le condamné, que la poursuite de l'exécution de sa peine, alors la libération intervient, et bien souvent le dossier est transmis à un autre Jap, celui où va s'installer le condamné.
Les jugements de libération conditionnelle précisent l'histoire du condamné, la nature de son projet, les motifs pour lesquels la libération est jugée opportune, et les obligations qui sont imposées au condamné.

Le suivi des libérés conditionnels

L'une d'entre elle est de se présenter au juge d'application des peines qui va le suivre dans les 48 heures de sa libération.
C'est ainsi que bien souvent, le condamné arrive avant son dossier. La notification lui est alors faite au vu de la copie du jugement. Je vérifie les démarches qui ont déjà été accomplies, celle qui s'imposent à lui très rapidement (démarches administratives, contacts auprès de
médecins etc), je fais le point sur son histoire carcérale, et sur la façon dont il envisage l'avenir, et le respect des obligations.
Dans une petite juridiction comme la nôtre, un seul JAP et un service pénitentiaire d'insertion et de probation voisin de quelques dizaines de mètres, les choses se passent très rapidement et simplement.
Un coup de fil au service des conseillers d'insertion et de probation (le SPIP) et le condamné est accueilli dans la foulée de mon entretien par le conseiller d'insertion et de probation, qui va aider le condamné dans ses démarches et contrôler le respect des obligations.
L'éducateur du CHRS (qui accueille le détenu à sa sortie en lui proposant un hébergement en foyer, et en effectuant auprès de lui un travail de réinsertion : remise au travail, réflexion sur sa vie, familiarisation avec une nouvelle monnaie - l'euro n'est pas très vieux-, de nouvelles technologies etc...) est en contact régulier avec le conseiller d'insertion et de probation pour faire le point sur l'évolution du condamné.
Lorsque "l'adaptation sociale" est réalisée, le CHRS permet à la personne condamnée d'accéder à l'autonomie à travers un hébergement en appartement qu'il lui sous-loue, puis met fin à la prise en charge.
Le condamné est alors uniquement suivi par le conseiller d'insertion et de probation qui, comme pour toute mesure et dès son commencement, tient le juge d'application des peines officiellement informé de l'évolution de la situation tous les six mois et en tout cas dès la survenance d'un incident.

Le juge et le "risque de récidive"

L'incident... Forcément, lorsque le condamné a été jugé pour meurtre ou pour viols, surtout dans un contexte extra familial, l'incident le plus grave est la récidive.
A ce titre, la libération conditionnelle constitue un risque pour le juge d'application des peines.
Pour la société, en revanche, la libération conditionnelle ne dispense pas de l'exécution de la peine. Elle modifie la façon de l'exécuter et les études démontrent qu'elle la rend plus intelligente, plus efficace.
La détention a bien entendu une utilité. Elle protège de manière immédiate la société, sanctionne le condamné en le privant de liberté, parfois le force à un sevrage, et à une réflexion sur ses actes.
J'ordonne régulièrement l'incarcération de condamnés à des peines de sursis avec mise à l'épreuve qui ne respectent pas leurs obligations, lorsque cela s'avère nécessaire ou justifié.
Mais la détention a ses limites, en ce que la réflexion sur ses actes
est bien souvent limitée à une discussion avec les co-détenus, que les soins psychologiques ou psychiatriques sont bien souvent inexistants faute de personnel, et qu'en "déphasant" le détenu avec le reste de la société, on l'isole encore davantage dans sa logique criminologique à la
sortie de la prison.

L'érosion des peines

En outre, la peine fixée par la juridiction est souvent érodée.
- Par les décrets de grâce, qui jusqu'à cette année régulaient le nombre de détenus dans les prisons ce qui limitait les incidents, mais perturbait d'autant la préparation à la sortie puisque celle ci intervenait avant que les démarches aient pu être mises en place.
- Par les réductions de peines, ou maintenant "crédit de réduction de peine", qui constituent en fait un quantum de jours d'emprisonnement, déduit de la peine prononcée, que le condamné ne fera, sur décision du juge, qu'en cas de manquement au règlement pénitentiaire (comportement
irrespectueux envers le personnel pénitentiaire, un autre co-détenu, introduit un objet interdit en détention, ou refuse d'exécuter un ordre d'un surveillant, par exemple) ou de commission d'infraction, une fois libéré, alors que sans ces réductions de peines il aurait encore été incarcéré. Ce crédit de réduction de peine est automatique. Le juge n'intervient que pour le retirer au condamné.
- Par les réductions de peines supplémentaires. Ces réductions de peines n'interviennent pas automatiquement, elles sont octroyées en considération des efforts du condamné pour son insertion professionnelle ou sociale.
Pour avoir une idée de leur importance, lors de leur généralisation à toutes les peines (avant 2004 elles étaient réservées aux peines de plus d'un an), l'instituteur de ma maison d'arrêt a assisté à une vague d'inscription (et d'intérêt) à ses cours de la part des détenus. Les
réductions de peines sont accordées en fonction de la sincérité de l'investissement du condamné, des progrès soulignés par l'instituteur dans un bulletin remis au juge d'application des peines.
Pour bon nombre de détenus, l'assiduité à un enseignement - pourtant bénéfique pour leur insertion sociale et donc la prévention de la récidive - ne peut être mis en place que par une carotte "réduction de peine".
Il en est de même de l'assiduité à des soins, bien entendu, même si concernant les soins, les détenus en sont souvent davantage demandeurs, et en tout cas, une fois mis en place, ne les interrompent pas autant.
Dès lors, souvent, trancher la question d'une libération conditionnelle se résume à savoir s'il vaut mieux que le condamné purge encore quelques jours ou semaines de détention, compte tenu des réductions de peines à intervenir, ou mette en place un suivi qui pourra se prolonger d'une
année après sa fin de peine.

L'efficacité des soins à l'égard des condamnés sexuels

Les soins sont, en grande partie, très efficaces. Les infractions sexuelles statistiquement sont très rarement l'objet de récidive.
D'abord parce qu'elles interviennent dans la plupart des cas dans le milieu intra-familial, et qu'une fois révélé, le contexte propice à la réalisation de l'infraction disparaît.
Ensuite parce que les problématiques des condamnés dont je m'occupe en termes psychologiques relèvent davantage (selon les expertises) d'une question d'immaturité affective (les auteurs sont restés des "enfants"), d'une mauvaise intégration des interdits sexuels, de désinhibition sous l'effet de l'alcool et que les soins permettent de faire évoluer l'intéressé sur les causes de la commission de l'infraction.
La plupart des condamnés sexuels sont demandeurs de soins, et disposent des capacités intellectuelles nécessaires pour acquérir plus de maturité, accéder à un sentiment de culpabilité, ou parvenir à un sevrage alcoolique.
La plus belle évolution, c'est sans doute ce thérapeute qui après avoir beaucoup travaillé avec un père condamné pour viol sur une de ses filles, et avoir proposé à la victime de participer à des entretiens avec son père, a reçu quelques mois après l'accord de la victime pour engager, avec lui, un travail de reconstruction personnelle après la condamnation, et l'exécution de la peine.

L'obligation de soins et sa sanction

Dans le cadre des mesures de sursis avec mise à l'épreuve, ou de libération conditionnelle comportant une "obligation de soins", l'efficacité de ces soins est constatée en général par les conseillers d'insertion et de probation, à travers les entretiens qu'ils ont avec les condamnés. Elle n'est cependant pas contrôlée au sens strict du terme par nos services. Il n'existe pas en effet de compte rendu médical de la part du médecin traitant, compte tenu du secret professionnel. Ce
qui ne signifie pas qu'un médecin ne mettra pas fin au suivi s'il estime que la personne ne s'y investit pas suffisamment. La personne ne justifiant plus du suivi, sera dès lors davantage surveillée, réorientée vers un autre médecin, voire sanctionnée pour son manquement aux obligations.

L'injonction de soins, un contrôle plus poussé

Pour accentuer le contrôle de l'effectivité des soins, le législateur a mis en place un dispositif d'"injonction de soins", initialement limitée à une petite catégorie d'infractions les plus graves, et à une peine spécifique, le suivi socio-judiciaire.
C'est ce dispositif qui est développé par la loi du 10.08.2007. Il est possible sur notre ressort depuis quelques mois seulement, alors que la loi de création de l'injonction de soins date de 1998, et de nombreux tribunaux ne peuvent encore pas l'appliquer.
Pourquoi ? Parce que, pour concilier l'information de la justice, avec le secret médical qui est souvent une condition de l'efficacité des soins pour le patient, la loi a créé un médecin coordonnateur, qui dispose d'un contact avec le JAP, et d'un contact avec le médecin
traitant. Il s'assure que les soins sont efficaces, et s'ils ne le sont pas, il peut inciter, voire contraindre, à un changement de médecin, ou signaler au juge un manquement du condamné à ses obligations.
Et les médecins - psychiatres - sont rares... très rares...
L'ensemble des injonctions de soins d'ores et déjà prononcées par les juridictions ne sont pas effectives, et ne le seront pas à moins d'un développement important du nombre de médecin coordonnateur.
La généralisation de ce dispositif n'est pas une mauvaise chose en soi, le travail entre un JAP et un médecin coordonnateur est très enrichissant et je suis très heureux de pouvoir le faire, car il permet de confirmer que des condamnés évoluent, et que d'autre au contraire, sont dans une logique perverse qu'il faut surveiller et travailler.
Mais écrire une loi qui va multiplier les dossiers concernés, sans que nous ayons les moyens de les mettre en place… L'utilité est donc à relativiser.

Les condamnés pervers

Il existe, bien entendu, des condamnés qui obéissent à une logique perverse, qui poursuive un dessin déterminé dont il est difficile de les défaire et qui tentent d'utiliser les faiblesses du système.
Ces condamnés sont en général bien identifiés. Il s'agit par exemple, pour ce que j'en connait, d'un condamné ayant toujours contesté des faits de viols, interdit de paraître dans une commune et qui s'installe en camping car dans la commune voisine, ou du condamné qui sortant d'une
audience le condamnant à une interdiction de paraître sur un campus où il a agressé sexuellement une femme, se promène sur le trottoir d'en face.
La tâche du juge, dans ce contexte est, parallèlement aux soins qui peuvent être efficace, de construire autour du condamné libéré un ensemble de barrières jusqu'à décourager sa perversité, réguler son comportement. Par exemple, en élargissant l'interdiction de paraître à
un canton, un arrondissement entier. Et en sanctionnant sévèrement le moindre manquement formel à une des obligations imposées, par une révocation de la mesure et donc un retour en détention pour purger la fin de peine qu'il aurait dû purger s'il n'avait été libéré.

Le placement sous surveillance électronique mobile

En 2005, le législateur a également prévu un dispositif de placement sous surveillance électronique mobile, qui peut intervenir soit dans le cadre du suivi socio-judiciaire, soit dans le cadre de la libération conditionnelle.
Un condamné m'a été affecté, avec l'un de ces bracelets électroniques mobiles, mis en place en raison de sa personnalité (il avait commis des faits de viols alors même qu'il n'était pas encore jugé pour un viol précédent et avait un comportement pervers).
La principale difficulté de cette mesure est qu'elle paraît sécurisante, mais ne permet pas d'assurer l'absence de récidive, elle serait surtout utile pour confondre un condamné qui récidiverait.
Elle complique en revanche singulièrement l'objectif de réinsertion sociale du détenu, par la complexité technique du dispositif (un bracelet, une console à la ceinture, et un tél. portable).
L'utilité de ce dispositif en terme de prévention de la récidive n'a pas eu le temps d'être éprouvée sur mon ressort, puisque le comportement de ce condamné n'étant pas conforme à ce qu'il devait être, sa libération conditionnelle a été rapidement révoquée.
Les dispositifs pour suivre les condamnés sexuels et plus généralement les condamnés s'inscrivant dans une problématique psychologique ou psychiatrique existent d'ores et déjà.
Notre principal problème au quotidien, c'est le manque de médecins et de psychologues, spécialement en détention, avec lesquels nous travaillons pourtant très correctement ici et qui partagent très souvent nos préoccupations, mais qui sont malheureusement très peu nombreux.


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